L’insigne auteur comique avait pris le parti de dénoncer les travers de son époque par la dérision, en faisant rire son public. Dans ce registre, il pouvait aborder les sujets les plus délicats. Les pratiques de nature à influer sur la société, les attitudes déviantes des couches devant servir de modèles étaient croquées à gros traits. Si le petit peuple s’en gaussait, l’élite impliquée ne s’y trompait guère et jaugeant les critiques à leur juste valeur, elle usait de son autorité pour les faire taire. Les ordres religieux n’ont point échappé au regard de l’homme de lettres et l’un de ses personnages est passé à la postérité par le fait qu’il caractérise un comportement décalé par rapport à son apparence et aux propos dont il entretient son entourage.
La nature profonde de l’homme évoluant peu à travers les âges, des attitudes similaires en viennent à constituer quelques fois des excroissances dans la vie d’une communauté. Le devoir d’éveil de la conscience collective auquel il est fait alors appel dans un contexte musulman répond aux prescriptions de la foi. « Je vous ai distingué parmi les peuples comme étant le meilleur. En effet vous ordonnez le convenable, vous interdisez le blâmable… et concourez aux bonnes œuvres » (3 :110-114). L’application de cet enseignement peut revêtir diverses formes. La presse locale a ainsi rapporté il y a peu, des incidents qui avaient mis aux prises des responsables de la communauté musulmane, supposés être des leaders d’opinion. Le motif, des plus banals, tenait à une situation pécuniaire. La publicité donnée à l’incident avait fait sourciller les vrais leaders.
Un adage populaire venu d’ailleurs invite à faire la distinction entre l’accoutrement et la réalité qu’il doit incarner. Par contre dans notre environnement, l’apparence a tendance à être perçue autrement. Un dicton courant n’affirme-t-il pas sous nos latitudes que c’est sur votre apparence que seront déterminées les conditions auxquelles vous aurez à traverser le fleuve ? Ainsi est étiqueté «homme de savoirs» tout individu qui s’attache à un certain paraître et s’équipe en outre d’objets distinctifs lui permettant de donner le change.
En prenant pour repère immuable le Guide des Croyants (PSL) les oulémas rappellent différents traits devant caractériser ceux qui peuvent représenter les communautés musulmanes. L’humilité et la modestie établies sur la connaissance leur évitent ainsi de tomber dans l’orgueil ou dans l’intransigeance : «C’est par quelque miséricorde de la part d’Allah que tu (Muhammad) as été si doux envers eux ! Mais si tu étais rude, au cœur dur, ils se seraient enfuis de ton entourage.» (3 – 159). Ces qualités reposent sur une profonde connaissance des textes fondamentaux, couvrant notamment l’exégèse des Révélations, l’interprétation des hadiths. Ce savoir définit à son dépositaire une ligne de conduite adéquate.
Il est rapporté à ce sujet qu’un Compagnon du Messager était tombé un jour sur un homme en train de sermonner la foule. «Peux-tu distinguer entre les versets abrogés et abrogeant», demanda-t-il au prédicateur. L’homme étant resté dans l’embarras, le Compagnon lui dit : « Tu es perdu et tu fais perdre les autres».
A. K. CISSÉ
Source : L’ESSOR