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Diplomatie burkinabè : A la recherche de nouvelles marques

Les analystes ont tendance à caricaturer le bilan de Blaise Compaoré à la tête du Burkina, après son départ du pouvoir dans les conditions que l’on sait. Ainsi, l’homme qui passe pour certains comme un dictateur sanguinaire, n’avait emprisonné aucun opposant même au plus fort de la contestation de son pouvoir. Sur au moins 20 ans – de 1992 à 2014 – les prisons du Burkina ont été exemptes de prisonniers politiques et sa diplomatie avait une voix qui portait dans les organisations régionales, continentales et internationales.

Roch Marc Christian Kabore president republique chef etat burkina

Aujourd’hui tout est à refaire en la matière et biens d’observateurs se demandent si les épaules d’Alpha Barry, le nouveau ministre des Affaires Etrangères, ne sont pas frêles pour la tâche.

« Je voudrais voir un Alpha Barry protagoniste d’un Laurent Fabius, de Mme Dlamani Zuma ou d’un Ban Ki Moon sur des questions d’intérêt régional, continental et international. Il ne peut que la fermer ». C’est l’avis d’un observateur Burkinabè commentant la composition du premier gouvernement de Paul Kaba Thiéba. Pour lui, la diplomatie est un domaine de souveraineté si important qu’à défaut de le confier à un professionnel, il faut à ce poste, un homme d’expérience qui a de la carrure et de l’entregent. A un de ses interlocuteurs qui lui fit remarquer que la radio d’Alpha Barry a joué un rôle très important dans l’insurrection populaire et que le pouvoir de Roch Marc Christian Kaboré se pose en héritière de ce mouvement, notre observateur répliqua : « Va pour les récompenses, mais pas au détriment de l’image de marque du pays. Correspondant de presse et promoteur de radios FM, c’est léger comme background pour diriger la diplomatie d’un pays. »

C’est au pied du mûr que l’on reconnait le bon maçon. On attend de voir si Alpha Barry va démentir le scepticisme de ce compatriote, lui que l’on présente comme un protégé du président de l’Assemblée Nationale, Salif Diallo, mais aussi du président guinéen, Alpha Condé. Mais plus important que ces parrainages, selon la constitution burkinabè (art 36 et 55 alinéas 1 et 2), le président du Faso, chef de l’Etat, est le premier diplomate du pays. Le ministre des Affaires Etrangères n’étant qu’un exécutant, pour ne pas dire un simple expéditeur des affaires courantes. En d’autres termes, au président Roch Marc Christian Kaboré, de sortir le grand jeu du rayonnement diplomatique du Burkina et Alpha Barry n’aura plus qu’à « danser » suivant la sonorité et le rythme de la musique présidentielle.

Le hic, c’est qu’il y a souvent de bons musiciens et de mauvais danseurs. La musique peut être bien jouée dans une parfaite harmonie des instruments cependant que le danseur s’entremêle les pas et les gestes. A contrario, un bon danseur peut faire oublier au public les fausses notes de la musique. La diplomatie est une science et un art. La science du droit international, des enjeux géostratégiques et l’art de la persuasion, de la séduction. De Thomas Sanou à Djibrill Bassolé, en passant par Youssouf Ouedraogo , Ablassé Ouedraogo, Alain Yoda, les ministres des Affaires Etrangères de Blaise Compaoré, à défaut d’être des diplomates, étaient des fortes personnalités, commis expérimentés de l’Etat, de la fonction publique internationale, avec des carnets d’adresse bien remplis. Ce n’est pas par hasard que Youssouf Ouedraogo a fini conseiller spécial du président de la BAD, Ablassé Ouedraogo, secrétaire général adjoint de l’OMC et Djibrill Bassolé, représentant spécial de l’ONU au Soudan et de l’OCI au Mali. Tout le mal que l’on souhaite à Alpha Barry, c’est de finir aussi bien, après avoir remis sur une orbite de rayonnement, la diplomatie burkinabè.

Pour l’instant, cette diplomatie est visiblement à la recherche de nouvelles marques. C’est un secret de Polichinelle ; l’axe Abidjan – Ouagadougou – Lomé – Dakar s’est fortement dégradé au profit de celui en construction entre Bamako – Ouaga – Niamey et Ndjamena. C’est connu, Idriss Deby a accouru à Ouagadougou, en parrain condescendant du nouveau pouvoir après les attentats terroristes du 15 Janvier. Idem pour la Mali qui y a dépêché son premier ministre, puis une délégation de parlementaires. Le Niger pour sa part a mandaté des enquêteurs pour aider à élucider le crime. A l’inverse, la Côte d’Ivoire s’est contentée d’une condamnation timide des attaques et de signer par le biais de son premier ministre le livre des condoléances ouvert par l’ambassade du Burkina en Côte d’Ivoire. Que dire du Sénégal dont le président Macky Sall, président en exercice de la CEDEAO, s’est déchargé de la visite de compassion de l’organisation régionale sur l’affable Boni Yayi dont tout le monde sait qu’il quitte bientôt la présidence du Benin et donc ne pèse pas lourd diplomatiquement.

Au niveau international, les condamnations unanimes des attaques djihadistes ont été cantonnées sur le registre du diplomatiquement correct. Le premier ministre français a même créé la polémique sur le nombre des assaillants à l’hôtel Splendid et au restaurant Cappuccino. Sa visite annoncée au Burkina se fait toujours attendre. Toute chose qui fait dire que le renforcement de l’axe Paris- Ouagadougou a besoin de plus de visibilité. L’intervention des troupes françaises basées au Burkina dans la délivrance des otages au Splendid Hôtel, tout comme la présence de leurs enquêteurs pour élucider ces meurtres, ne peuvent pas être interprétées comme un privilège particulier.

Non seulement d’autres pays comme les Etats Unis et le Canada sont là, mais des troupes et des enquêteurs français étaient aussi au Mali pour élucider l’attentat contre l’hôtel Radisson. Il se murmure qu’en marge du sommet de l’Union africaine, se tiendra une rencontre du G5, regroupement des cinq pays du Sahel – Tchad, Mali, Mauritanie, Niger et Burkina – avec la participation de la France dont le niveau de représentativité reste à définir. Cette rencontre si elle a lieu, confirmera le glissement ou le renversement des préférences diplomatiques du Burkina vers les pays du G5 au détriment de ceux de l’UEMOA ou de la CEDEAO.

Quelles pourraient être les conséquences de ce renversement d’alliance ? D’emblée, c’est le traité d’amitié et de coopération entre le Burkina et la Côte d’Ivoire qui en souffrirait et des projets de grande importance économique comme la construction de l’autoroute Yamoussoukro – Ouagadougou entrerait en hibernation. Quid de la réfection du réseau ferroviaire entre les deux pays, des facilités d’accès au port autonome d’Abidjan, de l’augmentation de la fourniture d’électricité au Burkina et du sort des quelques trois millions de Burkinabè en Eburnie ?

La Côte d’Ivoire, faut-il le rappeler, est le deuxième partenaire commercial du Burkina et les relations géographiques et historiques entre les deux pays sont plus étroites qu’avec aucun autre pays africain. C’est pourquoi, le soutien présumé de Guillaume Soro à la tentative de coup d’état de Gilbert Diendéré aurait pu être géré avec plus de tact politique et d’intelligence diplomatique. Maintenant qu’il est avéré que d’autres personnalités ivoiriennes – au moins deux – outre Guillaume Soro, ont soutenu les auteurs de ce putsch, la justice burkinabè va-t-elle lancer contres elles aussi des mandats d’arrêt internationaux ? Et que faire contre ce ressortissant français dont on a pu suivre sur une radio internationale les conseils d’actions musclées donnés à Gilbert Diendéré contre des dignitaires de la transition ? Ne faut-il pas à lui aussi délivrer un mandat d’arrêt international ?

En attendant les réponses à ces questions, c’est le lieu d’affirmer que la justice militaire a compliqué la tâche à la diplomatie burkinabè à la recherche de nouvelles marques. Alpha Barry a-t-il l’étoffe nécessaire pour relever le défit ?

Derbié Térence Somé
Pour Lefaso.net

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