La réforme de l’enseignement de 1962
En 1886, Joseph Galliéni ouvre l’école des otages à Kayes à l’image de celle de Louis Faidherbe au Sénégal. En 1895, le nouveau gouverneur du Soudan, Louis E. Trentinian, transforme l’école des otages en école de fils de chefs, pour former des interprètes et des commis. Cette école coloniale redoutée et rejetée, qui allait directement à l’encontre des idéaux traditionnels, est aujourd’hui réclamée au Mali, au point de ne plus arriver à satisfaire la demande.
Justifications de la réforme
L’initiative de réorganiser les systèmes éducatifs africains est née lors de la conférence d’Addis-Abeba sur l’éducation, en 1961. La première réforme de l’enseignement au Mali a donc vu le jour en octobre 1962. Selon Diambomba (1980), « après près d’un siècle de colonisation, le bilan de l’enseignement était insuffisant au Mali, avec une discrimination volontaire de la scolarisation des filles, neuf Maliens sur dix ne savaient ni lire ni écrire, environ 88/100 enfants ne partaient pas à l’école. Les cadres supérieurs étaient insuffisants avec trois docteurs vétérinaires, une douzaine de professeurs, huit à dix docteurs en médecine générale ; trois pharmaciens ; une douzaine d’hommes de droit, de rares ingénieurs pour une masse de 4 300 000 citoyens ». S’est alors fait sentir l’urgence de réviser son contenu et ses buts, et de créer un système d’éducation qui répondrait aux nécessités nationales.
Objectifs de la réforme
La réforme du système éducatif malien avait pour but de s’attaquer aux aspects qualitatifs et quantitatifs de l’enseignement, à travers cinq objectifs : un enseignement tout à la fois de masse et de qualité ; un enseignement qui puisse fournir avec une économie maximum de temps et d’argent tous les cadres nécessaires au pays pour ses divers plans de développement ; un enseignement qui garantisse un niveau culturel permettant l’établissement d’équivalences de diplômes avec les autres États modernes ; un enseignement dont le contenu soit basé non seulement sur les valeurs spécifiquement africaines et maliennes mais aussi sur les valeurs universelles ; enfin, un enseignement qui décolonise les esprits.
La structure de l’enseignement changea alors, avec un enseignement fondamental, un enseignement secondaire général, un enseignement technique et professionnel, l’enseignement supérieur, l’éducation spéciale, l’enseignement normal et l’alphabétisation. La réforme de 1962 voulait mettre en place une formation adaptée aux réalités du pays et aux exigences du développement scientifique et technologique. Elle permit à beaucoup d’enfants en âge scolarisable d’aller à l’école, et aux autres de bénéficier des programmes d’alphabétisation.
Cependant, en dépit de ce changement d’esprit de l’école malienne après l’indépendance, la réforme rencontra un certain nombre de difficultés. En effet, malgré la volonté affichée, les contenus d’enseignements n’étaient pas adaptés aux réalités du pays. L’enseignement resta plus théorique que pratique car il est difficile d’obtenir un enseignement de qualité avec des classes à effectif pléthorique. Les expériences d’enseignement dans les langues nationales, initiées à travers le pays dans certaines écoles depuis les années 1980, demeurèrent timides et sources de nombreuses discordances.
Les réformes suivantes ont ensuite visé la révision et l’adaptation des objectifs de la réforme de 1962, en fonction des nouvelles réalités maliennes et mondiales.
La nouvelle école fondamentale (NEF)
Le système éducatif malien ne parvenant pas à atteindre tous les objectifs fixés en 1962, la restructuration de l’école fondamentale malienne et de son administration s’imposait : c’est la conceptualisation de la « nouvelle école fondamentale » (NEF) à la suite des journées de réflexion du 27 au 30 octobre 1994. La NEF avait pour finalité de «faire de l’école malienne le lieu d’émergence du citoyen patriote et bâtisseur d’une société démocratique, profondément ancré dans sa culture et ouvert aux autres cultures, maîtrisant les savoir-faire populaires et apte à intégrer les connaissances et compétences liées au progrès scientifique et à la technologie moderne… ». Cette finalité fut reprise par la Loi d’orientation sur l’éducation de 1999.
Cette réforme était caractérisée par un tronc scolaire commun, visant à supprimer toute dichotomie entre éducation formelle et éducation non formelle et à mettre en place un ensemble de disciplines et de contenus d’enseignement permettant de faire acquérir à tous les enfants, à travers un multilinguisme fonctionnel, des compétences les rendant capables de s’insérer dans le système de production moderne et de s’adapter aux impératifs de changement de l’environnement. Des modules furent créés, parmi lesquels les activités locales, le renforcement scolaire, l’environnement, la création et l’expression, les activités sportives approfondies, la gestion du quotidien et de l’infrastructure collective, la maintenance des outils et des appareils, les artisanats non implantés localement et les techniques nouvelles.
Mise en œuvre de la NEF
La mise en œuvre de cette réforme se fondait sur des options stratégiques :
-décentralisation de l’éducation de base, afin de donner aux collectivités territoriales un pouvoir de gestion des établissements scolaires ;
-renforcement de l’utilisation des langues nationales dans l’enseignement fondamental, afin de former des enfants bilingues ;
-développement du préscolaire, afin de mieux préparer les enfants à affronter l’environnement scolaire au moment de la scolarisation ;
-élaboration et mise en œuvre d’une véritable politique de formation initiale et continue du personnel enseignant, pour combler les insuffisances d’effectifs et de personnel ;
-promotion de la production de manuels scolaires ;
-mise en place d’un système de partenariat véritable autour de l’école et détermination des ressources humaines, matérielles et financières nécessaires ainsi que des critères de leur gestion ;
-liaison étroite entre l’enseignement primaire, secondaire et supérieur pour une meilleure harmonisation et une cohérence du système éducatif ;
-élaboration d’une politique de communication interne et externe aux différents départements de l’école malienne.
Cette nouvelle réforme de l’éducation de base, mal planifiée et précipitée, ne dura que quatre années. Les failles révélées lors de sa mise en œuvre, notamment l’insuffisance de matériel, de ressources humaines et les mauvais résultats des élèves, conduisirent à son abandon et à la mise en place d’une autre réforme, qui concernerait l’ensemble du système éducatif.
Le Programme décennal de développement de l’éducation (PRODEC)
Le Programme décennal de développement de l’éducation (Prodec) était la planification stratégique de la politique nationale de refondation de l’ensemble du système éducatif malien de 1998 à 2008. Le Prodec s’articulait autour d’un axe référentiel – un village, une école et/ou un centre d’éducation pour le développement (CED) – et de onze axes prioritaires : une éducation de base de qualité pour tous ; un enseignement professionnel adapté aux besoins de l’économie ; un enseignement secondaire général et technique rénové et performent ; un enseignement supérieur de qualité répondant à des besoins prioritaires et aux coûts maîtrisés ; une utilisation des langues maternelles dans l’enseignement formel concomitamment avec le français ; une politique du livre et du matériel didactique opérationnel ; une politique soutenue de formation des enseignants ; un partenariat véritable autour de l’école ; une restructuration et un ajustement institutionnel nécessaires à la refondation du système éducatif ; une politique de communication centrée sur le dialogue et la concertation avec tous les partenaires ; une politique de financement soutenue, rééquilibrée, rationnelle et s’inscrivant dans la décentralisation. De l’éducation de base à l’enseignement supérieur, ces onze axes ont repris les objectifs de la réforme de 1962 de manière plus détaillée, plus ambitieuse et plus contextuelle.
La Loi n° 99-046 du 28 décembre 1999 portant loi d’orientation sur l’éducation fut votée pour mettre en œuvre ce nouveau programme et clarifier la finalité et les nouveaux objectifs de la politique nationale dans le domaine de l’éducation et de la formation, notamment dans son article 11 :
(…) le système éducatif malien a pour finalité de former un citoyen patriote et bâtisseur d’une société démocratique, un acteur du développement profondément ancré dans sa culture et ouvert à la civilisation universelle (…).
À ce titre, il s’agissait, entre autres, de faire acquérir à l’apprenant, dans chaque ordre d’enseignement, des compétences lui permettant de s’insérer dans la vie active ou de poursuivre ses études : entraîner l’apprenant à connaître et à pratiquer les obligations d’un membre actif d’une société démocratique respectueuse de la paix et des droits fondamentaux de l’homme et du citoyen ; créer et stimuler chez l’apprenant l’esprit d’entreprise et de protection de l’environnement.
Outre ces objectifs, le Mali s’était fixé notamment l’amélioration du taux brut de scolarisation et l’alphabétisation des jeunes déscolarisés et non scolarisés âgés de 9 à 15 ans. Afin d’atteindre les objectifs fixés, les autorités maliennes ont mis en place le Programme d’investissement sectoriel de l’éducation (PISE), qui s’est étalé sur trois phases successives (2001-2005, 2006-2009 et 2010-2012). Les objectifs visés par le PISE étaient, entre autres :
-le développement de l’enseignement fondamental à travers l’amélioration de l’encadrement de la petite enfance ;
-des taux brut et net de scolarisation ;
-l’éducation spéciale ;
-une bonne couverture en matière d’alphabétisation ;
-la formation et le recrutement d’enseignants dans tous les ordres d’enseignement ;
-une redynamisation de l’enseignement secondaire, avec de nouvelles filières et de nouvelles disciplines et l’atteinte d’un ratio élève/classe de 50 en 10e année ;
-un enseignement supérieur rénové, avec une meilleure gestion des effectifs et répondant aux exigences de la mondialisation (notamment le système LMD), la modernisation des infrastructures et le développement de la recherche scientifique.
L’état des lieux de ce programme montre certaines avancées, comme l’amélioration des taux de scolarisation et d’alphabétisation, la réforme du lycée, avec de nouvelles filières, la mise en œuvre du système LMD, encore en expérimentation dans certaines facultés. Cependant, nombreux sont les objectifs qui n’ont pas été atteints, comme la gestion des effectifs étudiants, qui reste disproportionnée malgré la scission de l’Université de Bamako en quatre établissements, ainsi que l’insuffisance d’enseignants et de matériels de travail à tous les niveaux. Les difficultés rencontrées lors des premières phases ont engendré des retards dans l’ensemble de l’exécution du programme.
Le curriculum de l’enseignement fondamental
À travers le Prodec, le Mali a entamé une approche curriculaire par compétences, dans le but d’améliorer la qualité de son système éducatif. La Loi d’orientation sur l’éducation de 1999 définit le curriculum comme « l’ensemble des dispositifs (finalités, programmes, emplois du temps, matériels didactiques, méthodes pédagogiques, modes d’évaluation) qui, dans le système scolaire et universitaire, permet d’assurer la formation des apprenants ». Le curriculum intègre les besoins éducatifs fondamentaux des apprenants, en impliquant les communautés dans la définition de ces besoins et la détermination des contenus d’apprentissage, afin de mieux lier l’école à la vie. MAIGA et al. (2012) indiquent que « le curriculum de l’enseignement fondamental a été mis à l’essai à partir de 2002. Plusieurs évaluations ont été faites et ont été soumises au forum national sur le curriculum de l’enseignement fondamental organisé en mars 2008. Les conclusions de ce forum, qui ont souligné les difficultés, les acquis et les nouvelles orientations, ont été examinées par le Forum national sur l’éducation tenu les 30 et 31 octobre et les 1er et 2 novembre 2008. » Sa conception, sa mise à l’essai et son suivi-évaluation étaient assurés par le Centre national de l’éducation (CNE), la Direction nationale de l’éducation de base (DNEB), des partenaires techniques et financiers dans le cadre du PISE, les académies et l’ONG World Education.
Le curriculum, qui est la suite logique de la pédagogie convergente (l’utilisation des langues nationales dans l’enseignement fondamental), a été mis à l’essai dans 80 écoles à pédagogie convergente. Le niveau I (1re et 2e années) du curriculum a connu en octobre 2005 un début de généralisation sur 2 550 écoles, avec 11 langues nationales. Dans l’esprit du curriculum, l’accueil des enfants en 1re année se fait en langue nationale ainsi que l’essentiel de la première année. Le français est introduit en 1re année sous forme orale, comme langue de communication scolaire ou langue seconde. En deuxième année, on consolide l’apprentissage de l’écrit en langue nationale, et on apprend à lire et écrire en français. En troisième année, l’enseignement de la langue nationale comme matière doit se poursuivre jusqu’en neuvième année.
Le curriculum rencontre un certain nombre de difficultés, notamment en ce qui concerne l’utilisation des langues nationales, qui suscite des débats depuis plusieurs années, ainsi que la formation et le recrutement des enseignants, l’insuffisance de matériels didactiques, etc. Les langues nationales sont utilisées dans l’enseignement fondamental depuis 1979, au motif que l’enfant apprend et comprend mieux et plus vite dans sa langue maternelle. Cependant, cette utilisation souffre de nombreuses insuffisances telles que les effectifs trop élevés dans les salles, la mauvaise formation des enseignants, la non adhésion des parents d’élèves, etc. Selon LOUA (2016), 75 % des parents d’élèves de Bamako et 96 % des parents ayant un niveau d’études supérieures sont défavorables à l’utilisation des langues nationales dans l’enseignement fondamental. Le constat général révèle un échec de cette innovation, qui avait pour objectif de rehausser le niveau des écoliers maliens.
La bonne exécution du curriculum suppose d’avoir les bonnes ressources éducatives. Outre la relecture du curriculum et la dotation des écoles en manuels, l’une des mesures recommandées par le forum sur l’éducation en 2008 porte sur la formation des enseignants.
L’approche par compétences
L’approche par compétences vise à développer les compétences des apprenants en en tenant compte au moment de l’élaboration des programmes. Dans le curriculum, la compétence est définie comme étant « un ensemble de savoirs, de savoir-faire, de savoir-être constatés et mesurés, permettant à une personne d’accomplir de façon adaptée une tâche ou un ensemble de tâches ». Selon Cros et al. (2010), « la conception malienne de la réforme curriculaire par compétences est fondée sur les compétences “disciplinaires”, “transversales”, “de vie”, comprenant une approche globale et intégrée de l’apprentissage, un décloisonnement des disciplines et leur regroupement en “domaines”, un apprentissage basé sur la démarche de résolution de problèmes se fondant sur la liaison entre l’école et la vie pour donner du sens aux apprentissages scolaires ». L’enseignant change de rôle et devient un facilitateur pour l’acquisition des compétences, en créant un environnement favorable à l’apprentissage. L’approche par compétences a été adoptée car les résultats des apprenants maliens n’étaient plus satisfaisants depuis plusieurs années. À l’image de plusieurs pays de la sous-région, il fallait trouver une méthodologie d’enseignement et d’apprentissage en rapport avec les innovations antérieures.
Cependant, les difficultés d’application de cette réforme curriculaire par l’approche par compétences sont nombreuses. Les enseignants dénoncent notamment l’insuffisance de formations adéquates, de matériels, de temps, de ressources humaines. Beaucoup d’acteurs font une confusion entre la pédagogie convergente et l’approche par compétences, car la convergence entre les langues nationales et le français n’est pas clairement élucidée. Selon Cros (2010), la non prise en compte de la réforme curriculaire dans la formation initiale des enseignants fait que les jeunes enseignants formés à l’enseignement classique se retrouvent démunis dans des écoles, sans formation par rapport à la nouvelle approche et dans des classes aux larges effectifs. La grande mobilité du personnel enseignant affecté dans les classes du curriculum et majoritairement constitué de contractuels est une difficulté majeure, qui désorganise les écoles et fragilise la mise en œuvre du curriculum.
La réforme licence-master-doctorat (LMD)
Le Mali a institué le système LMD dans son enseignement supérieur public par le décret n° 08-790/RM du 31 décembre 2008, pour répondre aux exigences de la mondialisation en matière d’enseignement supérieur. La faculté des sciences et techniques a été choisie comme faculté pilote, avec un début de généralisation prévu pour 2011. Naparé (2011) cite le ministre malien de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, selon lequel « la réussite du LMD dépendra de son appropriation par tous les partenaires, de l’élaboration des offres de formation, de l’amélioration des conditions de vie et de travail des enseignants ». Malgré les difficultés rencontrées au cours des trois premières années à la faculté des sciences et techniques, en raison de problèmes d’organisation et du non achèvement des années universitaires, la généralisation du système a commencé en 2011, avec la scission de l’Université de Bamako en quatre universités et celle de Ségou. Chacune applique le système LMD à sa manière ; les années universitaires ne commencent et ne terminent jamais ensemble ni au même moment pour la même université.
De nombreuses difficultés de mise en œuvre, notamment l’insuffisance d’enseignants, de matériels, de documents, de laboratoire, d’Internet, de formation, etc., poussent les enseignants à demander régulièrement de meilleures conditions de travail. Le cas de la faculté des sciences humaines et des sciences de l’éducation, où le système LMD a été mis en place en 2014-2015, en est une illustration. Le système LMD n’apportera une amélioration de l’enseignement supérieur que si des moyens humains, matériels et financiers adéquats sont mobilisés.
L’école malienne a connu plusieurs réformes et innovations pédagogiques dans le but de l’améliorer et de l’adapter aux enjeux éducatifs nationaux et internationaux. Cependant, les efforts consentis pour ces réformes n’ont pas été couronnés de succès, en raison de l’immensité des besoins. Les autorités politiques et scolaires doivent œuvrer ensemble et mettre l’accent sur l’augmentation des taux de scolarisation, le recrutement d’enseignants, l’amélioration de l’efficience ainsi que sur l’efficacité interne et externe des structures éducatives, le développement de la recherche scientifique, une meilleure gestion des ressources, le renforcement de la décentralisation de l’éducation. Les actions d’alphabétisation doivent être renforcées, car les taux bruts et nets de scolarisation sont certes satisfaisants mais encore éloignés des objectifs de l’éducation pour tous. Ainsi, en 2013, le taux brut de scolarisation du Mali était de 81,5 % avec 89,1 % pour les garçons et 74 % pour les filles. Le taux net de scolarisation était de 62,1 % au niveau national avec 68 % pour les garçons et 56,4 % pour les filles. Avec une mobilisation des ressources humaines de qualité et une gestion efficiente, l’école malienne pourra atteindre ses objectifs à court, moyen et long terme.
* Seydou LOUA
Seydou Loua est enseignant chercheur au département des sciences de l’éducation de l’Université des lettres et des sciences humaines de Bamako. Malien de nationalité, il est titulaire d’un doctorat en sciences de l’éducation de l’Université Lumière Lyon 2, et d’un diplôme de psychopédagogie de l’École normale supérieure de Bamako. Actuellement, ses recherches portent sur les politiques éducatives.
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