Habitué de ce rendez-vous capital au cours duquel, collectivement et individuellement, les pays défendent leurs intérêts, le Mali était représenté par une forte délégation du Conseil national de transition (CNT) conduite par son 1er vice-président, l’honorable Assarid Ag Imbarcaouane. L’équipe du Mali était forte de trois autres personnes : les honorables Nouhoum Dabitao, 1er questeur, Drissa Kéita, chef de directeur de cabinet du président du CNT et Ramata Diaouré, membre du CNT. Les représentants maliens ont été accueillis le mardi 20 juin 2023, à la Gare du Midi, par S. E. M. El Hadji Alhousseini Traoré, ambassadeur du Mali à Bruxelles, et plusieurs de ses proches collaborateurs.
Subtilité et complexité
D’entrée, il faut préciser que les parlementaires maliens ont rallié la Capitale de l’Europe avec un retard de 24 heures qui s’explique par leur participation au scrutin référendaire du 18 juin dernier. Il convient aussi de préciser que l’Assemblée parlementaire est le 3e organe de l’OEACP après le Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement et le Conseil des ministres. Celle qui vient de s’achever, la 63e session AP OEACP, est une activité autonome de l’OEACP. A cet effet, elle se déroule exclusivement entre les 79 membres au siège de l’organisation commune. Comme c’est la règle, les travaux débutent par d’interminables préalables et se prolongent dans trois (3) commissions :
– La Commission du développement économique, des finances et du commerce ;
– La Commission des affaires sociales et de l’environnement ;
– La Commission des affaires politiques.
La subtilité de la pratique parlementaire est que ces trois commissions sont transversales aux deux sessions parlementaires (AP OEACP et APP OEACP-UE) et, fort logiquement, leurs travaux préparent ceux de la session parlementaire paritaire avec les collègues européens dont le cadre est, cette fois-ci, le Parlement européen. Ces deux sessions interviennent à une étape charnière de la vie de l’organisation qui fait sa mue, évoluant de l’ancestrale organisation (ACP) vers la nouvelle entité (OEACP) avec, en ligne de mire, la conclusion d’un nouvel accord (que nous évoquerons plus loin).
Le Mali est membre de la Commission affaires politiques dont les travaux, dans la version OEACP (63e session), sont présidés par l’honorable Assarid AG Imbarcaouane. Par contre, dans la version conjointe (43e APP OEACP-UE), il partage cette charge avec son collègue allemand Jean-Christophe Oetjen, du Groupe Renew.
Des échanges au couteau
Du perchoir de la Commission affaires politiques, il eut été inconvenable que le 1er vice-président du CNT d’allumer des mèches qu’il sait bien faire. Cette tâche a été dévolue au diplomate malien en poste à Bruxelles, l’ambassadeur El hadji Alhousseini Traoré, qui a “fait le job” en présentant un instantané de la situation socio-politique et sécuritaire du pays en insistant sur les nouveaux principes qui guident l’action publique au Mali, la montée en puissance des Forces de défense et de sécurité ainsi que la volonté inébranlable des autorités de la Transition de conduire le pays à une vie constitutionnelle normale, aux termes d’un processus apaisé et inclusif. L’Ambassadeur Traoré a notamment insisté sur la réussite du référendum constitutionnel dont la publication des résultats, au moment de son intervention, était annoncée pour imminente.
Tour à tour, les parlementaires membres de la Commission affaires politiques ont pris la parole pour présenter les derniers développements de l’actualité dans leurs pays respectifs. En un laps de temps qui a paru une éternité tant les présentations se sont enchainées, suivies de débats houleux, les membres de la Commission ont voyagé de la région des Grands lacs à la Corne de l’Afrique, avec des escales en RDC (République démocratique du Congo), au Rwanda, au Soudan, au Tchad, en Somalie, etc.
Ce cœur battant de l’Afrique est traversé par de nombreux conflits qui jettent sur les routes des centaines de milliers, voire des millions de personnes et accentuent des crises humanitaires absolument abominables qui trouvent un terreau favorable dans la pauvreté.
Dans cette ambiance dominée par les crises humanitaires, le pic des joutes a été atteint quand le chef de la délégation de la RDC a pris la parole pour dénoncer la guerre impérialiste que son pays subit de la part de puissances étrangères et de leurs valets locaux. Sans jamais nommer le Rwanda, la délégation de la RDC a cloué au pilori un pays voisin qui entretient l’instabilité à l’Est de son territoire, en finançant des milices sanguinaires et en pillant ses ressources minières. Il a même usé de la terminologie “Etat voyou” qui rappelle le lexique des néo-conservateurs américains de l’époque de Bush fils.
La réponse du Rwanda, sans être dans la même tonalité, a été, elle aussi, tranchante et incisive. Il a fallu toute la dextérité du “doyen Assarid” pour écourter ce duel au couteau qui était parti pour prendre en otage les débats.
La voix du Mali
Assarid, lui-même, sortira des bois le lendemain, c’est-à-dire le vendredi 23 juin 2023, à l’occasion de l’ouverture officielle des travaux en plénière de la 63e session de l’Assemblée parlementaire OEACP, présidés par la mozambicaine, l’honorable Ana Rita Sithole, présidente de l’Assemblée parlementaire OEACP et co-présidente de l’Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE. Pour le 1er vice-président du CNT, la communication de Mme Diene Kéita, sous-secrétaire générale des Nations unies et directrice exécutive adjointe de l’UNFPA, a été du pain béni. Prenant fait et cause pour sa collègue ougandaise dont le pays a criminalisé les “déviations sexuelles” connues en Europe par leur acronyme LGBTQ+ (Lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, queers, intersexes et autres identités de genre), le parlementaire malien a enfoncé le clou.
Il a totalement dénié aux Européens toute légitimité de vouloir ramener la question du genre dans la sphère de leur coopération. Ces questions, a-t-il rappelé avec un verbe haut, sont de la responsabilité des Etats OEACP. Il est allé plus loin en invoquant la souveraineté des Etats OEACP qui n’accepteraient jamais quelque “oukase” d’où qu’il vienne en cette matière. La sortie du doyen Assarid, diffusée sur les antennes de l’ORTM, le site et les réseaux sociaux de l’ambassade du Mali à Bruxelles, a été virale et continue de caracoler au hit-parade des vidéos les plus vues et partagées sur de nombreuses plateformes.
Décomplexés et en ayant gros sur le cœur face à une Europe jugée égoïste et calculatrice, les parlementaires ont tiré au fusil d’assaut pour se faire entendre. Malgré leurs réalités spécifiques et les barrières linguistiques, les délégués OEACP étaient admirables dans la cohérence de leurs éléments de langage et le jeu de rôle parfaitement huilé qui leur a permis de couvrir tout le champ des griefs faits aux européens. Ces griefs vont de l’instrumentalisation de la question des migrations aux promesses non tenues en matière d’appui pour atténuer les conséquences des changements climatiques, en passant par les droits de l’Homme, la parcimonie dans l’octroi des visa, y compris aux officiels, le déséquilibre criard du commerce en faveur de l’Europe, la spécialisation des OEACP dans l’ingrat rôle de pourvoyeur des matières premières, l’absence ou le peu d’empressement dans le domaine du transfert des technologies, le parcours du combattant que constitue l’aide au développement, le poids de la dette, la cécité des européens face à la misère et aux conflits qui ruinent les pays membres de l’OEACP, etc.
Autant de casus belli qui cristallisent le courroux des parlementaires du groupe OEACP qui sont déterminés à le dire à leurs homologues européens sans filtre.
S’ils ont pu donner l’impression de n’avoir pas été bien préparés lors de la session de février dernier, les parlementaires OEACP ont bien appris la leçon et se présenteront en rang serré face aux 27.
Changement de décor
C’est gonflés à bloc que les parlementaires OEACP se sont transportés au Parlement européen le 25 juin 2023 pour la seconde étape de leurs travaux, à savoir la 43e session de l’Assemblée parlementaire paritaire OEACP-UE.
Trois préoccupations majeures constituaient le plat de résistance de la 43e session : a) les matières premières critiques, la transition énergétique et le changement climatique dans la coopération UE-OEACP ; b) les menaces hybrides ; c) la réforme du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies.
A côté, deux (2) sujets urgents assortis de résolutions figuraient aussi à l’ordre du jour : la situation humanitaire et sécuritaire en Haïti et la situation humanitaire dans les pays de l’OEACP touchés par le terrorisme et l’extrémisme violent (dernier membre de phrase proposé par le Mali et adjugé).
Il faut dire que notre pays était d’ailleurs visé par cette dernière résolution. Comme on pouvait s’y attendre, notre délégation a joué son va-tout dans les coulisses comme en travaux au sein de la Commission de conciliation pour raboter les aspérités de la proposition de résolution. A l’arrivée, nos parlementaires ont obtenu, de haute lutte, une résolution qui leur ressemblait et, manifestement, pouvaient jubiler à la plénière d’ouverture.
Presque dans les mêmes dispositions, il y a eu les débats conjoints dans les trois commissions permanentes, l’ouverture solennelle des travaux de la 43e session le 26 juin et le vote sur les propositions de résolutions (les résolutions des commissions permanentes et le vote des résolutions d’urgence).
Pour ce qui est des commissions permanentes, les débats ont porté sur les sujets ci-après :
– Renforcer la coopération en matière de sûreté maritime et promouvoir l’état de droit sur les océans ;
– La liste de l’Union des pays et territoires non coopératifs à des fins fiscales et la liste des pays tiers en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ;
– Renforcer la solidarité parlementaire et la volonté politique en faveur de la sécurité routière dans les pays membres de l’OEACP et de l’Union, y compris en ce qui concerne la sécurité des infrastructures. )
S’agissant du dernier acte de la session, le vote des résolutions par les deux parties, les parlementaires OEACP ont encore en mémoire le fait qu’ils ont moins bien réussi cet exercice en février dernier. Pour donc faire le plein des votes, le doyen Assarid a été sollicité pour prendre place au présidium à côté des co-présidents lusophones Ana Rita Sithole (Mozambique) et Carlos Zorrinho (Portugal).
La stratégie a été payante et les résolutions, dont certaines ont été soumises au vote séparé, ont été adjugées ou rejetées en fonction des consignes de vote.
Expectative, incompréhensions et inquiétude
Bruxelles a vécu ! Les parlementaires OEACP, pour l’essentiel, ont regagné leurs capitales respectives avec le sentiment d’avoir accompli leur part de boulot. Pourtant, ils ne sont pas dupes et savent que l’avenir de leur partenariat avec les 27 s’inscrit en ce moment en pointillé. En effet, depuis le déclenchement de l’Opération spéciale russe le 24 février 2022, l’Europe n’a d’yeux que pour l’Ukraine, le pourtour méditerranéen, les ensembles émergents et sa relation transatlantique.
Pour marquer un certain appauvrissement de l’ancienne relation privilégiée OEACP-UE, les 27 sont passés au forceps en imposant dans le nouvel accord la pilule amère des trois (03) assemblées correspondant à l’Afrique, aux Caraïbes et au Pacifique. Se faisant, elle se trouverait en position de force face à chaque bloc et imposerait ses vues.
Malgré cette malice à l’allure de trahison, les pays OEACP n’entendent pas se laisser faire. Ils exigent de l’Europe, et le disent urbi et orbi, de les considérer pour ce qu’ils sont, en l’occurrence leur égal. Que leurs points de vue soient requis et pris en compte en toute matière. Pour rappel, l’OEACP est constituée de 79 pays membres de l’Organisation des Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et traitent avec l’Union européenne à travers un accord appelé “Accord de Cotonou” arrivé à échéance depuis deux ans. Un nouvel accord a été conclu aux termes d’un cycle de négociations laborieuses. Sa signature est prévue à Apia, capitale des Iles Samoa, dans le Pacifique, mais se heurte au blocage incompréhensible de la Hongrie (réserve levée depuis) et de la Pologne.
Pour éviter un vide juridique à partir du 30 juin 2023, les 27 pays de l’UE ont proposé aux 79 membres OEACP une nouvelle rallonge de quatre (4) mois, espérant que ce délai sera suffisant pour travailler au corps la seule Pologne afin qu’elle lève ses réserves qui pénalisent un partenariat antérieur à son adhésion à l’UE qui remonte seulement au 1er mai 2004.
Diarra Diakité, Ambassade du Mali à Bruxelles