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Décryptage : Méconnaissance

Ce matin, je ne parle ni du psychodrame de la politique française, ni des élections rwandaises, mais d’une notion importante pour nos sociétés, la méconnaissance.

 Un désir inassouvi de connaissance

La méconnaissance se dit en songhay bayray jaŋay. La méconnaissance rime avec l’ignorance. C’est la conséquence d’un désir inassouvi de connaissance. Etre dans la méconnaissance, c’est vivre dans un univers où les dangers de stigmatisation et de marginalisation de l’autre sont importants. Par exemple, lorsqu’un Songhay rejette un Dogon, il méconnaît les liens de parenté à plaisanterie structurant les rapports des deux peuples.

La méconnaissance est donc cette pauvreté historique et sociologique des modes de vie et de pensée qui ronge le mieux vivre ensemble. Sur un tout autre plan, les difficultés de dialogue entre les régimes transitoires guinéen, malien, burkinabé ou nigérien et les classes politiques témoignent d’une méconnaissance de notre histoire récente.

Lorsqu’un adversaire perd son épée, le combat s’arrête

En 1876, à Gao, la résolution du conflit entre les Peuls du Gabéro et les Touré de Gao est facilitée grâce à l’implication de Firhoun Ag Alinsar, chef de la communauté oulliminden (Amara, 2015). En 1903, la signature des accords de protectorat entre le colonisateur français et les Touaregs Oulliminden est intervenue grâce à l’implication transactionnelle de Hamida Lelly, chef de la communauté Songhay de Tabangaou (Amara, 2015).

La solidarité entre les communautés prend forme dans la connaissance et le respect des liens entre les peuples, des ententes locales et traditionnelles. Elle se nourrit des jeux d’intérêts des personnes pour préserver la paix. Certes, le rapport à la paix a évolué en raison des dynamiques géopolitiques, comme le narcoterrorisme. Mais, aucune donnée sécuritaire ne devra compromettre notre capacité à faire la paix en mobilisant les liens positifs des uns envers les autres pour entretenir la cohésion sociale. A cela, s’ajoute le respect de nos engagements réciproques, comme me l’explique un acteur important de la communauté touareg : lorsqu’un adversaire perd son épée, le combat s’arrête.

Le renouvellement des conventions sociales

Cela signifie l’importance d’une valeur centrale de nos sociétés, celle de la justice. Il serait inégalitaire de s’acharner sur un adversaire démuni, comme on le constate dans les régions sous tension sécuritaire de la part des groupes narcoterroristes ou de certaines milices. Une autre valeur importante de nos sociétés, acquise par la transmission, une notion importante pour agir collectivement sur la méconnaissance, c’est la solidarité. Elle ne se décrète pas.

La solidarité se construit par le renouvellement des conventions sociales, encastrées dans des rapports laïcs entre territoires et communautés. C’est en ce sens que l’article 43 de notre nouvelle constitution prend tout son sens. Il dispose que “le président de la République est le chef de l’Etat. Il est le gardien de la Constitution. Il incarne l’unité nationale. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, du respect des traités et accords internationaux. Il veille au fonctionnement régulier des pouvoirs publics et assure la continuité de l’Etat”. Vivement son application pour engager la responsabilité du futur président de la République au sein de la Confédération AES, Confédération Alliance des Etats du Sahel.

 

Gouverner avec l’histoire et la sociologie

C’est le moment ou jamais de gouverner avec l’histoire et la sociologie pour faire la paix dans nos territoires en mobilisant les dispositifs locaux de médiation et de résolution de conflits. Ces derniers disent quelque chose de notre ingéniosité à vivre ensemble et à gouverner un Etat. Il s’agit de réinventer notre rapport aux autres et à la paix pour relever le défi sécuritaire. Pour cela, remettons-nous en question. Le récent Dialogue inter-malien a souffert de l’absence d’une partie de la classe politique et de la Coordination des mouvements de l’Azawad, CMA. Pourtant la rédaction d’un roman national ne passera pas par le déni, mais par la prise en considération des partis politiques et de tous les Maliens tant nos liens sont entrelacés et révélateurs de notre fraternité.

Mieux se connaître

Terminons : les comptes d’apothicaires ne suffisent plus pour faire la paix. Ni Tiktok, ni Facebook, ni Twitter, ni Telegram ne feront la paix. Il faut du fond dans le cadre d’un plan de maîtrise sécuritaire. Donc, il va falloir négocier ferme tant le nombre de mécontents croit chaque jour pour amener les Maliens à se parler, à se considérer et à mieux se connaître. Il va falloir aussi négocier ferme pour réinvestir dans la démocratie en vue de la faire aimer et respecter pour mieux avancer. Méditons : la démocratie permet de critiquer les dirigeants pour dire qu’ils ont tort sans craindre un retour de bâton.

Mohamed Amara

(Sociologue)

Mali Tribune
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