En juin 2014, une directive européenne remontant à mai 2012 devra être introduite dans le droit français, ce qui va considérablement bouleverser l’accès au dossier des personnes mises en cause. Du coup, les avocats font monter la pression et les policiers fulminent déjà.
Pressés d’accélérer la mise en place de cette directive européenne, les avocats ont décidé de demander systématiquement l’annulation de toutes les gardes à vue devant le tribunal correctionnel de Paris.
Commencée en octobre dernier, leur offensive avait fait jusque-là chou blanc. Sauf que trois d’entre eux ont su très opportunément tirer profit des vacances de fin d’année. Juste avant la Saint-Sylvestre, au moment où les magistrats habituels étaient remplacés par leurs collègues du civil, réputés beaucoup plus souples, les avocats ont finalement obtenu gain de cause à la surprise générale.
Pour la première fois en France, une garde à vue a été annulée parce qu’un avocat n’avait pas eu accès au dossier de son client. Du jamais vu ! Certes, le parquet a aussitôt fait appel pour éviter que cet incident ne fasse jurisprudence, mais pour les représentants du barreau, cela reste une belle victoire. Symbolique.
Le 2 juin prochain, de toute façon, la directive européenne devra être transposée en droit français, que cela plaise ou non. Ce document stipule « qu’une personne arrêtée et détenue doit avoir le droit ainsi que son avocat de consulter tous les documents lui permettant de contester la légalité de son arrestation et de sa détention. A n’importe quel stade de la procédure pénale ».
Cette obligation s’applique à tous les Etats-membres, et elle est déjà entrée en vigueur dans une vingtaine de pays européens. En France, pour l’instant, la chancellerie finalise encore les modalités d’introduction de ces nouvelles mesures, mais il est certain qu’elles vont encore augmenter les tensions avec les policiers.
Un choc culturel et un bouleversement des pratiques
Déjà, ces derniers ont très mal vécu l’arrivée des avocats dans les commissariats au printemps 2011. Une conséquence là encore du droit européen, qui l’emporte désormais sur le droit national. Depuis, tous les mis en cause peuvent être assistés d’un représentant du barreau, y compris pendant les interrogatoires, ce qui a complètement changé la donne.
Peu à peu, c’est comme une influence anglo-saxonne qui est en train de s’imposer en Europe, alors que le droit français fonctionne sur une tout autre tradition et des fondements bien différents. C’est un choc culturel, et au-delà se posent aussi des questions tout simplement pratiques de fonctionnement.
Dans les pays anglo-saxons, la garde à vue n’arrive qu’en fin de procédure. En France, ce n’est pas le cas. Par ailleurs, en France, on a très souvent recours à de jeunes avocats commis d’office, qui peuvent être inexpérimentés, voire influençables, et même susceptibles de céder aux pressions exercées par des clients particulièrement violents ou peu scrupuleux. C’est un fait, même si cela se dit peu. Du coup, certains craignent qu’une trop grande proximité pendant la procédure n’expose encore davantage les avocats, et ne leur fasse courir des risques inutiles.
Du côté des policiers, la plupart sont exaspérés par les réformes engagées sur le plan judiciaire. Ils sont persuadés qu’on cherche à les empêcher de remplir leur mission en leur mettant sans cesse des bâtons dans les roues. Il existe, c’est vrai, un risque réel de voir annuler de nombreuses gardes à vue.
Pour autant, la directive européenne reste tout de même très encadrée : l’avocat pourra avoir accès au dossier à n’importe quel moment de la procédure mais pas à n’importe quelle pièce, pas à n’importe quelles conditions, et encore moins dans n’importe quelle enquête.
Le crime organisé restera par exemple un domaine ultra-sécurisé. En attendant, une fois de plus, Christiane Taubira et Manuel Valls vont devoir déployer des trésors d’inventivité pour convaincre leurs troupes qu’il est possible de travailler ensemble en bonne intelligence, et avec efficacité.
RFI