La corruption, le chômage, le népotisme, la gabegie et moult autres fléaux gangrènent aujourd’hui l’administration malienne et la société. Mais, de tous ces maux, l’un ronge l’Etat jusque dans ses fondements : le détournement des deniers publics. Le procureur général près la Cour d’appel, Daniel Amagouin Tessougué s’insurge contre cette pratique qui a atteint des proportions jamais frôlées sous nos cieux. Tessougué a mis le pied dans le plat et le doigt sur la plaie lundi dernier à l’ouverture de la 2è session de la Cour d’assises de Bamako. Pour lui, «les ressources publiques sont devenues le coffre-fort de ceux qui y ont accès».
La société malienne va très mal, du fait de ses gouvernants, qui n’ont aucun égard, ni pour le peuple, ni pour la chose publique. Ils sucent le sang des citoyens, pour satisfaire leurs intérêts personnels. Ce tableau, malheureusement érigé en mode de gouvernance, irrite le procureur général près la Cour d’appel, qui l’a dénoncé le 17 novembre dernier, sans langue de bois, à l’ouverture de la 2è session de la Cour d’assises de Bamako. Cette session se déroule aux termes d’une année difficile pour le peuple malien. Pour Tessougué, aucune amnésie ne devrait faire oublier tant de souffrances endurées par des femmes et des hommes. La misère a atteint des sommets sans précédents et il importe aux pouvoirs publics d’apporter rapidement une réponse aux préoccupations, qui ont pour noms : chômage, coût de la vie, insécurité, école, santé, corruption etc. Aux maux qui minent la société, la Justice a l’obligation de se montrer à hauteur de mission, sans faiblir et sans démagogie.
Selon lui, le juge, en entrant dans sa conscience pour dire le droit, doit se souvenir des dispositions de l’article 2er de la Constitution du 25 février 1992 : «Tous les Maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoirs. Toute discrimination fondée sur l’origine sociale, la couleur, la langue, la race, le sexe, la religion et l’opinion politique est prohibée ».
Daniel Tessougué met l’accent sur les nombreux détournements des biens publics. « Alors que les pères fondateurs de cette nation avaient une crainte révérencielle du bien public, des ressources de la République, leurs héritiers en ont fait un bien dans lequel on peut puiser à satiété, dès que la position le permet », s’est-il indigné, regrettant que le Malien ait appris à prendre trop de libertés avec la chose d’autrui. En effet, ajoute Tessougué, les ressources publiques sont devenues le coffre-fort de ceux qui y ont accès : « Ils n’hésitent pas à en faire la caverne d’Ali Baba. Ils y puissent sans vergogne, avec la baraka de ceux qui en profitent.
Les biens que les particuliers thésaurisent péniblement, n’échappent pas à la cupidité de certains agents publics, heureux de se sucrer sur le dos de ceux qui ont la malheur de solliciter un service ».
Le procureur va plus loin en affirmant qu’au Mali, nous avons la délinquance économique et financière sous ses deux formes. A savoir, la corruption systémique ou grande corruption, qui déstructure un Etat et conduit indubitablement à la révolte populaire ; et celle que l’on s’amuse à édulcorer par les expressions nauséabondes de tracasseries administratives, raquettes sauvages, dessous de tables etc.
Dans le premier cas, explique Tessougué, de grosses sommes d’argent sont détournées de leurs objectifs, causant des misères à des millions de personnes, établissant une inégalité de fortune entre des citoyens et affaiblissant l’Etat, car elle crée une défiance entre gouvernés et gouvernants. « Elle devrait faire l’objet d’une incrimination dans le code pénal, sous la formule de crime contre la nation », propose-t-il.
Dans le second cas, poursuit le professeur de Droit à l’Université de Bamako, l’étiologie de la corruption nous permet de résumer celle-ci en cet adage : qui a volé un œuf, volera un bœuf. En effet, « celui-là qui se complait des 500 francs qu’il peut arracher au bout d’une ruelle ou dans les couloirs sombres d’un bureau, n’hésitera pas à vider le coffre-fort dès qu’il en a l’occasion, s’il ne force pas le destin », se convainc-t-il.
Face à cette situation, Daniel Tessougué lance un défi : « la justice assumera ses responsabilités vis-à-vis du phénomène criminel, car c’est sa mission au regard de la loi fondamentale ».
Pour prouver sa détermination, le PG Tessougué annonce que pour les évènements récents de surfacturations, le parquet général a instruit au Procureur de la République près le tribunal de 1ère instance de la Commune III, de faire mener une enquête par la brigade économique et financière.
Sékou Tamboura