Dr. Abdoulaye Sall, président de Cri-2002 et président du comité de pilotage de l’atelier de la Fondation Tuwindi sur la Co-construction de la 4è République, revient sur l’atelier, l’importance des débats et la forte participation des jeunes et des femmes. Selon lui, pour finir avec les crises récurrentes liées à la Constitution, le pays doit se doter d’une Constitution qui répond aux réalités du moment.
Mali-Tribune : Que peu-t-on retenir de l’atelier de co-construction?
Dr. Abdoulaye Sall : Satisfaisant surtout avec la forte participation des jeunes et des femmes. Ceci est extrêmement important, on pouvait compter à peu près 80 % de jeunes et de femmes. Donc, vous trouvez ces couches aussi importantes se réunir autour d’un atelier pendant 3 jours, pour parler de la Constitution du Mali et de la loi électorale. Je pense que cela est frappant et marquant. Ça montre l’intérêt que les Maliens et Maliennes portent aujourd’hui pour que le pays puisse sortir de cette anormalité d’origine transitoire et aller résolument à un régime démocratique issu des élections régulières, justes et transparentes.
Mali-Tribune : Pourquoi les révisions constitutionnelles ne sont pas faciles au Mali ?
Dr. A. S. : Pour la simple raison que vous devez d’abord savoir que la constitution est le fondement de l’Etat. Qui parle de fondement politique de l’Etat parle de l’organisation de la démocratie et de l’Etat de droit. Et quand vous parlez de fondement politique de l’Etat, ça veut dire que les révisions constitutionnelles ou l’adoption d’une fonction résulte indiscutablement d’abord de l’élection, qu’on appelle le référendum. Quand on parle de référendum, cela veut dire qu’il s’agit de convenir sur des questions importantes de la nation et qui divisent des Maliens ou qui unissent les Maliens.
Donc, si vous voyez l’histoire politique du Mali de 1960 à ce jour, ça a été une évolution politique, à commencer par l’éclatement de la Fédération du Mali en 1960 d’où est née la constitution du 22 septembre 1960, adoptée lors d’un congrès extraordinaire du parti au pouvoir à l’époque. Cette constitution date du 22 septembre 1960 et c’est cette date qui est retenue comme date d’indépendance du Mali. La constitution est à la foi un document politique, juridique, institutionnel, économique, financier, culturel, social et environnemental.
C’est toutes ces questions qui doivent être réglées et régulées. La vie démocratique et l’Etat de droit sont consignés dans la constitution c’est-à-dire les valeurs, les principes et les règles du jeu. Mais, dès la première République, il y a eu un Coup d’état au Ghana avec le renversement de Kouame Kroumah en 1967. Le régime de 1967 s’est durci avec la création de ce qu’on appelle le Conseil national de défense de la révolution mis en place dans toutes les institutions de la République avec également l’émergence des ministres populaires. Ceci a amené la dissolution de l’Assemblée nationale.
Ce qui a abouti au coup d’État du 19 novembre 1968. C’était 14 jeunes officiers aussi, le plus gradé était commandant, le reste était des capitaines et des lieutenants. Vous savez ce que cela sous-entend comme conflit interne donc déjà, c’est vrai le 2 juin 1974, il y a eu la constitution de la deuxième République, mais les conflits étaient tels entre ce qu’on appelait les faucons et ce qu’on appelait les colombes au sein de ce comité militaire.
Le 28 février 1978, il y a eu la victoire des colombes, le clan de Moussa Traoré sur les faucons c’est-à-dire Kisma Tounkara et de Tiécoro Bagayogo. C’est dans cette condition qu’a été créée l’Union démocratique du peuple malien (UDPM) en 1979. Dans la constitution du 2 juin 1974, il est dit que la première institution de la République est le parti unique constitutionnel qui est l’Union démocratique du peuple malien. Or tous les Maliens ne se retrouvaient pas dans ce parti unique national. Après, il y a eu la révolution du 26 septembre 1991. Après la conférence nationale, la troisième République est née à l’issue du référendum du 12 janvier 1992. Au Mali, les trois constitutions découlent d’une situation de crise.
On aurait espéré qu’après le 26 mars 1991, après le retour du pays à la normalité démocratique et républicaine, que les querelles intestines, partisanes, politiciennes se seraient tues mais, dès 1999-2000, les premières tentatives de révision du Président Alpha Oumar Konaré ont été rejetées par la population. Les gens se sont opposés. Le parti au pouvoir et l’opposition n’ont pas eu d’accord.
Aujourd’hui, ce qui était proposé comme modifications dans la fonction comme par exemple la réduction du nombre des institutions comme la suppression de la Haute Cour de Justice, la création d’une Cour des Comptes et des Cours de Comptes au niveau des régions, la création d’un sénat, etc. ; sont les mêmes problèmes et les mêmes demandes qui sont formulées 21 ans après. Si on avait vraiment accepté à l’époque de prendre à la fois en compte la dimension politique, juridique, économique, sociale et culturelle par la création d’un sénat, le problème n’allait pas ressurgir.
Je pense que la corruption et l’impunité n’allaient pas atteindre le niveau que nous connaissons aujourd’hui. Mais, pour des questions politiques, cette révision n’a pas eu lieu et nous avons aujourd’hui les conséquences.
Avec Amadou Toumani Touré, c’était la même chose. J’étais moi-même ministre des Relations avec les Institutions. A l’époque, on avait carrément bouclé les révisions constitutionnelles en août 2011. Il restait seulement de faire le référendum. Ma position était claire à l’époque où j’étais dans le gouvernement. Je tenais à ce qu’on fasse le référendum tel qu’adopté par l’Assemblée nationale. Donc, on aurait dû faire ça avant décembre 2011. Le choix du gouvernement a été de coupler le référendum avec l’élection présidentielle.
Or, ces deux types d’élections sont totalement différents avec des enjeux différents. Le référendum, c’est sur les questions importantes de la nation. Donc, ce n’est pas une question de choisir un homme ou une femme pour telle ou telle fois pour l’élection présidentielle ou législative, c’est choisir des hommes ou des femmes pour être Président de la République ou être député.
Mali-Tribune : Est-ce que vous pensez que nous avons une constitution rigide ?
Dr. A. S. : Aujourd’hui, je me pose la question si c’est la constitution qui est rigide ou bien c’est les Maliens et Maliennes qui sont rigides. Vous faites une révolution après 23 ans de régime de parti unique constitutionnel et après une conférence nationale. On pouvait comprendre les réticences jusqu’à 5 ans après mais, ne pas vouloir adapter votre constitution à l’évolution du pays, de la situation politique parce que cette constitution que vous avez aujourd’hui vous ne pouvez même pas changer une virgule ou mettre un point quelconque, si vous ne passez pas par référendum alors vraiment je vous retourne votre question si c’est la constitution qui est rigide ou bien les Maliens et Maliennes qui sont rigides ?
Mali-Tribune : Le moment est-il propice pour relire la constitution ?
Dr. A. S. : Je ne parlerai pas de bon moment ou de mauvais moment. J’ai toujours dit, de mon point de vue, que le vrai nom de la démocratie, c’est la crise. On ne peut pas être dans un pays qui veut construire la démocratie, l’Etat de droit et qu’il n’y ait pas de crise. Mais, quand vous prenez la crise aussi, elle est à la fois un danger et une opportunité. Donc, le danger auquel nous faisons face aujourd’hui. Comment transformer cela en opportunité pour une fois au moins. Nous, Maliens, soyons rigides, combinés voir réussir cette révision constitutionnelle d’abord. Il ne faut pas faire simultanément avec la réforme politique parce que c’est la constitution qui doit alimenter les réformes électorales ou autres. Il faut mettre une dose de proportionnel si ce n’est pas prévu dans la constitution.
Mali-Tribune : Quelle est la plus-value apportée par cet atelier ?
Dr. A. S. : La plus-value apportée est la forte participation des jeunes et des femmes. C’est extrêmement important. Ils ont pris le concept de co-construction qui est une vision sur plusieurs années.
Sur les 122 articles de la constitution du 25 février 1992, au cours de ces 3 jours, 53 articles ont fait l’objet d’amendement. Pour aller vers la flexibilité, la non rigidité de la caution, ils ont également identifié des domaines qu’on ne peut pas toucher sans référendum mais de domaines moins intangibles que l’on peut toucher par voie législative. Ça veut dire que la révision se fait au niveau de l’Assemblée nationale. Donc ce sont déjà des innovations importantes. Par exemple, on ne peut pas toucher à la forme républicaine de l’État, on ne peut pas toucher à deux mandats uniques.
Personne ne peut faire plus de deux mandats de président de la république. On peut parler également du fait que les pousses militaires ou le renversement anti démocratique du régime en place également pour toucher à ce domaine. Il faut nécessairement un référendum si on doit par exemple changer une virgule ou bien pouvoir dire comment on peut inclure les jeunes et les femmes pour accéder aux portes électorales ou aux portes administratives. On n’a pas besoin d’un référendum pour ça, parce qu’un référendum est une élection qui demande des milliards, ces milliards de F CFA peuvent servir à construire des écoles et pas mal de centres de santé, etc.
Mali-Tribune : Qu’est ce qui sera fait de ces résultats?
Dr. A. S. : Je suis président du comité de pilotage de l’exercice maintenant. Je pense que demander à Tidiani Togola, CEO de la fondation Tuwindi. Je pense qu’ils se feront le devoir de pouvoir remettre ça officiellement aux autorités de la transition. Maintenant après avoir remis toutes les distinctions, il y a un devoir de redevabilité de contrôle citoyen et j’espère qu’ils vont suivre pour que leurs recommandations soient prises en compte à la conception et l’élaboration de la révision concernée.
On parle de révision, on ne parle pas de nouvelle République. Je le dis chaque fois, les autorités actuelles ont des mandats nominatifs et n’ont pas de mandat électif. C’est vraiment important, vous avez votre véhicule le moteur est carrément en panne, vous devez le changer vous n’avez pas les moyens pour le changer mais, les moyens que vous avez, vous permet de réviser le moteur le temps d’avoir l’argent pour pouvoir carrément le changer.
Je pense qu’aujourd’hui la mission de la transition, c’est de nous amener à réviser cette constitution, faire des élections générales. Quand on parle d’élections générales c’est l’élection du Président de la République et les députés et remettre le pouvoir au nouveau président. Il revient à celui-ci de s’engager dans le processus et les procédures d’une quatrième République parce qu’il aura en ce moment pas un mandat nominatif mais un mandat électif.
Propos recueillis par
Aminata Agaly Yattara
Source: Mali Tribune