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Dialogue doctrinale : La proposition d’un ex-otage

Enlevé le 20 novembre 2022, j’ai vécu presqu’une année au Sahara dans les mains des djihadistes. Pendant trois cent soixante-onze jours, j’ai prié dans une profonde paix intérieure et dans la conscience de la présence de Dieu. Entre l’enclume de la compréhension des textes erronés et le dialogue interreligieux, que faut-il préconiser ?

Dans la livraison du N°265 du premier Hebdomadaire Chrétiens d’Informations, l’article intitulé « Un dialogue doctrinal avec les groupes armés s’impose » m’a immédiatement renvoyé à l’expérience des cinq premières semaines de ma captivité, expérience qui appuie cette recommandation de dialogue doctrinal, de clarification des concepts de Djihad par les érudits maliens.

Je me trouvais « dans la brousse du Sahel » sous des petits arbres, gardés par six jeunes entre seize, et vingt-six ans. Certains connaissaient le bambara et avec eux j’ai eu un bon nombre de discussion sur la foi chrétienne et musulmane, mais aussi sur des questions telles que pourquoi je suis devenu prêtre (imam des chrétiens) ? Pourquoi eux sont devenus djihadistes ?

C’est là où doit commencer le « dialogue doctrinal avec les djihadistes », par la connaissance de l’autre, de leurs motivations. Le premier jour, le jeune bambara qui m’accompagnait dans la voiture me disait : « Mon Père, n’ayez pas peur. Vous connaissez Al-Qaïda ? Iyad Ag Ghaly ? Amadou Kouffa ? » Je répondais que je connaissais les noms. Alors, me dit-il, « maintenant vous allez rencontrer les gens d’Al-Qaïda. Nous sommes les bons. Nous ne sommes pas comme ceux de Daesh, qui tuent tout le monde : vieux, enfants, femmes … nous on ne fait pas cela ».

« Nous étions tous à Bamako, poursuit-il, on faisait des petits boulots … et on était choqué de la manière dont les musulmans vivent leur foi : les jeunes qui boivent de l’alcool et qui fument. Les filles qui se maquillent comme des prostituées et portent des jupes courtes. C’est là où l’imam nous a dit que cela venait du fait que la sharia n’était pas appliquée au Mali, et que Dieu même nous appelait au djihad (armé pour eux) pour établir une société fondée sur les lois de Dieu contenu dans le Coran ».

Ces jeunes, dont la plupart a fait seulement l’école coranique, ne sont pas de « mauvaises personnes », ils sont « égarés » selon moi. Des gens qui ont subis un « endoctrinement », un « lavage de cerveau ». Eux sont convaincus de faire la volonté de Dieu. Ils veulent une société plus juste, sans mensonge, ni vols, ni adultères … ce que le guide spirituel des Ançars, Cheikh Ousmane Madani Haïdara, veut atteindre par la « bay´a al-islamiya » le serment d’allégeance basé sur Qur’ān 60,12. « O Prophète ! Quand les croyantes viennent te prêter serment d’allégeance [et en jurent] qu’elles n’associeront rien à Allah, qu’elles ne voleront pas, qu’elles ne se livreront pas à l’adultère, qu’elles ne tueront pas leurs propres enfants, qu’elles ne commettront aucune infamie ni avec leurs mains ni avec leurs pieds et qu’elles ne désobéiront pas en ce qui est convenable, alors reçois leur serment d’allégeance, et implore d’Allah le pardon pour elles. Allah est certes, Pardonneur et Très Miséricordieux ».

Les djihadistes veulent cette société plus juste en imposant la sharia par les armes. Eux-mêmes s’appellent djihadistes. Pour eux, c’est un titre d’honneur dont ils sont fiers. Toute la journée, ils écoutent avec leur téléphone des lectures coraniques, des homélies faisant l’apologie du djihad, écoutent des chants exaltant le djihad sur fond de tirs de kalachnikov. Ils ont une mission, le djihad donné un sens à leur vie.

Bien sûr je me suis posé la question : « que faire ? Comment faire avec des gens qui ont subis ce « lavage de cerveau ? ». Je me suis rappelé une vidéo de 2021 ou 2022 ? Sur Facebook, Doniya TV, du professeur Cheikh Yacoub Doucouré où pendant quarante minutes il discutait en bambara avec des djihadistes. Et face au professeur, les djihadistes n’avaient plus aucun argument. Il faudrait trouver des voies et de moyens de propager cette vidéo, ou des vidéos semblables sur les ondes et surtout les réseaux sociaux et sur internet.

La plupart des djihadistes est connecté à WhatsApp. Il s’agit de leur présenter une autre lecture des passages du Coran qui, selon eux, demandent le djihad armé à tous les musulmans. Il y a des programmes de déradicalisation. En tout cas, il faut, à défaut de les « convaincre/sensibiliser » au moins essayer de les faire réfléchir. Cela doit nécessairement être fait par des érudits musulmans, dans les langues locales. C’est le seul chemin d’après moi.

Le premier soir, quand j’ai demandé au chef du petit groupe, pourquoi on m’avait enlevé ? Il m’a répondu : « Parce que l’Allemagne est en guerre avec nous. Les Allemands aident l’armée malienne à nous tuer, l’armée malienne applique la « tolérance zéro » face à nous ». Vrai ou faux, c’est comme ça que les djihadistes le voient.

Or j’ai acquis la conviction que pour chaque jeune djihadiste tué, trois de ses frères ou cousins vont rejoindre le rang des djihadistes pour le venger. Tuer les « présumés » djihadistes à l’effet contraire, d’autant plus qu’ils n’aspirent qu’à être tué au combat pour entrer au paradis. C’est un autre point à leur expliquer par les érudits maliens. J’ai été témoin d’un jeune qui était triste et découragé parce que ses supérieurs n’avaient pas accepté que ce soit lui, qui se fasse exploser avec un pick-up bourré d’explosives lors de l’attaque du camp de Niafunké en novembre 2023. Ils m’ont montré tout fier des photos qui montraient les dégâts de l’attaque et la photo du jeune martyr « Abou Daououd ». « Ah lui ! Il a la chance, il est au paradis », me dit-il.

A mon humble avis, il faudrait qu’au niveau de tout le Mali, dans toutes les mosquées, dans toutes les prêches, reprendre les arguments des djihadistes tirés du Coran et leur démontrer qu’il s’agit là d’une lecture erronée du texte sacré. Il faudrait ainsi préparer tous les musulmans à discuter avec des personnes qui partagent les idées des djihadistes et présenter en même temps une vision d’une société, d’un Mali uni dans la diversité des ethnies et des religions. Ce serait pour moi la raison d’être du ministère des Affaires Religieuses du Culte et de la Culture. Collaborer à l’avènement de ce « Mali Kura » pacifique et pacifié, peut aussi donner un sens exaltant à la vie.

 

Père Ha-Jo Lohre

Mali Tribune
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