Les bêtes tirent les charrues, transportent du bois, de l’eau… Mais elles sont mal entretenues. « Allahou Akabar ! Tant qu’on ne cessera pas de maltraiter les chevaux, le bonheur ne sera pas sur terre. Tous les grands connaisseurs de l’islam sont unanimes là-dessus », s’exclame un septuagénaire, en voyant une charrette chargée de bois et tirée par un cheval maigre et larmoyant. Cette image n’est pas rare dans le Kaarta d’aujourd’hui où les conditions vie des chevaux laissent à désirer. Ici, le cheval semble avoir perdu sa valeur d’antan. Il subit une exploitation abusive. Le cheval est utilisé dans toutes les activités les plus dures pour sa force motrice et son agilité. Il tire la charrue. Il est sollicité dans le transport. Docile et domptable, il se soumet à tous les traitements sans rechigner. Mais on s’occupe peu de son entretien.
Lémane Dicko reconnait qu’il fait beaucoup travailler son cheval. « Je vends de l’eau. Je dispose d’une charrette et deux ânes. Si les ânes sont épuisés, je les remplace par le cheval. Le cheval n’a pas trop de problème, il s’adapte facilement à toutes les conditions. Il suffit de brandir le fouet pour qu’il avance vite. Mais l’âne est trop têtu, il marche à coups de bâton », explique-t-il. Son cheval lui permet de transporter 2 fûts d’eau dans la charrette. « Je fais des recettes de 7.500 à 10.000 Fcfa par jour. J’utilise une partie de mon argent pour acheter du mil pour mon cheval et je le soigne lorsqu’il tombe malade. »
Pourtant le cheval a incarné jadis le pouvoir et la grandeur sur les terres du Kaarta où ont vécu de nombreux valeureux guerriers. Dans le royaume Massassi du Kaarta où se sont succédé les rois Sey Bamanan, Déniba Bô, Sira Bô, Dessé Koro, Moussokoro Bô et Bodian Moriba, le cheval était sacré. Il avait un rôle important à jouer dans la sauvegarde de l’honneur et la dignité du roi et son peuple. Avec l’avènement de la décentralisation, le Kaarta couvre 6 communes sur les 15 que compte le cercle de Diéma. Il s’agit des communes de Diéma, Dianguirdé, Diangounté Camara, Lambidou, Fatao et Madiga Sacko.
Durant les périodes de conflits, les combattants utilisaient des chevaux pour combattre l’ennemi, conquérir des cités, en libérer ou faire de la résistance. Lors des grands évènements, ou pour se détendre, le roi montait sur son cheval, bien caparaçonné.
Illustration de l’importance de cet animal dans ces contrées, le Kaarta a comme symbole le cheval blanc. La représentation de ce symbole existe sur un panneau affichant un cheval blanc, à l’entrée de la ville de Diéma.
Dans certains milieux, le cheval joue un rôle de messager. Lorsqu’un décès survient dans un village, le messager enfourche un cheval sans selle et gambade jusqu’à destination. Dès qu’on voit arriver un cheval sans selle, on s’attend à une triste nouvelle, un décès.
CROYANCES
Rares sont les familles qui ne possèdent pas un cheval. Même de nos jours. Mais l’entretien des bêtes commence à peser sur les bourses. Pour Alassane Diaby, vendeur de colas au Razel à Diéma, l’entretien du cheval coûte cher. « Il faut avoir les moyens. Un cheval qui a de l’embonpoint mange beaucoup de mil de jour comme de nuit », explique notre interlocuteur qui ajoute avoir décliné l’offre de son fils vivant en France de remplacer son cheval mort. « Je n’ai pas voulu l’encourager. Cette année, les récoltes sont mauvaises, le prix du mil a commencé à grimper », estime-t-il.
Beaucoup de croyances sont liées au cheval. De l’avis des connaisseurs, la destinée d’une famille dépend du cheval qui s’y trouve. Il y a des chevaux de bons et de mauvais augures. Oumarou Konaté explique à cet effet que quand un cheval a une touffe de poils sur le côté de la patte avant, il est bon de le garder dans la famille. « Si vous n’avez pas eu de garçon, vous en aurez », assure le connaisseur. Selon lui, lorsqu’un cheval a une touffe de poils sur chaque tempe, il faut éviter de le frapper, sinon quelqu’un vous portera la main un jour.
Maltraiter un cheval porte malheur. Cette croyance est bien ancrée chez beaucoup ici. Comme Balla Traoré, à Diangounté Camara. « Le cheval subit toutes sortes de tortures. Il tire la charrue, il est utilisé pour le transport du bois, de l’eau, des matériels, etc », déplore-t-il, affirmant que si la famine sévit dans le Kingui aujourd’hui, c’est à cause du mauvais traitement infligé aux chevaux. Il explique : « En labourant ton champ avec un cheval, si la bête transpire, s’arrête et fait face au Nord pour humer l’air, même s’il menace de pleuvoir, aucune goutte de pluie ne tombera ».
La maltraitance des chevaux ne laisse pas indifférent. C’est le cas de Fousseiny Toungara, professeur d’anglais à Diangounté Camara. Il estime que les humains qui ont droit de vie et de mort sur les animaux par la volonté de Dieu, doivent bien les entretenir. Selon lui, l’aspect d’un cheval est une indication claire sur son propriétaire. « Un vieux m’a dit un jour que quand vous voulez donner en mariage votre fille, il faut aller voir dans la famille de ceux qui demandent sa main. Si leur cheval n’est pas bien entretenu, il faut refuser de leur donner ta fille en mariage. Ils ne pourront pas prendre soins d’elle », souligne notre enseignant.
Mahamadou Camara, pompiste de station, estime lui aussi que le cheval a droit un meilleur traitement. « J’ai deux chevaux mâles. Je les utilise pour mes déplacements. Chaque soir, je leur donne du mil. Le cheval est friand du mil. L’herbe ne le rassasie pas », souligne-t-il.
Source : Amap