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Décryptage : L’ordre règne à Bamako

Ce matin, place aux mots chocs qui fleurissent dans les décrets de dissolution et de suspension de la Transition : agissement et ordre public.

Ce sont les vocables dominants du 1er trimestre de 2024 avec des suspensions des partis politiques et des dissolutions d’associations. Raisons évoquées : “… agissements contraires aux dispositions de la loi relative aux associations, menaces à l’ordre public…” Les agissements sont probablement suspects. Les menaces à l’ordre public le sont peut-être. Mais que signifient-t-ils ? Evidemment, la réponse à cette question ne fera pas l’objet d’un examen juridique, mais d’un regard sociologique critique.

Le mot agissement exprime les manœuvres blâmables pour arriver à un but. Il signifie aussi un procédé frauduleux d’un individu ou d’un collectif pour obtenir un marché public, les faveurs d’un décideur. Dans le cadre d’un agissement illicite, les règles de fonctionnement communes sont piétinées. Car, la personne agit en violation de la loi. Par exemple, le scandale des logements sociaux en 2022 relève d’agissements contraires à la loi.

 

De la régulation

Quant à la notion d’ordre public, elle traduit l’importance des mécanismes de régulation de la vie publique pour assurer la paix, la sécurité et le mieux vivre ensemble dans un Etat. La responsabilité du maintien d’ordre incombe aux institutions régaliennes comme la police ou la gendarmerie. Ces mécanismes norment la vie en société. Par contre, les agitations d’une personne ou d’un collectif constitueraient un trouble à l’ordre public, à la quiétude du voisinage.

Les exhibitions d’un individu dans l’espace public perturbent aussi l’ordre public. Les débordements violents d’une manifestation associative, politique ou syndicale constituent aussi un trouble à l’ordre public. On pourrait multiplier les exemples. Enfin, aussi bien la notion de trouble à l’ordre public que celle d’agissement contraire à la loi renvoient à un danger pour la sécurité publique et la liberté. Mais, est-ce que toutes ces conditions sont réunies pour suspendre ou dissoudre les associations et les partis pour agissements et menaces à l’ordre public ?

 

L’ombrelle de la paix pour les Maliens

Ce qui est sûr, c’est que la dissolution à la rafale d’une partie des associations et la suspension des partis politiques génèrent un climat de tensions. Le 10 avril 2024, le décret suspendant les “activités des partis politiques et des activités à caractère politique des associations” dégrade les relations entre les politiques et l’exécutif. Signe des temps : il y a des tensions dans l’air. La suspension des partis politiques limite la participation citoyenne. C’est aussi un mauvais moment pour les libertés.

Certains experts maliens y voient un rejet des acquis démocratiques des années 1990 dont les défenseurs, souvent anonymes, restent nombreux dans la société malienne. Le 11 avril 2024, une partie de la classe politique se mobilise. Plus d’une quinzaine de partis, regroupements politiques et associations décident de ne participer “… à aucune activité organisée par le gouvernement, y compris le soi-disant Dialogue inter-maliens”. Voilà donc un dur temps pour le dialogue en cours, censé régénérer les liens entre les Maliens. Un dialogue supposé être aussi l’ombrelle de la paix pour le Mali au moment où les débats sont dominés par la suspension des partis politiques.

 

L’UA tire le signal d’alarme

Mais convenons-en ! La suspension des partis politiques et des activités à caractère politique des associations risque de grossir les rangs des révoltés. Ces tensions ajoutées aux tensions géopolitiques et sécuritaires ne contribuent guère à améliorer l’état des relations entre les Maliens, déjà irrités par le manque d’électricité à Bamako. Il y a donc besoin de dissocier la menace de la sécurité publique de la nécessaire vie associative et politique. Evidemment, les conséquences de risque d’attentat narcoterroriste et d’attente à la sûreté d’un groupe d’intérêt impliquent que l’Etat agisse. Mais ne mélangeons pas tout. Ces vocables (agissement, ordre public) utilisés comme tels, cousinent avec un autre, la répression.

A la place des suspensions, un mécanisme de contrôle démocratique s’impose. Le 13 avril 2024, le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, tire le signal d’alarme. Il invite les autorités maliennes et toutes les parties prenantes à “travailler au rétablissement de l’ordre constitutionnel, dans les délais prescrits, en vue de promouvoir une paix, une solidarité et un développement durables au Mali”.

La messe est dite. Certes, la suspension des partis et des activités à caractère politique des associations fonctionne. Mais elle inquiète. Car, elle risque de minimiser la visibilité des conclusions du Dialogue inter-malien. Espérons plus de pondération et de nuance pour que l’ordre règne à Bamako.

Que deviendrait le Mali sans liberté d’expression et de pensée ?

Mohamed Amara

(Sociologue)

Mali Tribune

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