Un an après, que devient Dioncounda Traoré ? Comment va-t-il ? A quoi s’occupe-t-il ?
Le 4 septembre 2013, le Président de la République par intérim, Professeur Dioncounda Traoré, passait les commandes du pays au Président élu, Ibrahim Boubacar Keïta. C’était à la faveur d’une cérémonie sobre au palais de Koulouba.
Un an après, que devient Dioncounda Traoré ? Comment va-t-il ? A quoi s’occupe-t-il ? Voilà une série de questions que nombre de nos compatriotes se posent certainement. Votre magazine Master Mag est allé à la rencontre de l’homme avec qui nous avons eu une longue conversation. C’était le 28 octobre dernier à son bureau sis à Hamdallaye ACI 2000. Nous avons également approché sa famille (principalement sa mère, Djibé Coulibaly dite Dié et son épouse, Traoré Mintou Doucouré).
Le Professeur Dioncounda Traoré se porte très bien
Costume bleu marine à fines rayures, cravate assortie, écharpe blanche, chaussures impeccablement cirées, cheveux soigneusement taillés, éternel sourire aux lèvres, portant allègrement ses 72 ans, Dioncounda Traoré nous est apparu comme un homme en pleine forme. L’ancien président de la République par intérim a réservé un très chaleureux accueil à l’équipe de Master Mag fortement mobilisée pour l’occasion. C’est dans le salon d’audience de son Cabinet, qu’il nous a reçus. Il était accompagné par son directeur de cabinet, Assarid Ag Imbarcawane. L’entretien à bâtons rompus qui s’est déroulé dans une atmosphère détendue était parsemé d’anecdotes et d’histoires que seul le Président a le secret et le talent de raconter. Notre première question était des plus classiques. « Comment vous portez-vous, Monsieur le Président ? », lui avons-nous demandé. « Comme vous constatez, a-t-il répondu, je me porte très bien ». A peine avons-nous eu le temps d’enregistrer cette première réaction que la question sur l’origine du port de sa célèbre écharpe, accessoire vestimentaire qui fait partie de son personnage public, est lâchée par l’un de nos confrères. L’interrogation brûlait littéralement la langue à ce dernier.
L’histoire de l’écharpe de Dioncounda Traoré
L’explication donnée par le Président est donc une exclusivité de Master Mag. L’origine du fameux accessoire remonte à la prime enfance de Dioncounda Traoré. Celui-ci se trouvait alors à Kayes avec ses parents. Son père, officier de son état, voyageait beaucoup. Lors d’un de ses séjours en Indochine, il avait rencontré un jeune militaire d’origine ivoirienne, du nom d’Abdoulaye Traoré. Les deux hommes avaient immédiatement sympathisé. Et avaient depuis gardé d’excellentes relations. Au retour d’Indochine, le jeune Ivoirien rendra visite à son ami et « grand-père » (dans le jargon militaire le titre sert à désigner un supérieur), le lieutenant Boubacar Traoré, à Kayes. Dans ses bagages, Abdoulaye Traoré avait apporté des cadeaux pour le jeune Dioncounda : une réplique miniature du bateau « Le Pasteur » qui transportait les troupes françaises en Indochine et une écharpe multicolore.
Ainsi commença une longue histoire d’amour qui dure toujours entre le Président et l’écharpe. Dioncounda Traoré a spontanément aimé cette écharpe et il garde encore en souvenir la grande gentillesse de son donateur.
Les écharpes, le Président en possède de toutes les couleurs : blanche, rouge, bleue, multicolore, etc. Il se les procure à Paris dans un magasin, en face, des Galeries Lafayette, non loin de la Tour Mont Parnasse. L’écharpe passée au cou du Président ne possède donc ni vertu mystique, ni pouvoir mystérieux. Pour le prouver, la vieille maman nous a autorisé à publier une des photos d’enfance sur laquelle le Président, âgé de 6 ou 7 ans, porte déjà un costume taillé sur mesure et au cou son inséparable écharpe.
Le Président pratique de moins en moins le sport
Après cette parenthèse, le Professeur Dioncounda nous confie qu’avec l’âge il pratique de moins en moins le sport. Mais le champion de cross-country scolaire qu’il a été se maintient toujours en forme. Il fait un peu de marche et un peu de vélo d’appartement.
Karamoko ne chasse plus
Pris par les hautes fonctions qu’ont été les siennes et devant se soumettre aux contraintes d’un agenda chargé, le « donsoba » a été littéralement contraint de raccrocher son fusil. Il ne chasse plus. Et pourtant il adore déguster les perdrix et pintades sauvages qu’on lui fait griller.
Dioncounda lit toujours
Les livres qu’il lit actuellement sont « Démocratie et Droit Constitutionnel dans les pays francophones d’Afrique noire : le cas du Mali depuis 1960 », publié aux Editions Khartala et « La Gauche française et l’Afrique subsaharienne » chez le même éditeur. Les deux ouvrages lui ont été offerts par leur auteur, le constitutionnaliste malien Abdoulaye Diarra. Le Président dévore aussi« Portraits, Souvenirs – 50 ans de vie politique » publié aux Editions Plon par le journaliste et chroniqueur politique, Alain Duhamel. Cet ouvrage lui a été offert par le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta. Avec en première page une sympathique dédicace, libellée le 6 avril 2013.
Le to et le tchep sont ses plats préférés
« J’aime le to avec du gombo frais. Pimenté pourquoi pas ? », nous confie le Président avec une pointe de gourmandise dans la voix. Avant d’ajouter « j’aime aussi le tchep au poisson ». Pour la petite histoire, tous les samedis, depuis trente ans, au domicile de son père, se tient une rencontre hebdomadaire qui regroupe autour de plusieurs grands plats de tchep parents, amis, camarades et tous ceux qui lui font l’honneur de manger avec lui
Ses sujets de causerie : politique et sports
Le vieux militant politique reconnait qu’il lui est difficile de se désintéresser de toutes ces valeurs qui ont orienté sa vie et constitué l’essentiel de son combat politique depuis sa prime jeunesse : la liberté, la dignité, le travail et la solidarité. Mais le Président aime aussi discuter sports. Il s’intéresser même beaucoup au cyclisme et ambitionne d’aider cette discipline sportive à se développer au Mali. Un projet qui tient à cœur.
Dioncounda et la famille : « Ma mère a tout fait pour moi »
A la Résidence d’Etat de la Base qu’il occupe provisoirement avant d’aménager très prochainement en sa somptueuse villa sise ACI 2000 (à environ 150 mètres de ses bureaux), Dioncounda vit avec son épouse Mintou Doucouré, ses deux filles (Pitchou et Antou) et son petit-fils, Seydou.
A Lafiabougou, dans la concession paternelle vivent sa vieille maman de 94 ans, Djibé Coulibaly, affectueusement appelée Dié et sa sœur (la benjamine) Kani Traoré dite « Mama Diawara » ainsi que plusieurs de ses parents du Bélédougou et de Nara.
« J’ai des relations particulières fondées sur le respect, de confiance, d’amour et d’affection avec ma mère » nous confie Bouillé. Le Président dit éprouver beaucoup de fierté et de reconnaissance pour ses parents qui l’ont éduqué en lui inculquant le sens de la dignité, de l’honneur et de l’indépendance. Parlant toujours de sa maman, le président s’exclame « cette femme est courageuse ».
Avec ses enfants, il entretient d’excellentes relations. Dioncounda Traoré se comporte avec eux comme un père certes, mais surtout comme un ami et un camarade. Il discute longuement avec eux dans le but de les convaincre car il croit beaucoup plus à la persuasion qu’à la force et à l’imposition.
Dioncounda et sa maman, c’est avant tout l’histoire d’une complicité exceptionnelle. Alors que son père (le colonel Boubacar Traoré), un officier bon teint, était souvent parti pour des missions, le jeune Bouillé, le plus grand garçon (il a un petit frère du nom de Modibo résidant à l’hexagone) parmi cinq filles (Alima, Oumou, Assa, Mariam et Kani), était là aux petits soins pour sa mère. Et l’exercice se poursuit aujourd’hui encore, nous confie la vieille maman. « Dioncounda ne m’a jamais dit non. Il ne m’a jamais manqué de respect. Tout ce que je lui dis, en tant que mère, il l’exécute sans murmurer », témoigne la vieille Soninké de 94 ans qui jouit encore de toutes ses facultés. Sa vue est étonnamment perçante et elle n’a aucun problème d’audition. Seule concession faite au poids de l’âge, les déplacements sont devenus difficiles pour la vieille dame.
L’épouse du Président, Madame Traoré Mintou Doucouré, nous confie : « Dioncounda est un mari exemplaire et je suis fière d’être son épouse ». Comme qualités essentielles, Madame Traoré reconnait en son mari son intelligence, sa capacité d’encaisser et la force de pardonner. « Le Président est profondément croyant. Il lit et interprète le Coran ». De cela nous pouvons témoigner. Nous avons été émerveillés par ses propos sur le Saint Coran. Pour lui, « le Coran est un miracle qui fait tenir l’infini dans le fini ». Le Président expose scientifiquement, au terme d’une brillante démonstration basée sur des chiffres, que « le Coran n’est pas d’essence humaine ». Le mathématicien est formel : pour croire en Dieu, il suffit seulement de sortir et de regarder la nature dans sa composition disparate et diverse mais aussi dans son ordre si merveilleux.
Son profond respect pour son prochain
« J’aime mon prochain. A tel point qu’il m’est difficile d’en vouloir aux gens pour ce qu’ils font. Au contraire, j’essaye toujours de trouver des raisons, des explications aux actes qu’ils posent », philosophe le docteur en mathématiques. Comment expliquer cette tolérance débordante de Dioncounda ? Par le fait, selon lui, qu’il a été « élevé et éduqué dans un environnement serein et tranquille ». Celui qui a souffert dans son âme et dans sa chair pour ses convictions pense que le monde n’est certes pas toujours beau, mais qu’il faut essayer inlassablement de l’embellir. C’est cette philosophie qui guide tous les jours ses réflexions et ses actions.
Son agression et son pardon
Le jour de son agression (le lundi 21 mai 2012), nous raconte l’ancien président de la République par intérim, il a entendu dans la foule la voix d’une femme qui disait « Vous voulez le tuer ? Mais on n’est pas venu pour ça. Si vous voulez le tuer, il vous faudra d’abord marcher sur mon corps ». Et justement, nous confie Dioncounda Traoré, « cette voix m’a redonné confiance en l’homme et m’a poussé à pardonner ». Le Président admet qu’il connait les commanditaires de son agression, mais il insiste surtout sur le fait qu’il leur a pardonné. Car ils étaient aveuglés par l’attrait du pouvoir à tel point qu’ils avaient oublié le pays, notre pays à tous.
Sa maman été la dernière personne à apprendre l’agression de son bien-aimé Bouillé. « Qui aurait osé l’en informer à chaud et comment il l’aurait fait ? », fait remarquer Kani, la benjamine. Il a fallu donc attendre le lendemain pour informer la vieille mère. Musulmane pieuse, les premiers mots de celle-ci ont été :« Allahouhakbar, Allahouhakbar, Allahouhakbar Alhamdoulilaye, Arabi alamina ». Puis elle a demandé à sa fille : « Est-il mort ? ». « Non », a répondu Kani. La vieille maman a eu alors ce commentaire : « Je confie Bouillé au Bon Dieu ». La mamie nous jure que jusqu’aujourd’hui, cet événement ne lui a pas fait verser une seule larme et elle est très heureuse que son fils ai eu la force de pardonner.
Révélation
24 heures avant son agression, le Président est venu voir sa maman qui lui a posé la question suivante : « MBouillé, c’est quand votre rencontre (NDLR – il s’agit des concertations nationales) ? ». Il a alors répondu « Demain ». Et la vieille lui a posé une deuxième question encore : « Quelle est ta décision par rapport à la situation (NDLR – en référence à la fin du mandat constitutionnel des 41 jours) ?». Dioncounda a répondu, sans détour, nous témoigne sa maman, il a dit « Je partirai et je ne resterai pas une minute de plus ». Malheureusement, le lendemain (un lundi funeste pour le Mali) une foule déchainée est montée à Koulouba, a agressé le Président jusque dans ses bureaux et l’a abandonné pour mort.
Contrairement à la vieille maman, l’épouse du Président, elle, a appris à chaud la nouvelle et est entrée immédiatement en contact avec les services de la présidence de la République, plus précisément avec le Secrétaire général de l’époque, Baba Berthé. Ce dernier a alors tenté maladroitement de rassurer Madame Traoré. « Ce qui m’a passablement énervée », avoue-t-elle aujourd’hui. Elle fera alors remarquer au fonctionnaire de la Présidence, à titre de rappel, qu’elle était l’épouse du Président et qu’elle appartenait au corps médical. Deux raisons qui faisaient qu’elle serait plus utile au chevet de son mari qu’en restant à la maison. Juste avant que Madame ait pu terminer sa mise au point, le blessé s’est réveillé et a pris le téléphone pour rassurer son épouse. Il faut savoir qu’avec celle-ci le Président a traversé 49 hivernages de mariage. En 2015, si Dieu lui prête vie, le couple fêtera son demi-siècle d’union.
En attendant, les agresseurs et leurs commanditaires courent toujours. Peut-être qu’un jour, justice sera rendue au nom et pour le Peuple malien.
Le Cabinet est en train de démarrer
L’équipe restreinte comprend un léger dispositif de sécurité d’une quinzaine d’éléments, trois chargés de mission ainsi qu’un Directeur de cabinet. Le Président a mis en place son cabinet d’ancien chef de l’Etat dans les locaux qui lui ont été affectés à Hamdallaye ACI 2000. Il s’y trouve tous les jours de 11 heures à 17 heures, nous confirme son aide de camp, le lieutenant Manela Goumané, un de ses hommes de confiance. C’est là que sont organisées ses audiences et autres rencontres.
De quoi va s’occuper son Cabinet ? On le saura plus tard. Mais d’ici là, on peut imaginer que l’essentiel du travail des collaborateurs va être bâti autour des fortes convictions qui animent le Président, à savoir : le combat pour la liberté, la dignité, pour la paix, la démocratie et le développement et de la paix.
Le quotidien du Président
En dehors du cabinet, le Président passe son temps entre sa résidence et le domicile de son père sis à Lafiabougou où habite sa vieille mère. Il ne se passe pas un seul jour sans qu’il n’aille échanger avec sa maman pendant de longues heures. Il aime aussi aller faire le marché et se promener dans les grands magasins de la capitale.
Il se rend aussi très souvent à Nara, sa ville d’origine et son fief électoral qui l’a élu deux fois aux législatives (en 1992 et en 2007). Dans sa résidence privée de Nara, il se repose et bavarde avec ses convives, souvent des amis d’enfance.
Ses sorties médiatiques, depuis la fin de la Transition, sont volontairement très rares. La dernière en date s’est faite à l’occasion de la finale du tournoi de football baptisé en son nom à Nara. Un tournoi qui en est à sa quinzième édition.
Un conseil aux futurs dirigeants du Mali
« Aimer son pays, aimer son peuple, être intègre mais aussi être humble car lorsqu’on est au sommet la seule chose qui puisse vous arriver est de descendre», conseille le sage.
Master Mag : Synthèse de l’entretien par Alfousseiny SIDIBÉ