Alors que les peuples de l’AES se mobilisent pour leur souveraineté, certains leaders politiques maliens descendent dans la rue… pour préserver leurs privilèges
Leurs cris pour la démocratie masquent mal leur silence face aux drames nationaux, et trahissent une réalité crue. Au Mali, la transition dérange moins pour ce qu’elle fait que pour ce qu’elle défait.
Alors que, de Niamey à Ouagadougou, les peuples de l’AES se rassemblent pour défendre leur souveraineté face aux injonctions de la CEDEAO et aux regards condescendants des vieilles puissances, le Mali fait exception. Ici, les mobilisations ne se font pas pour la nation, mais pour le système. Pas pour le pays, mais pour la pérennité d’un confort politique compromis.
Les 3 et 4 mai 2025, une partie de la classe politique malienne s’est donné rendez-vous au Palais de la culture et à la Maison de la presse. Non pour dénoncer un attentat, une agression extérieure, ou un massacre de civils. Non. Pour protester contre deux décisions stratégiques portées par la transition : la possible dissolution des partis politiques et l’élévation du président de la transition au rang de président de la République, pour un mandat de cinq ans renouvelables.
Ce n’est plus un combat pour la démocratie. C’est une bataille pour la survie des appareils.
L’indignation sélective d’une classe épuisée
Il faut relire, pour s’en convaincre, le calendrier sanglant de ces dernières années. L’attaque du bateau Le Tombouctou. L’abattage d’un drone malien par l’Algérie. Les massacres de civils à Bankass, Sévaré, Bamako. Les pertes militaires à Tinzawaten. La reconquête de Kidal. Autant de drames, de moments décisifs pour la souveraineté du Mali, qui n’ont suscité ni marche, ni communiqué ferme, ni manifestation.
Mais lorsque leur statut politique est menacé, les partis réapparaissent, vindicatifs, bruyants, soudain épris de “valeurs républicaines”.
Où étaient ces “pères de la démocratie”, ces anciens ministres à l’indignation sélective, quand le pays sombrait sous leur propre gouvernance ? Vieillesse d’où sagesse, dit-on. Mais ici, la vieillesse semble surtout rimer avec l’amnésie des fautes passées et l’aversion pour toute réforme qu’ils ne dirigent pas.
Une stratégie de sabotage bien orchestrée
Ces mobilisations ne sont pas neutres. Elles s’inscrivent dans une stratégie plus vaste : celle d’un sabotage intérieur au service d’intérêts extérieurs. Depuis des mois, dans ces mêmes colonnes, nous avons alerté sur les manœuvres visant à fracturer l’AES avant juillet 2025, échéance charnière pour cette organisation naissante.
La dissolution des partis dérange. Non parce qu’elle serait illégitime – le peuple malien a montré sa défiance à leur égard depuis longtemps –, mais parce qu’elle prive certains relais politiques d’un levier d’influence. Une influence qui arrange, à la fois, la CEDEAO, la France, les États-Unis, tous désireux de faire échouer ce que la transition a construit, pierre après pierre.
Le legs empoisonné du multipartisme malien
Que laisse le système partisan né en 1991 ? Une démocratie de façade, 300 partis sans ancrage, une classe politique discréditée, des élites qui ont échoué à représenter les Maliens, et un pays régulièrement déchiré par des crises politiques initiées ou amplifiées par ces mêmes partis.
Multiplication incontrôlée des formations, transhumances électorales, clientélisme, violences dans les rues, désillusions dans les urnes. La démocratie a été confisquée par ceux-là mêmes qui, aujourd’hui, s’érigent en ses ultimes défenseurs.
Des exilés en guerre contre leur propre patrie
Et puis il y a cette autre catégorie, tout aussi active : les activistes de l’extérieur. Installés à Paris, Bruxelles ou ailleurs, souvent entretenus par des circuits peu transparents, ils dénoncent sur les réseaux ce qu’ils ne vivent plus dans les rues de Bamako. La posture est commode. On invoque le peuple tout en vivant loin de lui, on critique la précarité tout en y échappant, on se dit exilé tout en profitant du confort des métropoles.
Qui les soutient ? Qui les finance ? Qui les relaie ? La réponse est moins patriotique qu’ils ne veulent le faire croire.
Une nouvelle page à écrire
La démocratie ne se résume pas à la préservation d’un ordre partisan. Elle suppose une capacité à incarner l’intérêt collectif, à défendre la souveraineté, à construire des institutions fortes, même sous contrainte. La transition, avec toutes ses limites, offre cette possibilité de refondation. Et le peuple malien semble en avoir saisi l’urgence.
Il est temps d’arrêter d’idéaliser les formations qui ont tant échoué. Il est temps de poser la vraie question : que vaut une démocratie dont les instruments n’ont jamais servi le peuple ?
Au Mali, ce n’est pas la transition qui est à défendre. C’est le Mali lui-même. Et il serait bon que les partis politiques s’en souviennent.
À.D.
Source : Sahel Tribune