C’est une course contre la montre. Entre les soldats du Niger, du Mali et du Burkina Faso et les groupes armés terroristes actifs dans les trois pays et affiliés à Al Qaida et l’Etat islamique, environ une petite dizaine de milliers de combattants.
Mercredi, les chefs d’état-major des trois pays membres de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) ont baptisé au Niger une nouvelle force conjointe avec son cadre d’emploi, «un concept opérationnel cohérent et adapté aux exigences de notre espace» et «un schéma des forces». Le général nigérien Moussa Salaou Barmou, qui accueillait ses homologues à Niamey, a affirmé à l’issue des travaux que cette force serait «opérationnelle dans les plus brefs délais.»
Au-delà de leur nouvelle synergie, cruciale pour prendre en tenaille les groupes djihadistes qui évoluent dans les régions frontalières, les armées nationales peuvent aussi compter sur leur maîtrise des airs, renforcée par l’acquisition d’hélicoptères et, surtout, de drones turcs et bientôt peut-être, iraniens, ainsi que sur le renfort en matériel militaire et en hommes de la Russie.
En face, c’est surtout le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM, affilié à Al Qaida) qui dicte le tempo, sous le commandement du Touareg Iyad Ag Ghali, à travers plusieurs katibas maliennes, burkinabè et nigérienne. «Une guerre, ça se prépare», aurait asséné, impitoyable, Iyad Ag Ghali aux anciens maîtres de Kidal, les combattants de la Coalition des Mouvements de l’Azawad, chassés presque sans combattre de leur fief en novembre dernier. En se repliant devant les drones, les chefs rebelles ont réussi à garder leur force presque intacte. Mais ils sont sortis du jeu pour le moment, ruminant leur défaite. Les plus amers d’entre eux rejoignent le GSIM.
Pression d’Al Qaida au sud du Mali
Iyad, lui, mène sa guerre comme un marathon. Il faut dire que c’est un professionnel. Il n’a pratiquement jamais rien fait d’autre de toute sa vie.
Délaissant le nord où il a été battu, son groupe se concentre sur de nouvelles régions, toujours plus proches de Bamako : le Sahel occidental et le sud, Sikasso, Kayes, Koulikoro, Niono. Il garde l’initiative et multiplie les attaques complexes. Pour renflouer ses caisses et s’approvisionner en recrues et en matériel, il continue de libérer des otages occidentaux. Le 27 février, trois otages italiens ont retrouvé la liberté après deux ans de captivité. Leur prix, selon la rumeur : 20 millions d’euros. Certains observateurs pensent qu’il prépare une nouvelle vague d’attaques complexes impliquant des kamikazes.
Dans le centre du Mali, une situation de ni paix ni guerre s’installe, avec des poches de calme et d’autres de conflictualité, en fonction des priorités opérationnelles de la grande filiale du GSIM dans le delta central, la Katiba Macina, la plus nombreuse des unités combattantes. Milices communautaires et chasseurs dozos continuent d’être une cible privilégiée. Le nombre de victimes parmi eux a triplé en 2023.
Pour le moment, le septentrion est abandonné aux forces armées maliennes et à ce qui reste de Wagner, en cours d’absorption par Africa Corps, avec son sillage de mort et de destructions. Mais l’Algérie, en froid avec Bamako, vient de mener des manoeuvres militaires de grande ampleur à la frontière le 27 février, comme pour rappeler la ligne rouge aux autorités maliennes.« Tempête du Hoggar 2024 » s’est déroulé dans la Bordj Badji Mokhtar, une zone désertique très proche du bastion d’Iyad Ag Ghali. L’exercice était supervisé par le chef d’état-major de l’armée algérienne en personne, le général Saïd Chanegriha.
Montée en puissance des frappes de drone
Au Niger, la situation est stable. L’ennemi, ici, c’est surtout l’Etat islamique, qui continue à taxer les populations. Il s’est déplacé un peu vers l’est, vers le nord de la région de Dosso et le sud de celle de Tahoua. Il poursuit ses activités, continue de cibler les forces de sécurité nationales, de placer des engins explosifs improvisés sur les routes et s’attaque, à l’occasion, aux convois de ravitaillement provenant du Burkina et du Mali. Le GSIM, une extension de la katiba Macina sur la rive droite du fleuve Niger, venant du Burkina, ne semble avoir ni reculé ni progressé non plus.
Les frappes de drones en augmentation nette font parfois des victimes civiles à côtés des djihadistes visés. L’armée nigérienne a reconnu, pour la première fois, une de ces bavures au sud de Tera, dans la zone minière de Gotheye, en janvier. Mais les drones devraient être de plus en plus utilisés car ils permettent d’épargner la vie des soldats.
Après plusieurs mois de trêve, l’Etat islamique et Al Qaida se sont affrontés tous récemment ces dernières heures, dans la région des trois frontières, à Intilit au Mali. C’est une bonne nouvelle pour les armées nationales car la trêve a permis aux deux groupes de se renforcer et de se concentrer contre les cibles militaires. En fin d’année d’ailleurs, ils avaient mené des attaques coordonnées qui auraient coûté la vie à 200 soldats.
A l’inverse, il y a quelques jours, tentant de prendre le camp de Labezanga, à la frontière nigéro-malienne, l’Etat islamique a subi de très grosses pertes sous le feu des armées malienne et nigérienne agissant de manière coordonnée.
Au Burkina Faso, un fleuve de sang
Des combattants djihadistes secourent des enfants après un massacre dans un village du Burkina Faso, mars 2024
Le maillon le plus faible de la région est, depuis plusieurs mois déjà, le Burkina Faso, toujours au bord de la submersion. L’armée burkinabè s’appuie sur le renfort de milliers de volontaires (volontaires pour la défense de la patrie, VDP) pour affronter l’ennemi, qui contrôle de très vastes territoires dans le nord et l’est du pays. Ansaroul Islam est ici le groupe le plus puissant et le plus nombreux, frère de la katiba Macina malienne qui jouxte la frontière et avec laquelle il mène parfois des opérations.
Les civils payent un très lourd tribut et les massacres dans les villages se multiplient. Les derniers en date ont été commis le 25 février dans le département de Thiou, province du Yatenga, à la frontière nord-ouest puis, il y a quelques jours, dans l’est du Burkina Faso, côté Niger, dans la province de la Komondjari. Sur le premier événement, le procureur du Burkina Faso du tribunal de grande instance de Ouahigouya a ordonné une enquête. Dans son communiqué, rendu public le 1er mars, il évoque «des attaques meurtrières massives» dont le bilan provisoire d’ensemble s’élève à «environ 170 personnes exécutées.» Il a saisi la police judiciaire et lancé un appel à témoins. Plusieurs sources, dont des rescapés, y voient une action de représailles de l’armée burkinabè et des VDP après une attaque djihadiste contre leurs rangs. Le second massacre pourrait être le fait d’une unité de l’armée burkinabè contre un village soupçonné de complaisance avec les djihadistes. Plusieurs images désespérantes ont circulé sur les réseaux sociaux : elles montrent de très jeunes enfants hagards au milieu de dizaines de cadavres, surtout de femmes et d’enfants, à même le sol. Sur une autre vidéo, des combattants djihadistes peuls tentent de les réconforter, leur donnent de l’eau à boire puis les emportent sur leurs motos.
Dans le Global Terrorist Index 2024, le Burkina Faso est désormais le pays le plus touché par les attaques terroristes, devant l’Afghanistan et Israël. Depuis la création de cette publication, il y a treize ans, «c’est la première fois qu’un pays autre que l’Afghanistan ou l’Irak est en tête de l’index. Environ 2000 personnes ont péri dans des attaques terroristes au Burkina Faso au cours de 258 incidents, soit près du quart du total de tous les décès par terrorisme dans le monde. En 2023, les morts du terrorisme ont augmenté de 68%, bien que les incidents aient diminué de 17%.»
En janvier 2024, l’analyste Héni Nsaibia, pour ACLED (Armed Conflict Location and Event Data Project), a d’ailleurs prédit une nouvelle page mortelle au Sahel après dix ans de conflit. S’appuyant sur les données collectées par ACLED, il souligne la dégradation de la situation au Sahel central qui franchit de nouveaux records de violence. En 2023, affirme-t-il, le Burkina Faso se place juste après le Nigéria en termes de personnes tuées dans le cadre de violences politiques. Ce chiffre, pour tout le Sahel central, a progressé de 38% en 2023 et le nombre de civils tués de plus de 18%. Selon lui, ces tendances devraient se poursuivre en 2024, «dans un contexte d’escalade de la guerre contre-insurrectionnelle contre les tactiques toujours plus agressives des insurgés.» Il estime, lui, à plus de 8000 morts le nombre de tués au Burkina Faso «dans un conflit national qui atteint des proportions de guerre civile».
Héni Nsaibia décrit également un triplement des violences commises par les mercenaires de Wagner au Mali pendant cette même année 2023 «impliqués dans des meurtres de centaines de civils, la destruction d’infrastructures et le pillage, qui ont déclenché des déplacements massifs de population.» L’auteur estime que plus de 100 000 nouveaux déplacés pourraient arriver en Mauritanie dans les prochains mois, fuyant les régions frontalières. Quant au Niger, dont la situation, dit-il, s’était «légèrement améliorée» avant le coup d’Etat, il et redevenu une cible plus fréquente des attaques de l’Etat islamique au Sahel, conduisant à un pic de victimes militaires et civiles. « La réponse des forces nigériennes a été proactive et transfrontalière, s’engageant dans des opérations au sol et des frappes aériennes à l’intérieur du territoire malienne pour cibler les bastions de l’Etat islamique au Sahel.»
En 2024, écrit l’auteur, on devrait continuer d’assister à une escalade militaire dans les trois pays gouvernés par des juntes, qui ont décidé d’écraser les groupes djihadistes par la force.
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