Avec dix œuvres disponibles dans les rayons des librairies et des bibliothèques, Fatoumata Kéïta, épouse Niaré, est l’une des écrivaines les plus dynamiques du Mali. Poétesse, romancière, nouvelliste, essayiste, cette figure montante du monde littéraire est une amazone à l’écriture tranchante et très interpellatrice.
Mince, de taille moyenne, trempée dans une jolie robe, Fatoumata Kéïta, épouse Niaré ou Fatim pour les intimes, occupe un modeste bureau au 2ème étage d’un immeuble à l’ACI 2000. Sur la porte, une citation d’Albert Einstein : « Nous aurons le destin que nous aurons mérité » et quelques œuvres artistiques. A l’intérieur, encore des œuvres d’art affichés çà et là, des photos professionnelles et personnelles, une pile de dossiers, de livres rangés au fond, non loin de l’interphone, une citation de Georges Clémenceau : « Il faut d’abord savoir ce que l’on veut, il faut avoir le courage de le dire, il faut ensuite l’énergie de le faire ». Derrière une apparence simple, se cache une tête bien pensante. Avec dix œuvres disponibles dans les rayons des librairies et des bibliothèques (1 nouvelle, 3 romans, 5 poésies, 1 essai), Fatoumata Kéïta est l’une des écrivaines les plus dynamiques du Mali.
« C’est mon père qui m’a transféré son rêve »
Ainée d’une famille de 7 enfants dont 5 filles, cette malinké originaire de Figuratomo dans le Mandé profond, a parcouru tout le pays pour faire ses études. Ancienne élève du Lycée de Badala de Bamako, elle est titulaire d’une maîtrise en Socio-anthropologie obtenue à la FLASH et d’un DEA en Socio-économie du développement à l’Université Mandé Bukari. Actuellement, elle prépare une thèse en Sociologie rurale sur le thème Habitat, changement de culture. « Le changement d’habitat entraîne le changement de culture », explique-t-elle.
Comment cette élève brillante qui prenait les mathématiques pour un jeu a-t-elle épousé l’écriture au point de devenir une célébrité nationale et internationale ? Fatim met en avant l’environnement lettré dans lequel elle a évolué. Son père Bandiougou Kéïta, l’un des premiers cadres de l’opération Thé Farako, un syndicaliste qui séduit par sa rigueur et surtout sa grande probité est un grand ami des livres. Dans la famille Kéïta, nous rappelle l’aînée Fatoumata, le mot d’ordre était : pas de journée sans lecture. « C’est mon papa qui était écrivain. C’était lui l’écrivain pas moi. Il m’a transféré son rêve. Il m’a fait vivre ce rêve. Je pense que tout est venu de lui », souligne-t-elle avec des gestes de la main.
« L’écriture est ma seule plage »
A force de lire, elle a piqué le virus de l’écriture sans avoir la prétention d’être une écrivaine. Depuis l’école primaire, elle avait pris l’habitude de griffonner quelques lignes sur des papiers. Au lycée, elle est partie jusqu’à écrire sur l’un de ses cahiers la mention : « interdire de lire ». A l’âge de 12 ans, la jeune Fatim écrit à Kayes en février 1989 son premier poème. « Je n’avais aucune prétention d’être écrivaine….J’écrivais pour mon équilibre intérieur, mon bien-être. L’écriture était mon ami…. L’écriture est ma seule plage. », ajoute cette malinké partagée entre tradition et modernité. Pour Mme Niaré, « l’écriture est le seul moment de liberté réelle ». Selon elle, à force de lire, on a envie de contredire, d’ajouter ou de réécrire les auteurs. En lisant les autres, Fatim a ouvert ses yeux sur les grands problèmes et s’est saisie des thèmes qui lui tenaient à cœur. Elle s’est mise à écrire. Briseuse de tabous, l’écrivaine à la langue tranchante aborde avec une liberté déconcertante les questions sensibles comme l’excision, le lévirat ou la polygamie. Elle écrit pour se calmer ou reprendre goût à la vie.
Militante de la cause de la femme, elle opte pour un équilibre entre la femme et l’homme. Elle perçoit la dot comme une sorte de compensation mais aucunement le prix de la femme. Pour elle, les gens se trompent en disant que la cause de la femme est différente de la cause de l’homme. « C’est la cause du genre humain. Agissons à ce qu’il y ait l’équilibre », précise-t-elle. L’auteure de « Les Mamelles de l’Amour » défend avec conviction qu’il y a des combats qui ne sont pas des causes communes pour la femme africaine. « C’est malheureux que l’on ne le comprenne pas comme cela », regrette Fatoumata Kéïta avant d’ajouter : « Ce ne sont pas les hommes qui font la polygamie. Ce n’est pas une cause commune pour les femmes. Autant, il y a des femmes qui ne veulent pas de polygamie, autant il y a des femmes qui cherchent à être deuxième ou troisième épouses », lance-t-elle. A l’en croire, il ne faut pas croire que l’émancipation veut dire libertinage ou ne pas s’occuper de sa famille. Chaque femme a un côté masculin et chaque homme a un côté féminin.
Amazone de tous les combats, muse
L’épanouissement de la femme, laisse entendre l’auteure « J’aimais cet homme qui chantait le fleuve », ne se fera jamais sans l’homme. « On peut aller au delà de nos limites », déclare-t-elle en arguant que l’être humain a besoin d’avoir confiance en soi pour aborder le monde. Elle milite pour une rééducation mentale du point de vue sociétale et des mœurs. Elle plaide pour une éducation des filles mais pour une rééducation des garçons pour mieux vaincre certaines tares de notre société.
« Poétesse engagée et révoltée », elle aborde dans ses œuvres les multiples facettes de la société malienne en posant un regard objectif sans complaisance. C’est d’ailleurs ce qui fait l’originalité de ses ouvrages. « Ses romans campent le combat d’amazones des temps modernes dans des communautés conservatrices. Sa profonde connaissance de la société malienne, comme sociologue et spécialiste en éducation, la qualité de son inspiration constituent des repères pour aider les Maliens et les amis du Mali à décrypter et comprendre les communautés maliennes », écrit Ismaila Samba Traoré, patron de la maison d’éditions « La Sahélienne » dans la préface du dernier bébé de Fatim Kéïta « Ce n’est jamais fini » Tome 1.
Joviale et très courtoise, celle qui peut aligner une rafale d’anecdotes dans ses causeries se veut ferme, décisive et souvent intransigeante dans ses prises de décisions. Elle inspire le respect et ses démarches forcent le respect. Femme de conviction, « cette grande dame », selon Ismaila Samba Traoré, « est une sublime passionaria, amazone de tous les combats, muse de l’humanité… ».
Le rôle de l’écrivain : refuser de se taire
Quel doit être le rôle de l’écrivain ? Elle lance : « refuser de se taire ». Elle ajoute : « Celui qui commet le crime a la même responsabilité que celui qui voit et refuse de dénoncer ». Selon elle, notre responsabilité est de nous prononcer, de dénoncer l’ignominie. A l’en croire, les familles se sont effondrées, le pays s’est effondré parce que les gens se sont tus. L’écrivaine nous rappelle cette citation d’Albert Einstein selon laquelle « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui regardent sans rien faire ».
Est-elle facile pour une femme d’être écrivaine ? Elle vous retourne immédiatement la question avec un éclat de rire : est-il facile pour un homme d’être écrivain ? L’auteure de la nouvelle « Polygamies, gangrène du peuple » souligne que « rien n’est facile dans la vie ». « Je vois mon confrère Ousmane Diarra qui parle des difficultés d’écrire en Afrique », ajoute-t-elle. Elle avance le triple poids social qui pèse sur la femme à savoir la maternité, l’entretien du ménage et la communauté. « Quand écrire ? Où écrire ? », s’interroge notre interlocutrice qui rend un hommage appuyé à son mari. « J’écris fondamentalement pendant la nuit. L’honneur revient à notre mari plutôt qu’à moi. C’est lui qui l’a voulu », affirme-t-elle.
Lauréate du Prix Massa Makan Diabaté en 2015 et du 2ème Prix du meilleur roman féminin en Afrique de l’Ouest en 2016, elle a eu plusieurs autres distinctions de 1994 à 2003. Elle est membre du Parlement des écrivaines francophones.
A 41 ans, cette mère de quatre enfants (3 garçons et une fille) est incontestablement une figure montante du monde littéraire africain, voire mondial et un exemple à suivre. En plus de ses « dix autres bébés » disponibles dans les librairies et les bibliothèques à travers le monde, les passionnés du livre peuvent compter sur cette héroïne pour donner naissance à d’autres « enfants ».
Chiaka Doumbia et Aminata Dembélé Sylla
Source: lechallenger