L’ancien conseiller du président de la République dans le domaine du suivi-évaluation des politiques et stratégies de développement et de la gestion de l’aide extérieure au sein de la Mission de développement et de coopération, Modibo Mao Makalou, nous livre son expertise sur la réforme monétaire. Dans cet entretien exclusif, il épluche la problématique du franc CFA et démontre, arguments à l’appui, que la politique monétaire ne peut se substituer à une politique de développement. Notre interlocuteur du jour est titulaire d’un MBA International Business obtenu aux Etats-Unis d’Amérique, plus précisément à The American University de Washington, D.C et une Maîtrise en sciences économiques de l’Université de Montréal. Entretien !
Le Prétoire : La déclaration du président Alassane Dramane Ouattara annonçant la fin du FCFA répond-elle aux aspirations économiques des pays de l’Uemoa ?
Modibo Mao Makalou : Le Président Alassane Dramane Ouattara, Président en exercice de la Conférence des Chefs d’État de l’Union économique et monétaire ouest africaine, annonçait en compagnie de son homologue français, Emmanuel Macron, le lancement en 2020 de la monnaie ECO en remplacement du franc CFA en Abidjan, le samedi 21 décembre 2019 en ces termes : “Par un accord avec les autres chefs d’État de l’Uemoa, nous avons décidé de faire une réforme du franc CFA avec les trois changements majeurs suivants : Tout d’abord, le changement du nom de la monnaie du franc CFA à l’éco.
Deuxièmement, l’arrêt de la centralisation de 50% de nos réserves de change au Trésor et la fermeture du compte d’opération.
Troisièmement, le retrait des représentants de la France de tous les organes de décision et de gestion de l’Uemoa.” Rappelons que l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa) rassemble les 8 pays de l’Afrique de l’Ouest ayant en partage le franc CFA, a pour objectif principal l’intégration économique et financière des pays membres et l’amélioration des conditions de vie des populations.
Qu’est-ce que cette réforme va changer pour les détenteurs du FCFA qui se demandent depuis cette annonce quelle sera la valeur de cette nouvelle monnaie vis-à-vis de l’euro ? N’est ce pas une dévaluation qui ne dit pas son nom ?
Cette réforme n’apportera aucun changement majeur dans l’immédiat pour les détenteurs de Franc CFA car les billets et pièces en F CFA restent valides et ceux de l’eco ne seront pas disponibles avant au moins 2 ans. Aussi, la parité fixe est maintenue 1 euro=655,957 F CFA=655,957 éco pour le moment. Ce qui permet aux pays de l’Uemoa d’échapper aux risques de change associés aux fluctuations des monnaies internationales, en l’occurrence l’euro qui est la monnaie de son 1er partenaire commercial, l’Union Européenne.
Les pays de l’Uemoa peuvent-ils garantir la stabilité monétaire et la protection contre l’inflation ?
Malgré un contexte international difficile, la croissance économique de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa) s’est améliorée et constitue la deuxième meilleure performance en Afrique après la Communauté des États de l’Afrique de l’Est (CAE). Elle a dépassé 6% en 2018 pour la septième année consécutive, malgré une détérioration des termes de l’échange (exportations des produits bruts et importation des produits manufacturés) et la persistance des défis multiformes dans certains pays membres. Toutefois, cette croissance doit être inclusive en vue d’améliorer le niveau de vie des populations.
Notons qu’en Afrique, à l’exception notable du franc CFA utilisé par 14 pays africains, dont le taux de change fixe est rattaché à l’euro, la plupart des monnaies africaines ont perdu 20 à 40% de leur valeur par rapport au dollar depuis le début de 2015 selon la Banque africaine de développement.
Parlant de l’indépendance monétaire, si les pays de l’Uemoa ne déposent plus des réserves au trésor français, pourquoi l’ancienne puissance coloniale se propose de garantir la nouvelle monnaie ?
La libre convertibilité du FCFA était garantie par le compte d’opérations ouvert auprès du Trésor français et sur lequel la Bceao avait un droit de tirage illimité en cas d’épuisement de ses réserves de change. En contrepartie de ce droit de tirage, la Bceao devait déposer sur le compte d’opérations 50 % de ses avoirs extérieurs nets (réserves de change).
Les comptes macroéconomiques de l’Uemoa sont satisfaisants au regard des normes internationales. Selon le Fonds Monétaire International (FMI 2019), les termes de l’échange défavorables ont contribué à une hausse du déficit du compte courant extérieur de nombreux pays africains qui ont épuisé leurs réserves de change.
La dette publique et le service de la dette se sont accrus, reflétant les niveaux encore élevés des déficits budgétaires et d’autres opérations des trésors nationaux. Cependant, la couverture des réserves de change en mois d’importations est passée de 3,9 en fin 2017 à 4,3 en fin 2018 au sein de l’Uemoa, tandis que les normes internationales requièrent 3 mois d’importations pour indiquer la solidité d’une monnaie.
Depuis la mise en œuvre des accords de coopération monétaire actuels (1973), le compte d’opérations n’a été débiteur temporairement que cinq fois depuis 1973, le solde étant créditeur de manière ininterrompue depuis janvier 1994, démontrant ainsi la solidité du franc CFA.
Cette garantie ne donne-t-elle pas un droit de regard à la France dans la gestion de cette nouvelle monnaie ?
La Bceao est l’Institut d’émission commun des Etats membres de l’Umoa et de l’Uemoa, chargé notamment d’assurer la gestion de leur monnaie commune, le Franc de la Communauté Financière Africaine (FCFA), de leurs réserves de change et de mettre en œuvre la politique monétaire commune.
L’Accord de Coopération monétaire signé entre l’Umoa et la France en décembre 1973 est toujours en vigueur même si son contenu a fait l’objet de révisions ces dernières années y compris la fermeture récente du compte d’opérations de la Bceao ouvert auprès du trésor français. De plus, la France devient le garant de dernier ressort de l’éco actuel pour maintenir sa parité fixe avec l’euro même si les représentants français ne siègent plus dans les organes de gouvernance de la Bceao (conseil d’administration, comité de politique monétaire et commission bancaire).
La pérennité des accords de coopération monétaire après la mise en place de l’euro est garantie par la décision du conseil européen du 23 novembre 1998 n° 98/683/CE “concernant les questions de change relatives au franc CFA et au franc comorien”.
En quoi la réforme du F CFA peut-elle booster le développement économique de la zone Uemoa ?
Afin d’accélérer l’intégration régionale et le développement de leurs pays, la politique monétaire ne peut se substituer à une politique de développement holistique et durable. Les pays de l’Union économique et monétaire de l’Afrique de l’ouest (Uemoa) doivent donc continuer à améliorer la viabilité des finances publiques à long terme et financer davantage les économies nationales et les infrastructures.
Etant la troisième économie de l’espace Uemoa, quel comportement le Mali doit adopter pour faire face à cette réforme pour maintenir sa position ?
Dans le cadre du pacte de convergence et de surveillance multilatérale de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa) et de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’ouest (Cedeao), le Mali respecte 3 critères sur 5 objectifs pour l’Uemoa et 4 critères sur 8 objectifs pour la Cedeao.
Les performances macroéconomiques au Mali étaient favorables en 2019. Le taux de croissance économique restait important en 2019, soit environ 5%, nonobstant un recul de 0,3 point de pourcentage par rapport à 2018 (5,3℅). Toutefois, sa forte croissance démographique (avec un taux de fécondité de 6 enfants par femme en 2017) et le changement climatique représentent des risques importants pour l’agriculture et la sécurité alimentaire du pays, selon la Banque Mondiale.
L’économie malienne fait montre de résilience et le taux de croissance prévisionnel sera soutenu grâce aux secteurs agricole et tertiaire. Toutefois, la stabilité du cadre macroéconomique, les chocs exogènes, les effets néfastes du changement climatique et la dégradation de la situation sécuritaire et humanitaire resteront des défis importants pour le Mali à court et moyen termes.
Quelle stratégie le gouvernement du Mali doit mettre en place avec cette réforme pour soutenir l’économie nationale et promouvoir les investissements ?
Dans le cadre de la relance de l’économie, l’accent devrait être mis sur les stratégies de politique économique suivantes: l’amélioration des facteurs de production (la formation des ressources humaines, les infrastructures de base et l’accès au crédit à un coût abordable du secteur privé), l’accroissement de la base productive de l’économie et la diversification des exportations dans le but de réduire la dépendance du pays à l’égard des secteurs minier et cotonnier (90℅ des exportations du Mali en 2018) ; et enfin le renforcement des actions orientées vers l’amélioration du cadre des affaires et de la sécurité judiciaire et juridique en vue d’inciter l’accroissement des investissements directs étrangers et privés nationaux.
Entretien réalisé par Nouhoum DICKO
Source: Le Prétoire