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Deuxième audiences publiques de la CVJR : Soigner les plaies

La Commission Vérité Justice et Réconciliation (CVJR) a ténu sa deuxième audience publique, le samedi 5 décembre au centre international de conférence de Bamako (CICB). L’objectif consistait à écouter et consoler 12 victimes de violation de droits humains au Mali. La cérémonie d’ouverture fut présidée par le chef du gouvernement Moctar Ouane.

 

L’audience a regroupé 12 victimes parmi les 19 000 recensées. Chaque récit était axé sur le thème retenu « atteintes au droit à la vie et l’intégrité physique ».

Les audiences publiques de la Commission Vérité Justice et Réconciliation ne sont pas d’ordre judicaire. Ce sont des lieux d’écoute et de reconnaissance nationale des souffrances des victimes. Elles visent également à inclure les récits des victimes dans les mémoires nationales.

« A la différence des tribunaux qui cherchent à établir la culpabilité ou l’innocence des auteurs présumés, ici seules les victimes seront entendues, la CVJR leur offrant un cadre digne et sécurisé où elles pourront raconter les souffrances vécues. En effet, l’audience publique est un espace d’écoute respectueuse, où les victimes ont un rôle de premier plan. C´est un cercle de solidarité, construit autour du récit, comme tant d’institutions traditionnelles au Mali. Elle permet surtout de rendre aux victimes leur dignité, d’intégrer leurs récits à la mémoire nationale et de faciliter un début de guérison », a indiqué Ousmane Oumarou Sidibé, président de la CVJR.

Chaque victime racontait les tortures, souffrances et désespoir subis au cours des rebellions, massacres et attaques militaires. Ces victimes viennent de Mopti, Kidal, Téssalit, Ménaka, Tombouctou, Gao, Ségou, Kayes.

« Je profite de cet espace pour remercier la CVJR, qui chaque jour met les victimes au cœur de ses activités. Certes, nous ne sommes pas guéris de nos blessures. Je peux vous dire par ailleurs que nous avons le droit d’espérer après la création de cette structure qui a le souci de traiter le passé pour faire connaitre la vérité sur des faits jusque-là peu connus ou méconnus de certains. La CVJR est cette spécialiste qui traite les plaies dans l’anonymat et la confidentialité, écoute sans juger et comprendre sans prendre parti. Nous sommes favorables au pardon pour la réconciliation mais pas au prix de l’impunité », a souligné la représentante des victimes, Fatoumata Touré.

Selon le Premier ministre Moctar Ouane, le gouvernement mettra en place des mesures nécessaires afin que les personnes qui ont perdu leur dignité puissent les retrouver. « Aujourd’hui je peux vous assurer que nous ne ménagerons aucun effort pour faire tout ce qui est possible pour l’Etat, afin de redonner la dignité aux victimes et d’établir les conditions de réconciliation durable. Nous voudrons aussi saluer le courage des victimes qui ont voulu venir aujourd’hui partager leur souffrance avec la nation malienne dans un esprit de générosité, de pardon et de réconciliation ».

Introduite par un film documentaire sur les violations des droits humains, la deuxième audience publique fut ouverte en présence du Premier ministre Moctar Ouane, du ministre de la Réconciliation nationale, le colonel-major Ismaël Wagué, du ministre de la Culture, de l’Artisanat et du Tourisme, Kadiatou Konaré, de celle de la Femme, de l’Enfant et de la Famille, Bintou Founê Samaké, du président de la CVJR Ousmane Oumarou Sidibé, des représentants des associations des victimes et bien d’autres participants.

Fatoumata Kané

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 12 victimes en face du public :

Des larmes pour témoins…

 Au cours de l’audience publique de la Commission, Vérité, Justice et Réconciliation, les récits des victimes s’articulaient autour des enlèvements, tortures et autres traitements inhumains cruels et dégradants au Mali. Ils ont arraché des larmes, réveillé des douleurs.

L’audience publique se déroulait sous la forme d’un panel dont 5 commissaires de la CVJR assuraient le rôle de panelistes. Les témoignages s’effectuaient dans les langues locales et officielles qui étaient traduites par des interprètes différents. Ils s’exprimaient en Arabe, Bambara, Tamashek, Fulfuldé, Songhoy et Français.

Le 9 juillet 2019 est une date que Lazarre Dara et Isac Dara ne vont jamais oublier. C’était un jour à Sobane-Da, lorsque des tirs de balles réelles occasionnaient de l’incendie des personnes et des maisons. Ils étaient au nombre de 102 personnes brûlées vives. Plus de 14 membres de la famille de Lazare y ont perdu la vie en étant brûlés et 6 personnes de la famille d’Isac Dara n’ont pas échappé non plus à cette mort terrible. Ils indiquent que le village Sobane-Da était couvert de feu et cadavres. C’était pitoyable de voir une femme enceinte qui brûlait et en même temps donnait naissance sur place à son bébé.

Ayant des grosses cicatrices de brûlures à la main et sur son corps, Isaac Dara a été aussi touché psychologiquement. Il se plaint du manque de moyens pour subvenir à ses besoins alimentaires et soin médical.

‘’Le retour de la paix et la réconciliation dans mon pays est mon souhait. Nous n’avons plus rien dans notre village. Tout a été brûlé, les maisons de cultes, aucun matériel de travail ne nous reste, et aujourd’hui les gens souffrent beaucoup’’, a indiqué Lazare Dara.

Isaac Dara rappelle que les enfants innocents sont exterminés à cause de la rébellion. Il souhaite que toutes les races du pays se donnent les mains pour stabiliser le pays.

Le public était très ému et étonné de voir des personnes qui ont survécu à de telles tragédies.

Abdoulaye Barry et Hamadoun Dicko ont été fortement touchés par l’attaque à Ogossagou, le 23 mars 2019.

‘’On entendait des coups de fusils à balles réelles. La case de notre chef de famille a été brûlée. Les hommes armés ont détenu un petit garçon qui avait une arme à la main. Deux mois après, un vendredi on voit encore des personnes ayant les fusils à la main et jusqu’à 21 heures les gens couraient dans tous les sens. A 5 heures, je revenais de la mosquée et je suis tombé sur des hommes armés. J’ai fait sortir de la maison ma femme et son bébé de six mois. Les militaires et les civils s’entre tiraient avec des balles réelles. On voyait des cadavres partout. Nous nous sommes refugiés dans un village voisin. Après ces deux jours de traumatisme, j’ai perdu l’envie de rester dans mon village’’, a informé Abdoulaye Barry.

Il regrette beaucoup cet acte et demande à tous les Maliens de s’unir car ils viennent tous d’une même mère et d’un même père. Son souhait est que l’entente et la paix reviennent dans son pays.

Maïmouna Mohamed est une autre victime qui était enceinte de 7 mois lorsque des groupes armés enlevaient son mari en 2013 à Tombouctou. Six mois après l’enlèvement de son mari, son père lui informa sur le décès proprement dit de son gendre. Rien qu’en racontant son histoire, elle ne peut plus retenir ses larmes et a fait pleurer le public avec elle.

‘’J’étais déçue car je n’allais plus voir mon mari et mon enfant vivra sans connaître son père. Mon cœur me fait très mal et je n’ai plus d’espoir. Mon enfant et moi sommes en manque de nourriture et de logement. Mes enfants ne sont pas envoyés à l’école. Je souhaite que l’Etat m’aide à envoyer mes enfants à l’école’’, a-t-elle demandé.

Chaque témoignage se terminait par des questions et réponses entre les victimes et panelistes. Au cours de ces échanges, le président de la CVJR, Ousmane Oumarou Sidibé, aussi paneliste, exprimait une reconnaissance forte et des mots réconfortants à l’endroit des différentes victimes.

‘’Le 24 juillet 1994, les professionnels du crime ont encerclé la cité du Banamba. Le marché était encerclé et retentie de coup de feu. Une première dans mon village, c’était horrible et tragique.  Que de la barbarie ce jour-là. La ville était bousillée de 10 heures à 17 heures, il n’y avait ni l’ouest, l’est, le nord ni le sud. Les marchés et les maisons étaient brûlés. Tout le monde se dirigeait ensemble vers le fleuve. Il ne nous restait plus rien que de la désolation. Je vois encore l’image de ma cousine qui tenait son bébé de 3 mois à la main. 14 membres de ma famille étaient morts sur le sol au marché. Au total, on a eu 63 morts en une journée. Au bout de quelques temps, plus de 105 personnes étaient décédées et on enterait un à un nos cadavres. Tous les autochtones de Banamba ont encore la psychose de ce drame’’, a raconté Mahamane Armata Touré, chef de village de Banamba, victime et témoin oculaire.

Il ajoutait que malgré les douleurs et torts subis, ils sont prêts à pardonner aux auteurs de ce crime car pour lui l’esprit critique religieux exige le pardon et le Mali est un pays de paix et de réconciliation. Aussi a-t-il informé que la ville de Banamba est isolée et exposée à l’insécurité.

‘’Je demande à l’Etat de tout mettre en œuvre pour que Banamba soit sécurisé. Nous souhaitons retourner dans nos champs et famille’’, a recommandé Mahamane Armata Touré.

Aboubacar Sadète Ould, âgé de 19 ans, il était le plus jeune parmi les victimes. Il a témoigné la perte de son père depuis son enfance. Selon son récit, le décès de son papa est survenu lors d’une attaque de l’armée malienne à Tombouctou en 2014. Aujourd’hui, à son jeune âge, il prend en charge ses frères et sœurs. Pour qu’il pardonne les torts causés, il souhaite revoir son père.

Depuis son indépendance à nos jours, le Mali a connu des rebellions armées, des coups d’Etat, des tentatives de coups d’Etat et des crises politiques qui pour la plupart ont occasionné des violations graves de droits de l’homme. Les 12 victimes de la deuxième audience publique sont les hommes et femmes survivants de ces violations de droit humain. Il faut rappeler que l’audience publique était non seulement un lieu d’écoute mais aussi de propositions de mesures de réparation des torts causés pour que les atrocités ne se répètent plus.

Fatoumata Kané

Source : Mali Tribune

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