Au Yémen, une nouvelle attaque a fait des dizaines de morts civils, vendredi 24 août, selon les médias locaux. Les belligérants s’accusent mutuellement d’en être responsables. D’un côté, la coalition internationale menée par l’Arabie saoudite et qui soutient le gouvernement yéménite, de l’autre les rebelles houthis, soutenus par l’Iran. Ils occupent la moitié nord du pays, dont la capitale, Sanaa. Le conflit dure depuis près de quatre ans et a provoqué la plus grande crise humanitaire au monde, selon l’ONU. Alors que des discussions de paix doivent s’ouvrir le 6 septembre à Genève, le chercheur yéménite Farea al-Muslimi est à Paris pour rencontrer des conseillers de l’Elysée. Il appelle la France à s’engager diplomatiquement.
RFI : Quel est votre message à la France ?
Farea al-Muslimi : Nous demandons à la France d’agir et de ne pas agir. Agir, c’est être partie prenante à une solution au Yémen, être un faiseur de paix. La France a été extrêmement silencieuse et inactive. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, on ne l’a pas entendu. Elle a été silencieuse, en comparaison avec des crises comme la Syrie ou la Libye. […] La France a usé de plus de diplomatie pour acheter des billets retours à Saad Hariri [Le Premier ministre libanais retenu un temps en Arabie saoudite, ndlr] que sur la crise humanitaire la pire au monde, ce qui est choquant. Donc nous demandons à la France d’agir.
Et d’un autre côté de ne pas agir, en ne vendant plus d’armes à l’Arabie saoudite. […] Ce que nous entendons en général de la part des Français, comme des Américains, c’est qu’ils vendent des armes guidées, de précision. Mais ce qu’on constate ce sont des crimes de guerre, comme l’attaque récente sur un bus à Saada, qui transportait des enfants. […] La France participe à cette guerre et à un certain niveau elle est responsable moralement, légalement et diplomatiquement.
Quelle est la situation à Sanaa la capitale et plus largement dans la zone sous contrôle houthi ?
La dernière fois que j’étais à Sanaa, il y a deux mois, ce qui m’a le plus attristé et effrayé ce sont les conditions de vie, plus que la mort. Les salaires ne sont plus payés depuis 20 mois, pour des millions de Yéménites. Cela a tué plus de personnes que la guerre. Le traumatisme des bombardements a aussi changé le sens de la vie pour les gens.
Il n’y a que deux avions pour 27 millions de Yéménites, ce qui rend extrêmement difficile tout déplacement à l’extérieur, surtout après la fermeture de l’aéroport de Sanaa et le blocus imposé à la fois par les Houthis de l’intérieur et par l’Arabie saoudite, de l’extérieur avec le soutien du gouvernement français.
A Sanaa, il y a à manger sur les marchés, mais personne ne peut se permettre d’acheter de la nourriture. Les médicaments sont un autre problème. […] L’aide n’est pas suffisante et il y a le blocus.
Une dernière chose qui est frappante, c’est le nombre de cimetières, je n’en n’ai jamais vu autant de ma vie, à cause de la guerre bien sûr mais aussi en raison du manque de médicaments.
Pourquoi la France et d’autres pays occidentaux ne sont-ils pas intéressés, selon vous, à trouver une solution au Yémen, comme en Syrie ?
Parce que nous ne leur envoyons pas de réfugiés […] donc ce n’est pas un problème pour eux. Deuxièmement, il n’y a pas d’intérêt pétrolier au Yémen. […] Et puis nous n’avons pas de frontière commune avec Israël, donc géopolitiquement ce n’est pas digne d’intérêt.
Des discussions doivent s’ouvrir entre belligérants le 6 septembre à Genève, sous l’égide de l’ONU, qu’en attendez-vous ?
J’espère que ça mènera à quelque chose mais je ne pense pas. La bonne nouvelle, c’est que nous avons un nouvel envoyé de l’ONU au Yémen [le Britannique Martin Griffith, ndlr], qui est mieux perçu par toutes les parties, ce qui est rare. N’oubliez pas que depuis deux ans, il n’y a eu aucune négociation.
La mauvaise nouvelle, c’est que le pays s’est beaucoup fragmenté. Mais surtout je pense qu’il n’y a pas de volonté politique pour mettre fin à la guerre au Yémen, particulièrement de la part des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. Je ne suis pas sûr que le nouvel envoyé de l’ONU a reçu assez de pouvoir de la part de ces pays pour prendre des décisions et résoudre la conflit.
Le gouvernement yéménite et les rebelles, peu importe ce qu’ils veulent. Si vous trouvez un accord entre la France et l’Arabie saoudite et la France et l’Iran, ils partiront aussitôt. C’est pourquoi la France a un rôle à jouer, elle peut jouer les médiateurs. Il faut un accord régional pour résoudre la guerre au Yémen.
RFI