Alors que l’incertitude plane sur la reprise des cours à cause de la crise sanitaire et sociopolitique, les jeunes filles sont nombreuses à se faire occuper. Certaines se réfugient dans l’autodidaxie et les travaux ménagers, d’autres dans le commerce
Mardi, 23 juin. Il est environ 11 heures au petit marché de Sirakoro plein à craquer. Les vendeurs, majoritairement des jeunes filles s’emploient à écouler leurs condiments, des légumes frais pour la plupart.
Amina vient de céder la place à sa maman afin de couper les feuilles de patates pour lesquelles une file de ménagères patientent sous le hangar. Durant son temps de pause, elle se détend avec une glace qu’elle suce et devise avec sa copine qui fait la 11e année. Elles sont toutes les deux venues aider leurs mamans dans leurs activités commerciales.
Kadiatouba livre le dernier potin du quartier. Cette histoire qui la passionne tant, semble l’étonner et l’a fait éclater de rire en même temps. Amina élève de la 10è toute joyeuse se tourne vers nous un instant et dit : «je n’ai jamais cru qu’un jour l’école me manquerait. Rester un temps fou à la maison ces dernières années étaient assez ennuyantes. Grève incessante hier, aujourd’hui coronavirus, j’en ai déjà ma claque, je souhaite la réouverture de l’école car après le marché, c’est la routine : le ménage et la cuisine, confie t-elle. La jeune fille souligne que l’année dernière, ils n’ont étudié que 3 mois, les leçons du 1er trimestre ont été reconduites au second trimestre.
Elle est consciente de l’importance de la réouverture des classes, car elle caresse le rêve de devenir médecin et son amie, elle veut devenir sapeur pompier. Pourtant malgré leurs ambitions, elles pensent moins aux cahiers et passent plus de temps au marché ou à faire la cuisine et la causerie. «On n’a pas besoin de s’intéresser aux cahiers, de toutes les façons, ils sont presque vides et les professeurs le savent. Ils ne vont pas nous demander de produire ce qu’ils ne nous ont pas dispensé, affirme Kadiatouba. Ce sera toujours le même scenario que les années précédentes assure Amina, c’est-à-dire reconduire les mêmes leçons aux examens».
SCEPTIQUES SUR LA REPRISE DES COURS- Pour elles, l’information sur la reprise des cours en septembre est à pendre avec des pincettes, du moins il faut voir pour le croire. Dans la famille Diallo, une dizaine d’enfants jouent et courent dans tous les sens. Dans ce tohu-bohu, on entend à peine la voix des adultes. Tous ne sont pas de la maison, mais y passent leur temps à cause de la gâterie du soir. En effet, Awa 16 ans, à cœur joie, s’essaye à de nouvelles recettes. Des pâtés, des pains perdus, pour ce soir, c’est le tour de ‘’merveille’’.
Devant la cuisine, elle pétrit une pâte déjà homogène à laquelle elle s’apprête à donner forme. Les bois dégagent une fumée dans le creux du fourneau et sa petite sœur lui apporte un sachet de lait pour assaisonner la pâte. Tout semble prêt pour assoupir la gourmandise d’Awa et les estomacs, des tout-petits ne diront pas le contraire. Toute l’opération se passe sous l’œil bienveillant de sa belle mère qui soutient que depuis la fermeture des classes la petite Awa passe plus de temps à la cuisine qui est sa passion.
Elle sait déjà faire toutes sortes de sauces depuis des années. En cette période d’hivernage, la famille n’a pas de bonne. Ce sont les filles de la maison qui prennent le relais. Par ailleurs dans la famille Samassegou, trois petits enfants âgés de 4 à 10 ans ignorent le sens du mot «chômage», seule l’apparition de coronavirus, a empêché ces mômes d’aller à l’école.
Ils fréquentent une école dont la promotrice est une Américaine. Elle veille à ce que les élèves reçoivent leur cours à la maison afin d’étudier normalement. Cette année, Mme Samassegou reçoit les documents en pdf par e-mail ou par WhatsApp. Elle a deux enseignants qui donnent les cours à la maison. Ce sont pratiquement des cours de français et d’anglais. «Mes enfants finissent chaque année leur programme. Avant, on avait un seul enseignant qui les suivait, mais maintenant qu’ils ne vont plus en classe, ils doivent tout faire à domicile, on a pris un second. Ces deux répétiteurs nous coûtent pratiquement 50.000 Fcfa, sans tenir compte des frais scolaires.
Mais il le faut car l’éducation, c’est ce qu’il y a de mieux pour les enfants», déclare t-elle, avant d’ajouter que malheureusement, ses mômes n’ont pas fait d évaluations, car ils ne peuvent pas se rendre en classe à cause de la fermeture des écoles du fait de la Covid-19. Il faut signaler que le temps libre de ces enfants est reparti entre les enseignements coraniques, la lecture, le jeu vidéo et la bande de dessins animés.
A Sébenicoro «poste-da», une histoire similaire. Batoma, une écolière de 16 ans derrière ses trois glacières joue aux cartes avec sa sœur Ma sur le bas-côté de la route au milieu de nombreux commerces. Elles vendent (elle et sa sœur) du jus de gingembre et du bissap. Elles le faisaient moins avant les crises qui ont eu raison des classes (grève et coronavirus). Elles ne font que ça depuis que les classes ont fermé. « Ma mère tire son épingle du jeu grâce à ce commerce depuis 4 ans. Avant, quand je venais l’épauler ici en dehors des heures de classes, mon père était réticent. Il n’aimait pas l’idée.
Mais maintenant, avec plus de 4 mois de fermeture des classes, mon père, un chauffeur, nous encourage même à venir aider notre mère qui prépare présentement le déjeuner à la maison. Elle se repose après et n’aura plus besoin de venir ici », nous raconte Batoma qui est fière d’épargner à sa mère les peines du commerce. «Je fais un chiffre d’affaires de 3.000 Fcfa par jour, des fois plus quand il fait chaud». «Je ne sais même plus où se trouvent mes cahiers, nous ne faisons que ça. La nuit nous aidons notre mère à préparer les jus, et à nettoyer les bouteilles. C’est cela notre quotidien, la journée derrière les glacières, le soir autour des seaux d’eau pour le nettoyage des bouteilles, avant d’aller au lit bien sûr».
Mais dès fois, raconte Batoma, ma mère est nostalgique de son commerce, alors elle vient s’en occuper elle-même pendant que ma sœur et moi, nous promenons à vendre des sachets de citron vert à 200 voire 500 Fcfa selon la quantité. Le chemin de l’école, les cours et les camarades manquent à Batoma, mais elle estime que ça ne sert à rien de reprendre les cours cette année. «Les dés sont déjà jetés pour cette année. C’est l’hivernage, donc les vacances. Mieux vaut laisser tomber pour cette année. Nous avons déjà des difficultés à comprendre les cours dispensés normalement à fortiori ceux qui vont être faits précipitamment. Ce serait un miracle si on sauvait cette année scolaire, pense l’écolière de 16 ans.
Maïmouna Sow
Covid-19 : L’impact de la pandémie sur les enfants
La crise de la Covid-19 pourrait avoir des impacts négatifs de grande portée et à long terme sur les enfants du monde entier, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié récemment. Cet impact risque d’être dévastateur même si les enfants qui contractent le coronavirus semblent moins développer de symptômes graves et présenter des taux de mortalité plus faibles que les autres groupes d’âge.
Plus de 1,5 milliard d’élèves ne vont plus en classe. Les pertes généralisées d’emplois et de revenus, ainsi que l’insécurité économique frappant les familles, sont susceptibles d’augmenter la fréquence du travail des enfants, de l’exploitation sexuelle, de la grossesse des adolescentes et du mariage des enfants. Les contraintes que subissent les familles, surtout celles qui vivent en quarantaine ou confinées, augmente l’incidence des violences domestiques. Alors qu’augmente le nombre de décès dus à la Covid-19, un grand nombre d’enfants se retrouveront orphelins et vulnérables face à l’exploitation et aux abus.
« Les risques que comporte la crise de la Covid-19 pour les enfants sont énormes », a déclaré Jo Becker, directrice du plaidoyer de la division Droits des enfants de Human Rights Watch. « Les gouvernements doivent agir de toute urgence pour protéger les enfants lors de la pandémie, mais aussi considérer en quoi les décisions qu’ils prennent aujourd’hui respecteront au mieux les droits des enfants après la fin de la crise. »
Pour de nombreux enfants, la crise de la Covid-19 signifiera l’arrêt ou la restriction de leur scolarité, ou encore le fait de prendre du retard sur les autres. Plus de 91 % des élèves du monde sont déscolarisés, puisque les établissements scolaires ont fermé dans au moins 188 pays. La crise a révélé d’énormes disparités dans le niveau de préparation des pays aux situations d’urgence, l’accès des enfants à Internet et la disponibilité du matériel pédagogique. Alors qu’on parle beaucoup actuellement des plateformes d’apprentissage en ligne, de nombreux établissements publics ne sont pas organisés pour les utiliser et n’ont pas la technologie et l’équipement nécessaires pour dispenser leur enseignement via Internet. Près de la moitié de l’humanité n’a pas accès
à Internet.
Les contraintes supplémentaires que subissent les familles du fait de la crise de la Covid-19 – y compris la perte d’emploi, l’isolement, le confinement excessif et les préoccupations médicales et financières – accentuent le risque de violence à la maison, qu’elle soit infligée entre partenaires ou aux enfants par les adultes qui s’occupent d’eux. Le secrétaire général des Nations unies a parlé d’une hausse mondiale « terrifiante » des violences domestiques liées au Covid-19. On a rapporté que les appels aux numéros d’urgence avaient doublé dans certains pays.
Or les abus infligés aux enfants sont moins susceptibles d’être détectés lors de la crise du Covid-19 puisque les institutions de protection de l’enfance ont réduit leur surveillance afin d’éviter de propager le virus et que les enseignants ne pourront plus détecter des signes de mauvais traitements, les établissements ayant fermé.
Les experts estiment qu’on pourrait atteindre un nombre total de 10 à 40 millions de décès dus à la Covid-19 : il est donc inévitable que de nombreux enfants perdent un parent, ou les deux, ou encore d’autres adultes s’occupant d’eux. Or les enfants orphelins sont particulièrement vulnérables au trafic d’êtres humains et aux autres formes d’exploitation, y compris sexuelle, ainsi qu’à la mendicité ou au travail forcé, par exemple comme vendeurs à la sauvette. Les enfants les plus âgés laissent souvent tomber leur scolarité pour tenter de subvenir aux besoins de leurs jeunes frères et sœurs.
La récession économique mondiale causée par la crise du Covid-19, notamment les pertes d’emploi massives, sont susceptibles d’augmenter la fréquence du travail mais aussi du mariage des enfants.
À l’échelle mondiale, on estime que 152 millions d’enfants étaient déjà touchés par le travail des enfants avant la pandémie de Covid-19, dont 73 millions réalisant des tâches dangereuses. Or les recherches ont montré que le travail des enfants était étroitement associé aux chocs financiers subis par une famille, par exemple à cause d’une maladie, d’un handicap ou de la perte de l’emploi d’un parent.
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Source : L’ESSOR