Selon notre chroniqueur, le président s’efforce d’impliquer les pays du Sahel dans la lutte anti-djihadiste, mais c’est bien la France qui demeure en première ligne.
Chronique. En critiquant sur le sol africain, qui plus est devant les parlementaires d’un pays voisin (la Tunisie), l’intervention de l’OTAN en Libye en 2011, le président français, Emmanuel Macron, a accompli, jeudi 1er février, un geste diplomatique fort. Mais pourra-t-il vraiment échapper à ce qui ressemble à une forme de fatalité pour la France en Afrique : l’unilatéralisme, même contre son gré ?
Depuis des années, en effet, la France affirme haut et fort que l’époque où elle tenait le rôle de « gendarme de l’Afrique » est révolue, sans parvenir dans les faits à tourner la page. En Côte d’Ivoire de 2002 à 2011, en Libye en 2011, au Mali et en Centrafrique en 2013 : la liste des interventions françaises – certes sous parapluie du Conseil de sécurité de l’ONU – continue de s’allonger.
Le cas de François Hollande est, à cet égard, presque caricatural. À son arrivée à l’Elysée, en mai 2012, celui-ci n’avait qu’une phrase à la bouche : « C’est aux Africains d’assurer eux-mêmes leur sécurité. » Quelques mois plus tard, il donnait l’ordre à l’armée française d’intervenir en urgence au Mali pour barrer la route de Bamako aux groupes djihadistes. Si plusieurs contingents africains s’engouffrèrent dans son sillage, c’est bien la France qui monta seule en première ligne, flanquée d’un unique véritable allié local, le Tchad.
Depuis son accession au pouvoir, Emmanuel Macron a repris la même antienne : la France est là pour soutenir ses partenaires africains. Le président multiplie les efforts, diplomatiques et financiers, pour tenter de donner corps à la force du G5 Sahel, mobilisant les bailleurs de fonds, poussant le président du Mali, Ibrahim Boubacar Keïta, à sortir de sa léthargie, critiquant à mots couverts l’Algérie pour ses ambiguïtés… Mais c’est bien la France, encore et toujours, qui est à la manœuvre dans cette affaire.
Un passé encore chaud
Il y a sept ans, alors que l’intervention militaire occidentale battait son plein en Libye, les dirigeants du continent avaient appelé les Occidentaux à cesser les combats pour tenter de trouverun compromis politique avec Mouammar Kadhafi. Idriss Déby Itno et Mahamadou Issoufou, les présidents du Tchad et du Niger, disaient alors ouvertement craindre le pire en cas d’effondrement total de la Libye. Ils ne furent pas écoutés. Kadhafi fut balayé et le chaos s’installa durablement. Et pas seulement en Libye.
Aujourd’hui encore, s’ils savent gré à la France d’avoir lancé l’opération « Serval » en 2013, plusieurs dirigeants de la région gardent une forme d’amertume vis-à-vis de Paris : ils lui reprochent d’avoir laissé des centaines de combattants touaregs quitter les rangs de l’armée de Kadhafi pour rallier sans encombre le nord du Mali. Or, quelques mois plus tard, une nouvelle insurrection éclatait dans cette zone, débouchant sur la pire crise qu’ait connue ce pays depuis l’indépendance… puis sur l’opération militaire française. Aux yeux de ces dirigeants, c’est donc bien l’intervention en Libye qui a précipité le chaos au Mali.
Emmanuel Macron dit aujourd’hui avoir tiré les enseignements de ce passé encore chaud et vouloir se garder du piège de l’unilatéralisme. Mais alors que l’application des accords d’Alger patine au Mali et que les attaques y sont quasi quotidiennes contre les forces de Bamako et les casques bleus de la Minusma, pourra-t-il échapper à la tentation de vouloir imposer son propre rythme et de prendre des décisions unilatérales afin d’éviter un enlisement effectivement mortifère ?
Obligation politique ou morale
Non seulement les armées locales manquent toujours de moyens, notamment sur les plans logistique et du renseignement, mais, danger autrement redoutable, certaines d’entre elles manquent aussi cruellement de détermination. Le Mali, épicentre de la crise sahélienne, en donne une illustration : alors que les désertions se multiplient dans son armée, l’incurie de la hiérarchie militaire comme la corruption qui règne dans les allées du pouvoir sont désormais ouvertement dénoncées par une partie de la troupe. Comme en 2012, avant le coup d’État contre l’ancien président Amadou Toumani Touré.
Que fera la France, demain, si le pouvoir légal de Bamako devait être à nouveau déstabilisé, poussant ainsi les groupes armés du nord et du centre du pays à redoubler leurs attaques ? Au-delà des accords de défense bilatéraux, la présence militaire dans un pays ami (ou dans une région) crée presque naturellement une forme d’obligation : politique quand un dirigeant demande à Paris d’intervenir (comme au Mali en 2013) ou morale quand le chaos s’installe et menace de tourner au massacre (en Centrafrique fin 2013).
Aujourd’hui, une course est engagée entre, d’une part, les groupes qui multiplient les coups de boutoir contre le pouvoir au Mali et, d’autre part, les pays qui tentent de mettre sur pied une force capable de les combattre. Et au milieu la France, principal acteur étranger, qui a délibérément choisi d’être présente et active dans cette zone. Avec le risque, en cas de nouveau coup dur, d’être encore et toujours en première ligne.