Le 25 juin, le Président de la République, Ibrahim Boubacar Keita, installait les facilitateurs du dialogue politique inclusif. Un triumvirat aux visages bien connus des Maliens d’une durée non encore déterminée, même si, selon l’Ambassadeur Diarra, trois mois seraient « raisonnables ». Les citoyens maliens débattront de sujets essentiels à la survie de la Nation. Ces débats devraient aboutir à des recommandations pour une sortie de crise. Mais certaines personnalités estiment déjà que l’initiative est « verrouillée », alors que les termes de référence ne sont pas encore validés.
« À travers ce dialogue politique inclusif, il s’agira de faire l’inventaire des problèmes auxquels notre pays est confronté, avec l’ensemble des acteurs, et de proposer des solutions, avec un chronogramme et un plan d’actions de mise en œuvre », définissait comme ambitions aux facilitateurs le Président IBK le 25 juin. Il mettait en relief lors de son discours la mission des deux hommes et une femme qu’il a choisis : le Médiateur de la République Baba Hakib Haidara, l’ancien Premier ministre Ousmane Issoufi Maiga et l’ancienne ministre Aminata Dramane Traoré. Chacun de ces personnages concentre de grandes valeurs et jouit de respect et de considération. Pour coordonner et harmoniser les travaux de cet important évènement, l’Ambassadeur Cheick Sidi Diarra mettra son expérience au service de la cause nationale. « Ces personnes ont toutes presque en commun le fait d’être reconnues pour leur intégrité, leurs qualités humaines. Toutes ont eu l’occasion de servir dans le gouvernement mais toutes se sont illustrées aussi en tant qu’intellectuels et acteurs. On sent que le Président a décidé d’aller au-delà de la réalité politique, du clivage entre majorité et opposition, pour prendre des Maliens qui sont porteurs de valeurs, crédibles et attachés au Mali », éclaire le sociologue Mahamadou Diouara. Un choix qui parait équilibré aux yeux de l’analyste, directeur du cabinet Gaaya. Pour l’ancien ministre Pr Issa N’Diaye, il est difficile de mesurer la représentativité des membres du triumvirat, surtout en ignorant tout des critères qui ont présidé à leur désignation. « Aminata Dramane Traoré est connue pour son combat en faveur des transformations sociales. Elle pourra apporter des idées pour des solutions alternatives nouvelles aux impasses politiques, économiques et sociales que connait notre pays. Son engagement est connu, ainsi que ses capacités à poser des diagnostics clairs et précis », témoigne le Professeur, ajoutant que « sa capacité de mobilisation des femmes peut être considérée également comme un atout ». Parlant de l’ancien Premier ministre d’ATT, le Pr N’Diaye estime « qu’il a derrière lui une bonne partie des communautés de culture songhoy de la partie nord du pays ». Mais c’est le choix du Médiateur de la République, Baba Hakib Haidara, qui laisse le philosophe songeur. « On ne voit pas très bien ce qu’il peut apporter au processus actuel. Il est limité aussi bien dans sa représentativité que dans sa capacité à esquisser des idées nouvelles. Il apparait surtout comme le garant du régime actuel. Dans ces conditions, il est plus un poids à trainer qu’un facteur dynamisant », souligne ce fervent acteur du mouvement démocratique.
Dialoguer avec tous ?
Le triumvirat a entamé dès cette semaine des rencontres avec diverses personnalités du monde politique, social et religieux, pour partager avec elles sa démarche et la nécessité de ce dialogue, qui se veut inclusif. Dans son discours, le 25 juin, le président IBK cadrait la mission des facilitateurs, en les invitant « à assurer l’inclusivité du dialogue politique avec l’ensemble des forces vives de la Nation, l’adhésion de l’ensemble des acteurs aux résolutions et conclusions du dialogue, à favoriser l’adhésion des acteurs aux réformes politiques et institutionnelles, à connaitre les attentes de toutes les forces vives de la Nation », entre autres.
Pour leur première conférence de presse, le mercredi 3 juillet, le Pr Baba Hakib Haidara tenait à rassurer sur leur volonté manifeste de dépasser toutes les entraves, pour une adhésion massive de tous les acteurs. « Nous devons faire en sorte que, pendant le processus, au cours du dialogue, la plus grande adhésion puisse se faire autour de choses essentielles, qui nous permettent d’aller de l’avant. Nous devons veiller à ce que des personnalités qui ont eu à gérer ce pays, quels que soient le moment et les conditions, et qui ont des enseignements à nous donner, puissent dire ce qu’elles pensent de cela et ce qu’elles attendent », expliquait le Médiateur de la République.
La place des communautés semble primordiale dans un contexte où le pays gémit sous ses maux. Une approche humble, s’appuyant sur les ressources humaines locales, plus crédibles et proches des populations, est privilégiée. « Il faut sortir des schémas classiques, où l’on organisait des ateliers, parce que cette méthode a montré ses limites. Il faut aller à la base et commencer à rencontrer d’abord les autorités traditionnelles de chaque communauté dans la région, jusque dans les villages », recommande Mahamadou Diouara. Le sociologue en appelle à un changement de posture de l’État et estime qu’une rencontre sous un arbre à palabre ou dans un vestibule, animée dans une langue nationale, est porteuse de plus de résultats que des rencontres aux allures officielles. « On doit repartir vers les fondamentaux et reconnaitre aux autorités traditionnelles leur place. Dans cet exercice, on doit se positionner comme un chercheur de paix et de réconciliation », indique-t-il, soulignant le rôle des artistes dans le retour de la paix et la cohésion sociale. Ce qui devrait être le cas. L’Ambassadeur Diarra a assuré durant la conférence du 3 juillet que les « écoutes se feront de la base vers le sommet ».
Pour bien des analystes et citoyens, ce dialogue politique inclusif n’est qu’une gymnastique pour parvenir à la révision constitutionnelle indispensable pour la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation. « Il y a l’article 118 de la Constitution qui ne donne pas la possibilité, dans le contexte actuel, de faire la révision. Pour contourner cet article du point de vue juridique, il faut aller vers les populations, puisqu’en fin de compte la souveraineté appartient au peuple », note l’analyste politique Ballan Diakité. Selon lui, le dialogue doit prendre en compte toutes les questions qui préoccupent au Mali. « La question la plus épineuse aujourd’hui est celle du centre et du nord, qui ne peut être résolue que par l’application de l’Accord ». Cependant, le chercheur au CRAPES est réticent à un dialogue avec les chefs djihadistes. « Aller au dialogue avec les acteurs djihadistes, c’est reconnaitre quelque part la faiblesse et l’impuissance de l’État face à eux. Le dialogue est bon quand on connait les objectifs de l’autre et quand on sait qu’il a une volonté d’aller vers la paix. Avec les terroristes, rien ne nous garantit que ce sera le cas ».
Certains ne fondent aucun espoir sur cette initiative, estimant qu’elle ne traitera pas les causes profondes de la crise actuelle. Pour le Pr Issa N’Diaye, la principale préoccupation du pouvoir « est la réforme constitutionnelle selon les exigences de l’Accord, dont les conséquences néfastes pour le pays sont connues ». « Les Maliens, dans leur majorité, rejettent cet accord, qui n’a fait l’objet d’aucune consultation populaire. Il a été signé dans leur dos et imposé de l’extérieur. Dans ces conditions, le dialogue ne pourra pas résoudre les problèmes », soutient-il. Il ajoute « il risque même de le diviser davantage, de créer une situation de guerre civile généralisée, avec des dimensions ethniques, régionalistes et religieuses plus prononcées ».
Le Pr N’Diaye pense que tout est verrouillé d’avance. « La seule façon de faire aboutir le dialogue nécessite que le pouvoir se dessaisisse de la conduite du processus. Il faut des véritables assises populaires nationales souveraines, organisées du bas vers le haut », propose l’ancien ministre de la Culture. Alors que les facilitateurs se disent déterminés à mener leur mission jusqu’au bout avec tous les acteurs, il appelle le gouvernement « à revoir sa copie, repenser totalement le dispositif dans sa conception, son organisation et sa mise en œuvre ».
Journal du mali