On nous l’a dit. On nous le dit. Et on vous le dira comme un refrain : dès lors qu’il s’agit des dépenses de famille, la solidarité de l’épouse malienne reste à l’infinitif… comprendre : aucune générosité ne s’exprime d’elle, ni au présent ni au futur ni à aucun temps de l’indicatif. Le reproche, ressassé à longueur de journée, est le principal chef d’accusation que l’homme malien porte contre l’épouse malienne. Mais, chut ! Osons aller vérifier discrètement. Marchons à pas de loup, glissons-nous secrètement dans les foyers maliens, cachons-nous dans une encoignure de la maison, observons… et nous verrons que… messieurs ne nous disent pas toujours franchement tout.
Lui, levé dès les aurores et déjà en train de franchir le seuil de sa porte… direction son atelier pour commencer son épuisante journée de travail… il se prénomme Chaka ou Abdoul ou pourquoi pas Souley. Celui-là, assis derrière une moto-taxi et l’esprit déjà en mode réflexion accélérée avant même qu’il ne soit à son bureau pour se plonger dans la pile de dossiers qui l’attend de pied ferme… il s’appelle Bocary ou Mohamed ou Youssouf. Cet autre là-bas, boucher de son état, affairé sur la côte de bœuf qu’il dépèce sous l’œil vigilant de ses premières clientes… son nom est peut-être Lamine D… ou Monzon C… ou bien Etienne F… Celui-ci, votre voisin de quartier immédiat, celui dont la maison jouxte la vôtre, il s’agit du vieux Bakôrôba ou du doyen Traoré ou de l’aîné Bamody. La liste est interminable et inépuisable. Mais un point commun fédère tous ces braves messieurs.
Un dénominateur commun rassemble tous ces persévérants chefs de famille sous le même étendard. Un refrain entonné en chœur fait de tous ces noms… des associés, solidaires dans la même pensée, semblables par la même logique, soudés comme un seul homme dans la même affirmation prononcée avec la force de la conviction la plus inébranlable. Tous ces hommes vont diront à l’unisson une chose et vous sortiront mille arguments “valables” ou “irréfutables”, selon eux, pour vous persuader de l’infaillible justesse de ce qu’ils avancent… comme s’il s’agissait d’une parole d’Evangile ou d’une formule “venue directe” des saintes pages du Coran. Ce que tous ces “doutigui” vous répéteront à longueur de journée, partout et en toutes occasions, c’est cette complainte : « Les femmes maliennes ! c’est solidarité financière zéro ! Elles sont toutes pareilles… à leurs yeux, l’homme est le seul qui doit supporter sur ses frêles épaules toutes les charges de la famille… » Vous entendrez même certains de la gente masculine poussé le reproche jusqu’à cette remarque à la pointe trempée dans l’acide de la critique : « Tout ce qui les rend enthousiastes, c’est lorsqu’il est question de distribuer leur argent aux griots et griottes pendant que le mari est là à trimer pour assurer le prix de la popote quotidienne… »
Pourtant, ces tirs croisés de récriminations, dirigés contre les Maliennes, constituent un injuste et injustifié procès mené contre nos sœurs, nos tantes et nos mamans au foyer. Car, si l’on osait une immersion discrète dans nos familles, l’on se rendrait compte que les épouses maliennes sont loin, très loin, de l’image 100% de cupidité, d’arrivisme et d’égoïsme qu’on leur colle à la peau de manière caricaturale. En vérité, même si l’homme malien, en public, met toujours un point d’honneur à s’afficher comme le seul Ministre des Finances et de l’Economie au sein de la famille, il serait ingrat de passer sous silence l’immense part que Madame prend elle aussi dans les dépenses nécessaires au confort de la maisonnée. Prix de condiments insuffisant mais complété à l’insu du mari, accessoires de toilettes des enfants manquants mais achetés sans que l’époux le sache, paie mensuelle de l’aide-ménagère, couches du nourrisson, goûters du petit soir commandés chez la vendeuse de pâtés, frais d’ordonnance pour lesquels monsieur a les poches vides et auxquels chaque dembatigui se fait le devoir de pourvoir etc., etc. ; les épouses maliennes sont au quotidien les béquilles financières actives sans lesquelles plus d’un mari aurait le plus grand mal à tenir le foyer. Combien sont-ils d’ailleurs ces époux au chômage ou exerçant un job au salaire si modique qu’il leur est impossible de subvenir hebdomadairement à tous les besoins financiers du foyer ? Ils sont des dizaines, peut-être même des centaines de milliers. Pourtant, pendant ce temps, ce sont les femmes, sentinelle du temple de l’honneur familial qui, très souvent et en toute discrétion, relayent Messieurs dans les dépenses. Consciente qu’on entre dans l’univers du mariage en espérant le meilleur (bien sûr !), mais qu’on peut y vivre des jours peu réjouissants, la Malienne a appris à être la personnification même de l’Altruisme, de l’Abnégation et du Stoïcisme. Témoin silencieux et compagne obligée des hauts et des bas de son mari, la dame malienne sait se dévouer quand la maison brûle financièrement, et n’hésite point à se saigner pour maintenir l’époux désargenté sous perfusion.
Certes, « Tout ce brille n’est pas de l’or » de même que toute Reine à la beauté incomparable n’est pas toujours la promesse d’une idylle au paradis. Certes, certaines ladies, disciples fanatisées de l’Ecole des femmes fatales, se sont fait une religion de considérer l’époux comme un puits de pétrole à siphonner sans arrêt ou une vache à traire sans répit. Mais de là, prendre les raccourcis de la génération facile et mettre toutes les femmes maliennes dans le même avion bombardier de la cupidité que leurs semblables qui exigent wari dron, il y a un pas que le constat objectif nous commande de ne pas franchir. Il faut rendre à César ce qui appartient à César. Il faut donc rendre à la Malienne tout le mérite de la solidarité inépuisable dont elle fait preuve dans les dépenses familiales. Et s’il se trouve sous d’autres cieux, comme dans la fable de La Fontaine, que « La fourmi n’est pas prêteuse… », ce n’est certainement pas à la Malienne qu’on peut faire un procès pour défaut de générosité.
MOHAMED MEBA TEMBELY
Source: Les Échos- Mali