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Décryptage : Que faire ?

Aujourd’hui dans décryptage, une phrase souvent entonnée par les Maliens : « ça va aller ».

La peur du lendemain

Lorsque l’on échange avec les Bamakois sur les crises actuelles du Mali, il y a une phrase qui revient sans cesse et que l’on pourrait même inscrire dans les annales de l’histoire : «ça va aller». Depuis quasiment cinq ans, cette phrase console les Maliens dans leurs moments de souffrance comme dans ceux de bonheur. Mais que signifie-t-elle ?

Sur le moment, ce discours induit l’idée de faire comme tout le monde en imaginant un meilleur lendemain. Au fond, il ne dit pas quelque chose de signifiant sur la fragilité sécuritaire, l’exclusion politique, l’isolement économique, le mal-être financier, la honte sociale ou la situation de déshérence des jeunes. Ça va aller ne dit pas également grand-chose de la différence des conditions de vie entre les Maliens, entre les salariés et les sans ressources, entre ceux qui subissent les coupures d’électricité et ceux qui disposent de groupes électrogènes ou de panneaux solaires.

Évidemment, la cherté de la vie touche tous les Maliens sans exclusion. Mais, les Maliens les plus touchés restent tout de même ceux sans ressources économiques, sans soutien familial, sans soutien gouvernemental. La vie quotidienne malienne est séquencée par l’incertitude, la peur du lendemain. Enfin, ça va aller pourrait être interprété comme un cache-misère de notre situation. Hélas !

La parole se libère

 « Cher ami, ici, c’est la misère. Il y a des chefs de famille qui ne reviennent pas à la maison après la prière du Fajr (vers 5heures du matin). Parce qu’ils n’ont pas le prix du condiment. Ils ont honte. Le jour, ils vadrouillent. La nuit, ils rentrent dans leur foyer ». Mais comment vivent leurs familles ? « C’est la débrouille et la solidarité entre les familles. Mais que faire ? » La peur de la stigmatisation par les soutiens du pouvoir, les risques d’emprisonnement inhibent toute capacité à agir autrement.

La signification réelle, voire sociologique de « ça va aller » est à rechercher dans la tentative de protection des Maliens contre le contrôle et la privation. Dans un espace couvert, c’est-à-dire sans risque de voir ses propos entendus ou répétés, les langues se délient. À la place de « ça va aller », on entendrait facilement ça ne va pas. Les faux-semblants ont le pouvoir. Mais dans l’ombre, on s’épanche, on se livre. Les plus audacieux pointent même l’exécutif comme responsable de leur malheur. Ainsi va le Mali. Rien ne va.

C’est le mot auquel, certains d’entre nous sont devenus sourds et aveugles. L’intérêt personnel prime sur l’intérêt collectif. « On a l’impression que l’on ne vit pas dans le même pays », me dit un analyste malien. Des routes, d’’apparence bonnes, sont impraticables dès qu’il pleut.

L’arbre qui cache la forêt

Idem pour la situation sécuritaire. À Bamako, toute menace sécuritaire paraît loin pour certains alors que Tinzouatene, une partie du Mali, est sous tension sécuritaire. Désormais Tinzouatene symbolise les rivalités des conflits entre l’Ukraine et la Russie, mais aussi la capacité du Mali à avoir une diplomatie proactive pour activer le levier algérien, le cœur du réacteur. Entre les communiqués de l’exécutif et ceux du CSP-PSD, la vraie information devient rare sur l’évolution de la situation sécuritaire de Tinzouatene. En cause : le difficile accès à la localité pour les journalistes.

Nul doute que Tinzouatene finit par impacter Bamako. Ça va aller n’est que l’arbre qui cache la forêt. Le peuple malien, si tant est qu’il existe encore, a pourtant l’habitude de rendre la monnaie de la pièce. Le 26 mars 1991, le mouvement démocratique a permis d’achever le régime dictatorial du général Moussa Traoré, balayé par le putsch militaire du lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré, ATT.

Presque trente ans après, le 18 août 2020, le régime démocratique d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) est renversé par le putsch militaire du colonel Assimi Goïta. Mais, rappelons que le régime d’IBK a été déjà fragilisé par les manifestations populaires du M5-RFP au cours desquelles une partie des Maliens reprochaient à IBK de mal gérer le pays. Certes, les Maliens moutonnent souvent. Mais dos au mur, ils sont aussi capables de dire stop. Pour l’instant ce qui reste à faire, c’est d’espérer que les « émotions » fassent place à la raison, comme l’avait si bien rappelé le Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, lors de sa visite au Mali, en début de semaine.

 

Mohamed Amara

Sociologue

Mali Tribune
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