L’initiative du président de l’Assemblée nationale de demander à la Cour constitutionnelle le report des législatives ne fait pas unanimité aussi bien dans le landerneau politique qu’au sein de l’opinion. Alors que la majorité présidentielle et une partie de l’opposition sont favorables à ce report, d’autres mouvements politiques prônent plutôt le respect des délais constitutionnelsPrévues en novembre-décembre 2018, les élections législatives pourraient de nouveau être reportées. La demande de ce report a été faite par le président de l’Assemblée nationale à la Cour constitutionnelle qui y a répondu favorablement par son avis 2018-02/CCM du 12 octobre 2018. Cet avis évoque «des raisons de force majeure» et la «nécessité d’assurer le fonctionnement régulier de l’Assemblée nationale».
Ainsi, la cinquième législature, qui devait s’achever le 31 décembre, pourrait être prolongée de six mois. Suffisant, estime-t-on dans les couloirs du parlement, pour mieux organiser cette consultation, engager les réformes institutionnelles prévues dans l’Accord de paix et lénifier les tensions politiques. Cependant, l’initiative du président de l’Assemblée nationale ne fait pas unanimité aussi bien dans le landerneau politique qu’au sein de l’opinion nationale. Alors que la majorité présidentielle et l’opposition de Soumaïla Cissé sont favorables au report des législatives, d’autres mouvements politiques (YELEMA et CODEM notamment) prônent plutôt le respect des délais constitutionnels.
Mais au-delà des divergences de vues sur la pertinence du report, c’est surtout l’ambivalence de la Cour constitutionnelle qui irrite. L’institution avait, en effet, émis sur le même sujet un avis défavorable, en réponse à la saisine par le Premier ministre. Aussi, s’est-elle référée à l’article 85 de la Constitution, dans son deuxième avis, pour donner son «quitus» au président de l’Assemblée nationale de proroger le mandat des députés. Ce qui est une «forfaiture», «une fraude à la Constitution», qualifie Souleymane Koné, vice-président des Forces alternatives pour le renouveau et l’émergence (FARE An Ka Wuli », interrogé par nos confrères de L’Indépendant.
Sans le dire ouvertement, Boubacar Boubou Dicko, vice-président de l’Alliance «Ensemble pour le Mali (EPM)» et non moins président de l’Union pour un mouvement populaire de changement (UMPC) indexe l’incohérence de la Cour. «S’il y avait cas de force majeure à évoquer, elle aurait pu le dire dans la première saisine», estime-t-il, déplorant un autre «aspect gênant», celui de dire à «l’Assemblée nationale de prendre une loi organique» pour entériner cet avis de report. «Quand tu évoques la Constitution, tu ne peux plus parler de loi organique. Autrement dit, une loi organique est comme un décret d’application des dispositions constitutionnelles», explique M. Dicko, convaincu que la Cour a juste renvoyé à la responsabilité des politiques.
Sur le fond, Boubacar Boubou Dicko estime que notre pays est dans un processus transitionnel et qu’on ne devrait pas être rigide sur des valeurs demandées à une République en situation de normalité. Selon lui, il y a beaucoup de contraintes auxquelles le gouvernement est confronté. Là, il faisait allusion à l’opérationnalisation des nouvelles régions administratives, notamment leur représentation à l’Assemblée nationale et la nécessité de conduire les réformes imposées par l’Accord de paix. Politiquement, s’interroge-t-il, est-ce qu’il est opportun de renouveler le mandat d’une Assemblée appelée à céder le pas à un parlement bicaméral ? «Ce qui est important, c’est d’aller vers la mise en œuvre des réformes, construire le Mali», a-t-il conclu.
Cette perspective de reporter les législatives enchante l’opposition dirigée par Soumaïla Cissé, candidat malheureux à l’élection présidentielle. «Pour le moment, il n’y a qu’un simple avis de la Cour constitutionnelle. On attend les actes législatifs nécessaires au report», dit Me Demba Traoré, un responsable influent de l’URD. Dans la foulée, il affirme qu’aucune élection régulière, transparente et démocratique ne peut être organisée avant que ne «soient corrigées les graves insuffisances constatées lors de la présidentielle».
Pour sa part, l’opposant Nouhoum Togo rappelle que le mandat des députés a été prorogé en 2012 sur la base d’un consensus politique des acteurs.
Et, aujourd’hui encore, cette démarche devrait prévaloir, en engageant un véritable débat sur tous les sujets d’intérêt national. « Il est important que les gens s’asseyent pour discuter de l’avenir de la nation, parce que le Mali n’appartient ni à la droite ni à la gauche ».
A l’opposé de ces acteurs, il y a ceux qui prônent le respect pur et simple des délais constitutionnels. Plus virulente, la Convergence pour le développement du Mali (CODEM) est entrée dans une colère bleue. Son président Housseïni Amion Guindo dit Poulo a appelé le chef de l’Etat «à respecter la Constitution et à faire respecter la Constitution». Dans un communiqué rendu public le 16 octobre dernier, ce parti a exprimé son «rejet total» de toute tentative de prorogation des mandats qui «sera acquise par le biais d’une collusion avérée entre l’exécutif, le législatif et la Cour constitutionnelle, au détriment de notre démocratie».
Housseïni Amion Guindo et ses camarades fustigent aussi le fait que la Cour constitutionnelle s’est «dédite en l’espace de quelques jours» et promettent qu’ils «combattront de toutes leurs forces» cette violation flagrante de la Constitution.
Le ton est autant rugueux du côté du parti YELEMA (le changement). Pour l’ancien Premier ministre Moussa Mara, quelle que soit la pertinence des arguments avancés, «cette situation constitue un échec pour le gouvernement et conduit à un vide qui ne saurait être couvert par un quelconque acte juridique ou judiciaire». De ce fait, le parti a réitéré sa position exprimée pour le maintien à la date constitutionnelle de la tenue des élections législatives et se dit opposé, par principe, au report du scrutin en vue.
Les élections législatives étaient initialement prévues le 28 octobre pour le premier tour et le 18 novembre pour le second. Mais en septembre, le gouvernement les avait déjà reportées d’un mois, respectivement au 25 novembre et 16 décembre, en raison de la grève des magistrats qui ne permettait pas aux candidats d’avoir certaines pièces pour déposer leurs dossiers à la Cour constitutionnelle.
Issa DEMBÉLÉ
L’Essor