Le tournant décisif est intervenu avec la chute du mur de Berlin, qui libéra au moins en partie les forces sociales et politiques intérieures jusqu’alors violemment réprimées avec l’explosion des conférences nationales, dont la première se tint au Bénin en février 1990. Ce n’est sans doute pas un hasard si Nelson Mandela fut libéré au même moment de prison en février 1990. Depuis lors, les transformations n’ont plus cessé, et la genèse d’une société civile et politique est en marche.
Aujourd’hui en moyenne, la population urbaine dépasse la population rurale, mais les remèdes économiques imposés par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale dans les années 1990, les PAS (Politiques d’ajustement structurel) eurent des conséquences sociales tragiques: écoles, universités, hôpitaux sont dans une situation désastreuse.
La démocratisation n’a pas fait assez de progrès dans certains pays (Mali, Bénin, Sénégal, Botswana…), d’autres pays demeurent fragiles (Burkina Faso, Niger), ou encore en échec (Cameroun, Togo, Kenya..) et surtout mal comprise: chaque opposant crée son propre parti, on peut compter dans certains pays des centaines de mini partis ou GIE (Groupement d’intérêt économique) d’opposition ou favorables à la majorité.
Ce sont les politiques qui ont le pouvoir de changer
L’univers du pouvoir est complexe. La courtisanerie qui entoure les chefs est la mère de leur solitude. Peu d’échanges vrais, ils sont comme dit Mohamed Ali, des hommes et des femmes à qui l’on serine à longueur de journée: «Tu es le plus grand, le plus beau, le plus fort». Il faut une grande force d’âme pour ne pas accorder un peu de crédit à ces flatteries. Le chef est largement coupé du monde réel, peu au fait de ce qui se passe vraiment dans la société. Le chef est pourtant submergé d’informations dispensées par sa cour: ragots, fausses promesses, complots imaginaires, versions tronquées, calomnies contre d’éventuels concurrents.
Comment trouver le temps de réfléchir, de faire le tri, de trancher ? Agir comme les courtisans ou mettre les mains dans le cambouis et les pieds dans les flaques boueuses d’un pays, où plus de la moitié de la population vit en dessous du seuil de la pauvreté, où tout est urgent et vital ?
Au Mali, le pouvoir est principalement incarné par l’exécutif, au premier rang, par le chef de l’État, ses ministres, les responsables des institutions. Mais ces responsables ne sont que des humains; ils ne peuvent agir, connaitre, comprendre et décider seuls. Par la force des choses, ils sont entourés de proches. Une autre caractéristique du pouvoir est liée au verrouillage de cet univers, où les nouveaux venus sont souvent vécus comme de potentielles menaces. Ce verrouillage explique la forte proportion d’hommes et de femmes de pouvoir qui ont fait de cet art leur métier, et dont certains ont même dépassé l’âge de la retraite. Une situation relativement récente d’ailleurs.
Modibo Keita avait quarante-cinq (45) ans en 1960. Moussa Traoré avait trente-deux (32) ans en 1968. Assimi Goïta en 2020 avait trente-six (36) ans. Pour faire bouger les lignes, la compétence ou la volonté ne suffisent pas. Ceux qui ont le pouvoir de changer les choses sont les politiques, car ils sont investis de la légitimité populaire.
Les politiques vous appellent pour votre compétence, jusqu’au jour où ils n’en ont plus l’utilité ou que leurs stratégies électorales les poussent à d’autres besoins. Les politiques craignent parfois les compétences. C’est pourquoi il faudrait doubler les aptitudes des technocrates par une légitimité politique.
Safounè KOUMBA