Lors d’une conférence de presse avec son homologue tunisien Kaïs Saïed, le président français Emmanuel Macron a dénoncé ce lundi le « jeu dangereux » de la Turquie en Libye, y voyant une menace directe pour la région et pour l’Europe.
Pour Emmanuel Macron, la Turquie joue aujourd’hui en Libye « un jeu dangereux » et contrevient « à tous ses engagements pris lors de la conférence de Berlin ». Le chef de l’Etat français a précisé avoir tenu « le même discours » lors d’un entretien téléphonique lundi après-midi avec le président américain Donald Trump. « Il en va de l’intérêt de la Libye, de ses voisins, de toute la région mais également de l’Europe », a-t-il ajouté selon l’AFP.
Lors de sa conférence de presse conjointe avec son homologue tunisien Kaïs Saïed, Emmanuel Macron a aussi appelé à ce « que cessent les ingérences étrangères et les actes unilatéraux de ceux qui prétendent gagner de nouvelles positions à la faveur de la guerre » en Libye.
La Turquie est devenu le principal soutien international du gouvernement d’union nationale (GNA) de Tripoli, qui a repris début juin le contrôle de l’ensemble du nord-ouest de la Libye en faisant reculer les forces du maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’est du pays. Les forces du GNA visent désormais la ville côtière de Syrte (450 km à l’est de Tripoli), verrou stratégique vers l’Est contrôlé par le maréchal Haftar.
Samedi, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, principal soutien du maréchal avec les Emirats arabes unis, a prévenu que toute avancée des pro-GNA vers Syrte pourrait entraîner une intervention « directe » du Caire. Le GNA, reconnu par l’Onu, a dénoncé comme une « déclaration de guerre » les menaces de l’Egypte.
Le ton ne cesse de monter entre Paris et Ankara, la France accusant la Turquie de fournir des armes au GNA en violation d’un embargo des Nations unies et d’avoir eu un comportement « extrêmement agressif » à l’encontre d’une de ses frégates en Méditerranée le 10 juin dernier. La Turquie accuse de son côté Paris de soutenir le maréchal Haftar et d’être le « sous-traitant de certains pays de la région » dans la crise libyenne, une allusion aux Emirats et à l’Egypte.
« La France et la Tunisie demandent ensemble que les belligérants cessent le feu et tiennent leur engagement de reprendre la négociation engagée dans le cadre des Nations unies en vue de restaurer la sécurité de tous, de procéder à la réunification des institutions libyennes et d’engager la reconstruction au bénéfice de tous les Libyens », a ajouté Emmanuel Macron devant la presse au côté de Kaïs Saïed, dont c’était la deuxième visite officielle à l’étranger, après l’Algérie, depuis son élection en octobre.
Revenant sur les récents incidents navals en mer Méditerranée qui ont opposé la France et la Turquie, le président français a estimé qu’ils étaient la « démonstration » de la « mort cérébrale » de l’Otan, dont les deux pays sont membres. « Tant que nous continuerons, membres de l’Otan, Européens, parties prenantes de ce sujet, à être faibles dans nos propos ou à manquer de clarté, nous laisserons le jeu des puissances non coopératives se faire », a estimé Emmanuel Macron. « Je ne veux pas dans six mois, un an, deux ans, avoir à constater que la Libye est dans la situation de la Syrie d’aujourd’hui ».
Les États-Unis envisagent une solution pacifique
Des réactions en chaine, en Libye et à l’international, se sont succédées suite au discours au ton martial prononcé samedi 21 juin par le président égyptien Abdel Fattah el Sissi et dans lequel il n’exclut pas la possibilité d’intervenir directement en Libye. Mais c’est la position américaine qui semble la plus étonnante. Une nouvelle fois, les États-Unis ont changé d’avis en ce qui concerne la crise libyenne.
Les récentes menaces égyptiennes d’intervenir en Libye semblent avoir poussé les Américains à rééquilibrer leur position. Après avoir fermé les yeux sur l’implication turque, ou plutôt, après l’avoir approuvé implicitement pour contrer la Russie en Méditerranée, Washington penche à nouveau vers une solution pacifique à la crise.
Durant les dernières 48 heures, les déclarations se sont multipliées aux États-Unis appelant à un cessez-le-feu immédiat en Libye. Dimanche, l’appel est venu du conseil de sécurité national américain, directement rattaché au président Trump. Lundi, c’était au tour du département d’État américain de se prononcer pour un arrêt «stratégique» des combats en Libye et à la fin de toutes les ingérences étrangères.
Le général Stephan Townsend, chef du commandement américain pour l’Afrique ((AFRICOM)) a été dépêché en Libye où il a rencontré brièvement lundi le chef du conseil d’État libyen Fayez al Sarraj entouré de ses généraux. La rencontre, à huis-clos, a eu lieu à l’aéroport de Zouara près de la frontière tunisienne.
Les Américains ont transmis au GNA, selon le communiqué de l’ambassade américaine à Tripoli, leurs craintes que la violence actuelle ne participe au retour en Libye d’al-Qaeda et de l’organisation de l’État islamique.
La Ligue arabe tiendra mardi au Caire un sommet extraordinaire à propos de la Libye. Le GNA a refusé d’y participer. L’Egypte, soutenue par au moins 14 pays, accordera probablement le siège de la Libye au sein de la Ligue arabe à Aguila Saleh, chef du parlement installé à Tobrouk.
RFI