Le Mali est toujours confronté à la menace islamiste et le G5-Sahel peine à prendre le relais de Paris dans la lutte antiterroriste. La France n’est donc pas sortie des sables sahélo-sahariens. Pour Michel Raimbaud, ancien ambassadeur de France dans trois pays africains, elle paye aussi bien ses illusions que celles de ses partenaires africains.
Si Emmanuel Macron a souhaité placer sa tournée en Mauritanie et au Nigeria sous le signe de la fête et de la culture, les questions de sécurité restent au cœur des préoccupations présidentielles et africaines.
Un thème d’autant plus d’actualité que l’arrivée du Président français et de son entrevue avec ses homologues du G5-Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad, Mauritanie) fut précédée par deux attentats au centre et au nord du Mali. Le premier contre le PC de la force conjointe à Sévaré, le second contre des militaires français de l’opération Barkhane à Gao. Des attaques «lâches et odieuses», avait condamné le Président de la République peu après son atterrissage à Nouakchott.
Une série d’attaques perpétrée par le Groupe de soutien à l’Islam et des Musulmans (GSIM), une alliance djihadiste sous la houlette d’Al-Qaïda, rassemblant sous sa bannière des groupes tels qu’AQMI ou Ansar Dine et «dirigée par un certain Iyad Ag Ghali, l’un des leaders des islamistes depuis le début de la crise malienne» précise, Michel Raimbaud, ex-ambassadeur de France en Mauritanie, au Soudan et au Zimbabwe. Celui-ci salue l’intérêt d’Emmanuel Macron pour l’Afrique, un intérêt allant de pair avec le rôle traditionnel de la France et son engagement sécuritaire et militaire contre les groupes terroristes dans cette région du monde, estime-t-il.
Pour ce conférencier, auteur de l’ouvrage Tempête sur le Grand Moyen-Orient (Éd. Ellipses, 2017) nul doute que les terroristes attendent leur heure: aucune armée moderne ne fera de vieux os dans un désert où l’ombre de l’islamisme semble s’être dissipée. Une menace dont la résurgence est d’autant plus à considérer que les liens entre la rébellion touarègue et les islamistes sont ténus. «Il y avait une porosité quasi-totale entre les groupes indépendantistes dit démocratiques et les groupes islamistes,» souligne Michel Raimbaud.
«l’objectif de certaines organisations, plus que l’indépendance de l’Azawad, c’était d’établir un régime islamique fondé sur la Charia à Bamako.»
Janvier 2013, parmi les convois qui fonçaient sur Bamako, au moment du déclenchement de l’Opération Serval par François Hollande en réponse à l’appel du président malien, les insurgés touaregs se mêlaient aux djihadistes d’Ansar Dine, et ce malgré leurs désaccords de fond sur l’application stricte de la Charia.
Simple manque d’appréciation du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) par Paris? Volonté de jouer sur les désaccords entre ces mouvances de la rébellion au Mali? Impossibilité de se passer de ces fins connaisseurs du terrain, afin de tenir une zone vaste comme l’Europe avec à peine 4.000 soldats? Pour Michel Raimbaud, la décision de s’allier au MNLA afin de combattre les djihadistes dans les Ifoghas résulte d’une «illusion, d’une incompréhension du problème», qui n’est pas simplement due à la complexité de la crise malienne.
L’ancien diplomate tient à tordre le cou à des «stéréotypes» concernant l’Afrique qui ont la peau dure sous nos latitudes.
«L’une des grandes erreurs des ex-puissances coloniales- c’est inscrit dans leur ADN, cela fait partie de leur héritage politique et culturel- c’est de considérer qu’il y a une forme de frontière génétique en Afrique entre le monde arabe et le monde africain. Or non, ce n’est pas vrai, le Sahara n’est pas une frontière, c’est une zone de passage et de contact, c’est une “zone vivante” comme disent les Africains.»
Le diplomate précise sa pensée:
«Du point de vue religieux il n’y a pas une Afrique du nord arabe qui serait musulmane —ce qu’elle est- opposée à une Afrique subsaharienne qui ne serait pas musulmane, ce n’est pas vrai, il y a une bonne partie de l’Afrique occidentale, notamment toute la région du Sahel, très très largement islamisée et donc où l’Islam est la religion principale.»
Avoir ignoré le lien entre AQMI et ses racines algériennes, notamment le GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) fait également partie de l’«incompréhension du problème» aux yeux de Michel Raimbaud. Un lot d’erreurs liées à une «approche néocoloniale du continent africain,» estime ainsi l’ancien diplomate qui pointe du doigt la responsabilité dans la crise du Sahel des «bien mal nommées» Révolutions arabes. Un cas de figure tout particulièrement vrai dans le cas de la Libye, où le renversement de Mouammar Kadhafi avait laissé sur le carreau de nombreux cadres de l’armée. Une opération militaire de l’OTAN où la France avait joué un rôle de premier plan.
«Il est clair qu’il n’y aurait jamais eu de crise au Mali s’il n’y avait pas eu la crise en Libye, avec le dénouement que l’on sait, qui avait alimentée en hommes, en armes, en argent, en migrants et en soldats le conflit malien. Cela est très clair.»
Quoi qu’il en soit, la crise malienne, et de manière plus élargie au Sahel, souligne aux yeux de notre expert l’importance pour l’Afrique de se prendre en main. Michel Raimbaud tient notamment à souligner l’expérience, en matière de lutte antiterroriste, des armées mauritanienne et tchadienne.
Néanmoins, le point de blocage demeure la question du financement des opérations. Nerf de la guerre, la problématique inquiète tant la France que les Africains, qui se sont portés garants à hauteur de 25% des financements d’une force africaine, les 75% restant demeurant donc à la charge des Nations unies et d’autres donateurs.
Un effort insuffisant, aux yeux de Michel Raimbaud. Difficile de plaider l’indépendance d’un continent dans de telles conditions, «pour régler le problème, il faut mettre la main au portefeuille» insiste-t-il, rappelant la richesse de certains pays (Nigeria, Afrique du Sud, Égypte, etc.) du continent africain.
«Ce n’est pas un continent misérable et pauvre, je pense qu’il lui faut acquérir son indépendance et assurer sa souveraineté. Une souveraineté, ça se prend, ça ne se quémande pas, ça ne se mendie pas.»
Si l’engagement français pour la sécurité en Afrique n’est pas «déshonorant», pour Michel Raimbaud, ce continent qui a clairement «du mal à se dégager des ex-puissances coloniales et des puissances occidentales», doit apprendre à s’assumer.
«S’ils ne demandaient pas avec insistance aux Européens, à la France ou aux Nations unies d’intervenir et de- surtout —financer, voire d’assurer une présence militaire, le problème de l’indépendance et de l’appropriation des crises et des conflits, de la gestion des affaires africaines par les institutions africaines, ne se poserait pas.»
Trouver une source pérenne de financement pour le G5-Sahel, une problématique qui inquiète également l’ONU. António Guterres, Secrétaire général des Nations unies, avait d’ailleurs déposé un projet de résolution afin que cette force conjointe africaine antiterroriste soit directement financée par le concert des nations. Une initiative qui se heurta au veto des États-Unis. Pour autant, Washington ne rechigne pas à financer bilatéralement le G5S à hauteur d’environ 48 millions d’euros.
Si l’ancien ambassadeur voit dans cette décision américaine une «cohérence» dans la politique de Donald Trump et sa recherche d’unilatéralisme et de défense tous azimuts de ses intérêts, l’ancien ambassadeur prévient toutefois:
«Pour les Africains en tout cas, ce n’est pas très bon d’avoir l’Amérique pour ami, car ce n’est pas un partenaire très fiable. L’Amérique n’a pas d’amis, elle n’a que des intérêts. C’est vrai pour toutes les grandes puissances, mais pour l’Amérique c’est tout particulièrement vrai. Elle n’hésite pas à lâcher un ami —ou les pays qui se considèrent comme ses amis- pour en faire des adversaires si elle le trouve conforme à ses intérêts. Je crois que tous les pays amis devraient tenir compte de cette incertitude sur l’avenir.»
Autre bailleur du G5-Sahel, l’Arabie saoudite, qui a elle seule met sur la table autant que les pays membres de l’Union européenne (100 millions d’euros). Une participation du royaume wahhabite qui interpelle, l’altruisme n’étant pas de mise en relations internationales, mais qui ne surprend pas notre intervenant. Celui-ci rappelle la «proximité» entre cette région du monde et la Péninsule arabique. Pour Michel Raimbaud, soutenir la lutte antiterroriste islamiste au Sahel est une occasion pour Ryad de se racheter.
«Il s’agit de se dédouaner de toutes les accusations qui sont portées contre elle- depuis pas mal d’années déjà- d’avoir contribué à la diffusion du phénomène terroriste.»
Un intérêt pour la région auquel n’échappe naturellement pas la France. Pour revenir au royaume saoudien, comme le souligne l’ancien ambassadeur, Ryad «n’est pas la seule à se dédouaner maintenant des positions prises jadis», d’autant plus qu’en termes de distribution de ses deniers, les Saoud ont parfois fait pire,
«Par rapport aux centaines de milliards qui sont accordés à l’Amérique, je pense qu’accorder une modeste aide de 100 millions de dollars au G5-Sahel ce n’est quand même pas grand-chose… c’est moins que l’argent de poche du Prince Mohammed Ben Salmane.»
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