Un flux ininterrompu de Sud-Africains, partagés entre tristesse et fierté, défile jeudi en silence à Pretoria devant le cercueil semi-ouvert de Nelson Mandela, rendu à son peuple pour la deuxième journée depuis sa mort il y a une semaine.
« Maintenant je réalise vraiment » que le héros de la liberté et du pardon s’est éteint, commentait, émue, Queen Motaung, 60 ans, en sortant du siège de la présidence sud-africaine où la dépouille est exposée pour trois jours.
Au moins 20.000 personnes, selon des chiffres officiels publiés en milieu de matinée, s’alignaient sur plusieurs kilomètres dans trois sites de la capitale dans l’attente des navettes vers Union Building, un bâtiment imprssionnant qui surplombe Pretoria.
Ces serpentins humains, que l’on voyait se dérouler sur les photos aériennes, évoquaient les files qui s’étaient formées dans tout le pays en 1994 lors des premières élections démocratiques. Ce scrutin avait porté Nelson Mandela à la présidence.
La procession d’anonymes défilait à un rythme bien plus soutenu que la veille, jetant un regard furtif au père de la Nation, sous l’œil de militaires en uniforme d’apparat, qui veillaient à ce que personne ne prenne de photo du grand homme ou ne s’arrête devant la dépouille.
A l’intérieur du cercueil, Nelson Mandela, vêtu d’une de ses traditionnelles chemises à motifs de ton marron, avait les yeux clos, le visage détendu. Les six derniers mois de maladie n’avaient pas laissé de trace visible.
Au grand dam du gouvernement et des internautes, une prétendue photo du visage de Mandela sur son lit de mort circulait sur internet. Personne ne pouvait immédiatement confirmer son authenticité.
Certaines personnes arboraient un drapeau sud-africain, d’autres les couleurs noir et or du Congrès national africain (ANC), le parti de la lutte anti-apartheid, au pouvoir depuis 1994. Quelques-unes avaient opté pour un noir de circonstance. Une personne en costume de Superman s’était perdue dans la foule.
Une fois passés près du corps, beaucoup avaient du mal à contenir leurs larmes. Des fauteuils roulants étaient à la disposition des plus secoués.
« Mon cœur est brisé » commentait Anita Bodiba, 35 ans. « C’est lui qui nous a unis, nous les Sud-Africains, Blancs, Noirs, Indiens ».
A la tête de l’Etat, Nelson Mandela avait opté pour le pardon et la réconciliation, multipliant les gestes en direction de ses anciens oppresseurs, notamment en endossant le maillot de l’équipe de rugby , les Springboks adulés par les Blancs, lors du Mondial 1995.
« Mes cheveux se hérissent »
Mercredi, sa dépouille avait déjà été exposée à Union Buildings, où des personnalités comme le mannequin Gomina Campbell, et sa famille lui avaient rendu visite dans la matinée.
Des milliers d’anonymes s’étaient ensuite pressés dans l’après-midi pour le voir, se réappropriant leur héros après des hommages officiels accaparés par les responsables politiques et les dignitaires étrangers, notamment mardi lors d’une cérémonie officielle à Soweto avec près de 100 dirigeants du monde entier, dont l’Américain Barack Obama.
La polémique enflait d’ailleurs jeudi autour de l’interprète pour sourds-muets qui avait assuré les traductions pendant cette cérémonie. Selon les associations concernées, il ne maîtrisait pas la langue des signes et était incompréhensible. Lui a plaidé un moment de « schizophrénie » due à la pression.
Jeudi matin, la dépouille de Nelson Mandela a de nouveau emprunté pendant une demi-heure les rues de la capitale, où des centaines de personnes ont formé une haie d’honneur en agitant de petits drapeaux sud-africains distribués par le gouvernement.
Certains chantaient et dansaient. Tous ont salué le cortège à son passage dans la rue Madiba (ex-Vermeulen), fraîchement rebaptisée pour rendre hommage au nom de clan de Mandela, affectueusement adopté par la plupart des Sud-Africains.
« Mes cheveux se hérissent. C’est un corps sans âme. Comme quand vos parents vous quittent. Je pleure mon président », témoignait Johanna Moyo, 41 ans, au passage du corbillard.
« Je suis très touchée, et triste, mais il a joué son rôle », ajoutait Phumzile Mnguni, 25 ans.
Le corps du héros national sera encore exposé dans la cour de la présidence vendredi, après avoir été une nouvelle fois transporté à travers Pretoria.
Il sera transféré samedi dans le Cap oriental (sud-est), la province natale de Nelson Mandela, avant l’inhumation dimanche à Qunu, le village de son enfance.
En prévision des obsèques, des ouvriers s’affairaient jeudi à monter un large chapiteau blanc d’une capacité de 5.000 places dans ce village rural, situé à un millier de kilomètres au sud de Johannesburg.
L’accès au site est strictement réservé aux proches du Nobel de la paix. Militaires et policiers patrouillaient les rues du village, où Mandela s’était fait construire une résidence à sa libération après 27 ans dans les geôles du régime raciste.
L’armée a également pris le contrôle de l’aéroport le plus proche, dans la petite ville de Mthatha, qui verra se poser une centaine d’appareils au cours du week-end.