Le 13 juin 2025 marque une étape charnière dans le vaste chantier de refondation de la justice malienne : l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure pénale. Portée par une volonté manifeste de redonner à l’institution judiciaire toute sa crédibilité et son efficacité, cette réforme s’inscrit dans un processus plus large de transformation du système judiciaire, voulu par les autorités de la Transition et mis en œuvre sous la houlette du ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Garde des Sceaux, Mamadou Kassogué.
À l’occasion de la 3e édition de l’émission « Mali Kura Taasira » sur l’ORTM, le dimanche 15 juin, le ministre Kassogué est revenu longuement sur les réformes engagées, les défis persistants et les résultats déjà enregistrés dans la sphère judiciaire. Un échange instructif au moment où le citoyen malien réclame une justice plus proche, plus équitable, et surtout plus performante.
Une justice en mutation profonde
Bamada.net-Le ministre Kassogué n’a pas mâché ses mots : la justice malienne est en pleine transformation, et cela ne va pas sans grincements de dents. “La justice constitue le dernier rempart contre les abus multiformes dont peuvent être victimes les citoyens”, a-t-il rappelé, insistant sur la complexité des attentes et la perception ambivalente que les citoyens entretiennent vis-à-vis de la justice.
Selon lui, cette méfiance résulte en grande partie d’un manque de compréhension des mécanismes judiciaires. “Souvent, les gens jugent la justice à l’aune de leurs intérêts personnels, oubliant qu’elle intervient dans des domaines hautement sensibles : la liberté, la vie, la dignité, les biens…”, a-t-il martelé.
Pour autant, les signes d’un regain de confiance sont palpables. À en croire les données du baromètre Mali-Mètre, la cote de popularité de la justice est passée de 26,30 % en 2021 à 75 % en 2025. Une progression spectaculaire, même si le ministre reconnait que les 25 % restants sont dus à la difficulté pour le grand public de saisir les subtilités des décisions judiciaires, souvent complexes et sujettes à controverses.
Une réforme portée par des textes et des institutions
Le chantier est colossal. En quelques années, plus d’une dizaine de textes majeurs ont été adoptés, allant du statut de la magistrature, à la loi organique de la Cour suprême, en passant par le nouveau Code pénal et désormais le nouveau Code de procédure pénale.
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En parallèle, sept nouvelles structures spécialisées ont vu le jour pour renforcer l’efficacité du système :
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Le Pôle judiciaire spécialisé contre la cybercriminalité
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Le Pôle national économique et financier
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L’Agence de recouvrement et de gestion des avoirs saisis
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Une Cour administrative d’appel
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Une nouvelle École nationale de l’administration pénitentiaire
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Une direction nationale des droits de l’Homme
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Un parquet antiterroriste distinct du Tribunal de la Commune VI
Ces structures permettent non seulement de traiter des dossiers spécifiques (terrorisme, cybercriminalité, corruption…), mais aussi de décongestionner les juridictions classiques tout en renforçant la spécialisation des magistrats.
Un nouveau Code, un nouveau cap
Avec l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure pénale, l’objectif est de moderniser l’action judiciaire, d’alléger certaines procédures tout en renforçant les droits de la défense et la célérité dans le traitement des dossiers.
Selon le ministre, “toutes les infractions prévues sont désormais appliquées dans les juridictions”, preuve d’une volonté d’implémentation immédiate et rigoureuse. L’ambition est claire : rapprocher davantage la justice du justiciable et rompre avec les lenteurs procédurales souvent décriées.
Lutte contre la corruption : plus de 400 milliards recouvrés
Sur le front de la lutte contre la corruption et la délinquance économique, les résultats sont plus qu’encourageants : plus de 400 milliards de F CFA ont été recouvrés, régularisés ou versés sous forme de dommages-intérêts. Ce chiffre, révélé à la clôture de la 3e Semaine de la justice, témoigne de l’engagement du département à éradiquer l’impunité.
Le ministre a également mis l’accent sur le contrôle interne, à travers la systématisation des missions d’inspection : 16 juridictions, 16 maisons d’arrêt et 4 pénitenciers agricoles ont été inspectés, démontrant une nouvelle rigueur dans la gestion des institutions pénitentiaires.
Des effectifs renforcés, mais encore insuffisants
L’un des plus grands défis reste le manque de ressources humaines. Le Mali comptait jusqu’à récemment seulement 499 magistrats pour près de 23 millions d’habitants, soit un ratio largement en deçà des standards internationaux (1 magistrat pour 10 000 habitants).
Pour combler ce déficit, des recrutements massifs ont été engagés :
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316 auditeurs de justice
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240 greffiers en chef
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125 agents de l’administration pénitentiaire
Une dynamique rendue possible, selon le ministre, grâce à l’engagement du président de la Transition, qui a exigé des concours transparents et sans quotas, rompant ainsi avec des pratiques de cooptation et de favoritisme autrefois répandues.
Désengorgement des prisons et équipements renforcés
Sur le plan pénitentiaire, des transfèrements massifs ont permis de réduire la surpopulation à la Maison centrale d’arrêt de Bamako, passée de 4 500 détenus en 2023 à 3 750 en 2025. Par ailleurs, les efforts de formation et de dotation ont été substantiels :
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363 magistrats formés
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100 greffiers, 124 OPJ, 22 interprètes
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20 987 matériels et mobiliers de bureau distribués, dont près de 3000 pour les juridictions de l’intérieur.
Pas de restrictions des libertés, selon le ministre
Interpellé sur les critiques relatives à d’éventuelles restrictions des libertés, le ministre a été catégorique : “aucune loi n’a été adoptée pour restreindre les libertés fondamentales”. Les dissolutions de partis politiques ou d’associations, selon lui, répondent uniquement aux recommandations issues des Assises nationales de la refondation, dans une logique de rationalisation du paysage politique.
“Les seules fois où l’État est intervenu, c’est quand l’exercice des libertés violait la loi”, a-t-il souligné, dénonçant les procès d’intention.
Une justice en marche… mais encore sur la corde raide
La justice malienne est donc à la croisée des chemins. Si les réformes engagées sont saluées par de nombreux observateurs, le chantier reste encore vaste. L’amélioration de la perception des citoyens, la consolidation de l’indépendance des magistrats, la rapidité dans le traitement des dossiers et le respect strict des droits humains restent des défis permanents.
Mais pour le ministre Kassogué, une chose est claire : “le Mali est en train de bâtir une justice crédible, respectée, au service du peuple, et non des puissants”.
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MLS
Source: Bamada.net