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Éditorial: NAUFRAGES

La série noire des drames de la migration se poursuit en Méditerranée. Les corps de 62 migrants ont été repêchés, vendredi dernier en Libye, après le naufrage la veille de leur embarcation au large de la ville de Khoms. C’est la pire depuis le début de l’année selon l’ONU. Le nombre de migrants présents à bord de l’embarcation ayant coulé dans la nuit de mercredi à jeudi demeure incertain. Selon les sources, les chiffres varient.

 

L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) annonce que quelque 145 personnes ont été secourues, tandis que 110 étaient portées disparues au large de la Libye. La marine libyenne évoquait 134 rescapés et 115 disparus. L’ONG Médecins sans Frontières (MSF) en Libye estimait de son côté que près de 400 personnes se trouvaient à bord du bateau.

La confusion autour du nombre des naufragés illustre bien le chaos dans lequel la Libye est plongée. Depuis la chute de Kadhafi en 2011, le pays est livré à des luttes de pouvoir entre différents groupes armés. En l’absence de contrôle par un pouvoir central, cet immense territoire est devenu la source de tous les périls qui agitent l’espace saharo-sahélien. Des trafiquants de tout poil y ont posé leurs bagages. Du coup, la plupart des chemins menant en Europe convergent vers la Libye, où les passeurs opèrent sous la protection des groupes armés qui en tirent des subsides.

Dans ce contexte de Far West, rien n’est épargné aux migrants. Le pays est aujourd’hui le théâtre de drames humains à répétition, liés à la migration. Le monde entier a été frappé de stupeur après la révélation par les médias d’un marché aux esclaves à ciel ouvert.

Après les condamnations de principe, l’émotion est retombée en attendant le prochain drame qui est survenu récemment avec le bombardement d’un centre de détention faisant des dizaines de victimes.

La répétition des drames ne semble avoir aucun effet, ni sur la détermination des migrants, ni sur les réseaux mafieux ayant pignon sur rue en Libye. Pas plus que les nombreuses initiatives, africaines et européennes, visant à diminuer le flux des candidats. L’expérience du co-développement, malgré quelques success story, ne semble pas donner les résultats escomptés. Aussi, se font attendre les résultats du partenariat euro-africain lancé à la suite du sommet de La Valette tenu en 2015 et ayant réuni dirigeants européens et africains autour de la migration. A la suite de ce sommet, a vu le jour la nouvelle alliance « Afrique-Europe pour des emplois et des investissements durables ». Un budget de 4,95 millions d’euros (environ 3,2 milliards de Fcfa) a été mis en place pour le financement de projets d’études prioritaires dans les domaines de l’ingénierie, de l’agriculture, de l’hôtellerie.

Européens et Africains ont jugé que l’investissement dans ces trois domaines permettra de résorber en partie le problème de l’inadéquation entre la formation et l’emploi. Les Européens mettent la main à la poche avec l’idée de créer des opportunités d’emplois censés fixer les jeunes africains chez eux. Pour les Africains, l’intérêt réside dans la perspective d’une insertion socio-économique de la masse des jeunes qui frappent à la porte du monde de l’emploi.

Des deux côtés, l’idée est moins de stopper complètement le flux migratoire que d’arrêter l’enchaînement des drames de l’émigration. Pour l’Afrique, la manne financière drainée par la diaspora est une bouffée d’oxygène impossible à négliger. La BCEAO estime à 437,2 milliards de Fcfa l’apport de la diaspora malienne en 2019.
L’Europe vieillissante a besoin de la force de travail des jeunes migrants qui y débarquent. Mais l’équation pour les dirigeants du vieux continent, c’est de ne pas laisser se développer chez leurs concitoyens le sentiment d’être envahis par l’arrivée des migrants. La médiatisation à outrance crée le sentiment que les mouvements migratoires vers l’Europe sont massifs.

Or c’est seulement en 2015 que les arrivées en Europe ont atteint un pic de un million. Il s’agissait en majorité de réfugiés syriens. Quant aux Africains, ils constituent une infime minorité parmi les migrants en Europe. Les statistiques montrent que plus de 80% des migrants africains restent sur le continent et ils sont près de 19 millions.

Ces réalités sont masquées par le traitement médiatique qui présente les quelques dizaines de cas comme un mouvement massif de jeunes africains, partis coloniser l’Europe. Des leaders populistes surfent sur cette fausse impression et gagnent des élections un peu partout en Europe. Européens et Américains – heureusement pas tous – sont tentés de se barricader. Ceux qui cèdent à cette tentation semblent oublieux que leurs ancêtres ont colonisé des terres d’Afrique et d’Amérique à la recherche d’espace vital.

La mobilité est inhérente à la nature humaine. Aller chercher une meilleure existence ailleurs a toujours fait partie de l’histoire de l’humanité. Ce ne sont pas les murs et les politiques xénophobes qui arrêteront le mouvement.

B. TOURÉ

L’Essor

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