Dans le cercle de Diéma, un peu comme partout, le travail des enfants est chose courante. Dans cette localité peuplée majoritairement de Soninkés, la pratique concerne surtout les enfants âgés de 6 à 12 ans. Garçons et filles, tous travaillent jusqu’à s’épuiser. A partir de 15 ans, les garçons sont tentés par l’exode. Ils rejoignent les côtes de la Méditerranée. Quand arrive l’hivernage, le travail des enfants devient plus intense. A longueur de journée, leurs parents les soumettent aux durs travaux champêtres. On les rencontre sur tous les fronts. Ils conduisent les animaux aux pâturages. Ils aident leurs sœurs ou mères dans la corvée d’eau. Ils partent chercher du bois, de l’herbe.
Il y a plusieurs raisons à l’utilisation abusive des enfants. Certains parents le font par manque de bras valides. Pour d’autres, c’est une façon d’apprendre à l’enfant à travailler, à « se débrouiller », pour, disent leurs parents, « ne pas devenir fainéant ». « C’est la pire forme d’exploitation, lance Bakary ». « Il faut que le Gouvernement prenne des décisions appropriées, poursuit-il, pour freiner ou, du moins, diminuer le travail des enfants. Les mesures de sensibilisation doivent être renforcées au sein des communautés pour parvenir à un changement radical de comportements ».
Cette femme de s’interroger : « Si les enfants sortis de nos entrailles refusent de travailler pour nous, qui va le faire à leur place ? » « On n’a jamais vu le travail tuer quelqu’un. Moi, lorsque j’étais encore petite, raconte-t-elle, j’aidais souvent mon père à pétrir le banco pour réparer notre maison, si la pluie venait à l’endommager ».
La coordinatrice de l’Association des juristes maliennes (AJM) Assétou Diallo, déclare, par contre, que le travail des enfants a des conséquences lourdes. « Non seulement, il ralentit la croissance de l’enfant, mais joue sur sa scolarité et l’empêche de s’épanouir », explique-t-elle. Chaque fois que l’occasion s’offre à elle, Mme Diallo ne se lasse jamais de sensibiliser les populations pour l’abandon définitif de cette pratique qu’elle qualifie d’ « opportuniste ». Elle reconnaît que le Gouvernement et ses partenaires déploient d’énormes efforts dans le cadre de la promotion et la défense des droits des enfants, mais que beaucoup restent encore à faire.
Modibo, un notable de Débo-Massassi, pense que si l’enfant n’a pas atteint 12 ans, on ne doit pas le faire travailler durement. A ce stade, on le considère comme un mineur, son rôle consiste à surveiller les animaux, à donner à boire aux cultivateurs et à préparer du thé. « Dans notre village, pour que l’enfant soit désigné pour tenir la charrue, il faut qu’il ait au moins 12 ans », soutient-il. Selon Bougary, un plombier de la place, beaucoup de parents ne tiennent pas compte de l’âge de l’enfant pour le faire travailler. Dès 6 ans, ils laissent les enfants tenir la corde du cheval ou du bœuf de labour, du lever au coucher du soleil. A partir de 10 ans déjà, l’enfant est capable de conduire seul la charrue pour labourer des hectares. Il affirme que le travail des enfants est une pratique ancrée dans les coutumes locales et qu’en aucune manière, on ne peut s’en départir, en tout cas pas de sitôt.
Le président de la Délégation locale de la Chambre d’Agriculture, Mobibo Fofana, a déclaré que c’est à partir de 12 ans que les enfants commencent à travailler, au lieu de 8 ans, contrairement à ce que certains disent. Si l’enfant est à bas âge, ses parents l’amènent au champs. C’est pour qu’il n’aille pas se baigner dans les eaux stagnantes ou flâner dans les rues.
Amadou Diawara, conseiller communal à Béma, a son argumentation : « A 7 ans, nous, on les amène avec nous dans les champs pour faire les petites commissions qu’on leur confie. Pour tenir la corde du cheval ou du bœuf de labour, il faut avoir au moins 12 ans, car si la bête est agressive, il faut pouvoir la maîtriser. Dans notre milieu, à partir de 15 ans, la plupart des jeunes garçons prennent la route de l’Afrique centrale. C’est difficile d’arrêter le flux migratoire, quoi qu’on fasse, ils s’en iront ».
Souleymane Konaté est 1er Adjoint au Maire de la Commune urbaine de Fatao. Il trouve que c’est par manque de moyens que certains parents sont obligés de faire travailler leurs enfants. L’édile soutient que de nombreux parents sont venus le voir pour le prévenir qu’ils vont enlever leurs enfants de l’école parce que le gouvernement a décidé de prolonger l’année scolaire jusqu’en août. Ce qui ne fait pas leurs affaires. Il est parvenu à convaincre ces parents ont changé d’avis.
Parfois, le drame n’est pas loin. « L’année dernière, ajoute-t-il, un enfant est tombé dans un puits lorsqu’il puisait de l’eau à l’aide d’une poulie. Malgré les secours, le petit a succombé à ses blessures ».
La présidente de la Coordination association et organisations féminines (CAFO), Mariam Soucko, s’y oppose farouchement. Elle vient de participer à la célébration de la Journée de l’enfant africain initiée par l’ONG World Vision. Elle explique qu’il faut que l’enfant ait 18 ans pour qu’il commence à produire. Elle a condamné surtout le cas des filles. « Beaucoup de filles ne parviennent pas à poursuivre leurs études à cause des travaux domestiques et du mariage précoce, dit-elle.
La célébration de la Journée de l’enfant africain a été une occasion pour véhiculer des messages sur un certain nombre de facteurs, notamment le mariage précoce, le travail des enfants, la déscolarisation des filles. « La CAFO que je dirige, dit Mme Soucko, va mobiliser toutes les femmes pour échanger autour du phénomène et trouver des voies et moyens ».
OB/MD
(AMAP)