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Décryptage : L’empilement des crises

D’un côté, des Maliens stimulés par l’envie de retrouver la liberté de vivre après la levée des sanctions de la Cedeao. De l’autre, des Maliens ulcérés par l’empilement de crises, suite à la détention de 49 militaires ivoiriens par Bamako. Deux univers, deux Mali, parallèles qui se débattront durant les 17 mois restants de la transition.

 

 La bataille du narratif

10 juillet 2022, la détention de 49 soldats ivoiriens par les autorités maliennes suscite une crise entre le pays de Modibo Keïta et celui de Félix Houphouët-Boigny. Membres fondateurs du Rassemblement démocratique africain en 1946, Houphouët-Boigny et Keïta sont aussi les artisans de l’indépendance de leurs pays respectifs. Les pages de l’histoire de nos deux pays sont bien écrites à l’encre de l’amitié et de la solidarité. Mais nous voilà depuis presque deux semaines dans des relations tendues. Une première ! « Au regard de ces manquements et infractions commis dans le cadre du déploiement de ces quarante-neuf militaires ivoiriens, le gouvernement de la transition les considère comme des mercenaires, tels que définis par la convention de l’OUA sur l’élimination du mercenariat en Afrique », communiqué du gouvernement malien, 11 juillet 2022. Ce qui devait arriver arriva. La bataille du narratif est engagée. Bamako qualifie les soldats ivoiriens de mercenaires. Le 12 juillet 2022, Abidjan rétorque lors d’un Conseil National de Sécurité, et « … demande aux autorités maliennes de libérer, sans délai, les militaires ivoiriens injustement arrêtés ». Abidjan s’indigne, car c’est la 8eme rotation officielle de ses soldats, engagés dans les missions de la Minusma. Les tensions s’exacerbent. L’eau versée dans le sable ne se récupère pas, dirait-on en pays Songhay.

L’engrenage

Avant tout, est mercenaire une personne « […] spécialement recrutée dans le pays ou à l’étranger pour combattre dans un conflit armé […] qui prend part aux hostilités en vue d’obtenir un avantage personnel, une rémunération matérielle… », Convention africaine sur le mercenariat, 1977. La convention de l’Onu (1989) va plus loin, car elle considère le mercenariat comme une « infraction ». Le mercenaire, c’est « le soldat qui loue ses services à un gouvernement, à une armée, à une faction… ». À l’opposé d’un soldat d’une armée régulière, le mercenaire vend ses services. Il est pourvoyeur de fonds en plus d’être vandale. Lorsque le Mali qualifie les soldats ivoiriens de mercenaires, il enfonce la porte des polémiques. Naturellement. Le Mali donne le sentiment de communiquer à la hâte, probablement, pour éviter que les réseaux sociaux s’emparent de l’affaire. Or, un meilleur dialogue entre les deux pays aurait permis de se passer de la tension actuelle. Objectivement, nous ne devons pas nous payer le luxe d’un conflit sur notre flanc Sud. Pourtant, depuis, les communications entre les deux pays sont séquencées par une polémique par jour, pour ne pas dire par heure. Triste pour deux peuples qui ont les mêmes rapports d’identification à la culture, à la langue ou à l’histoire. Mais hélas, l’engrenage continue. Bamako accuse Abidjan de « briser la dynamique de la refondation et de la sécurisation du Mali, ainsi que le retour à l’ordre constitutionnel ». Opération de barbouzerie ? Abidjan rappelle qu’elle a toujours « œuvré pour la paix, la stabilité et le respect de l’Etat de droit, et ne peut s’inscrire dans une logique de déstabilisation d’un pays tiers ». Des deux côtés, nous avons manqué de tact diplomatique !

 On s’accuse

Par Twitter, Olivier Salgado, porte-parole de la Minusma, réagit : « Les soldats interpellés hier dimanche à l’aéroport de Bamako ne font pas partie de l’un des contingents de la Minusma. Ces soldats sont déployés depuis plusieurs années au Mali dans le cadre d’un appui logistique pour le compte de l’un de nos contingents. D’après nos informations, leur relève du 10 juillet aurait été préalablement communiquée aux autorités nationales. Les Eléments Nationaux de Soutien (NSE) sont des effectifs nationaux déployés par les pays contributeurs de troupes, en soutien à leurs contingents ». Au milieu de la guerre de la communication à tout va, la cacophonie règne. Le 14 juillet 2022, l’exécutif malien « … décide de suspendre toutes les rotations du contingent militaire et policier de la Minusma… ». Le flot de communiqués donne à voir une marchandisation de la sécurité au préjudice de relations équilibrées entre le Mali et ses partenaires. Quelle pagaille ! Résultat : la surchauffe a atteint son sommetLa polémique s’emballe et gagne les réseaux sociaux. Nous voilà bien avancés. De post Facebook en post Facebook, de Tweet en Tweet, on s’accuse. Parfois avec ironie, parfois avec véhémence, parfois avec hypocrisie, les trolls pullulent. Un air de guerre froide pollue nos rapports. Alors que d’autres Maliens et Ivoiriens cherchent à travailler et à manger ou à fuir la guerre et les humiliations. Pauvres pays. Reste une question : y a-t-il d’autres intérêts que celui de la paix ?

La responsabilité de Ouattara et Goïta

Certes, la situation des 49 militaires ivoiriens inspire un esprit de vengeance. Certes, nos voisins ivoiriens ont le sentiment d’être rejetés par leurs frères maliens. Certes, confondre les militaires ivoiriens à des mercenaires, c’est aussi anathématiser le pouvoir ivoirien. Certes, Abidjan a le sentiment que Bamako se venge de la présence de certains opposants à la transition sur son territoire tel que l’ancien Premier ministre Boubou Cissé. Certes, Bamako reprocherait à Abidjan d’avoir été partisan des sanctions de la Cedeao contre le Mali. Mais, au fond, tout cela reste des plans sur la comète.

Décryptage : Abidjan ferait plutôt office de fusible pour dénoncer les liens orageux entre le Mali et la Minusma. Dans ce cas, la question est toute autre : comment désarmer nos mains et nos esprits, fendillés et martyrisés par le traumatisme des conflits ? Les démons de la guerre civile ivoirienne des années 2000 et ceux de la guerre sécuritaire malienne actuelle doivent être éloignés grâce à notre capacité de tolérance. Osons donc la tolérance pour combattre le seul ennemi de la paix : l’intolérance. « L’intolérance est absurde… C’est le droit des tigres, et il est bien horrible, car les tigres ne déchirent que pour manger… » (Voltaire). Enfin, Ouattara (80 ans) et Goïta (39 ans) sont deux chefs d’Etat aux parcours politiques différents. L’idée qu’ils se font de la démocratie, la diplomatie, l’Etat et la République est aussi distincte. L’Ivoirien est au pouvoir grâce aux urnes, le Malien a pris le pouvoir par un putsch militaire. On pourra multiplier les exemples. Mais, ils ont une responsabilité commune : préserver la paix entre les deux nations, à l’image de Félix Houphouët-Boigny et Modibo Keïta. Donc, les relations entre Abidjan et Bamako ne doivent pas dépendre de la volonté des personnes, mais de notre histoire commune, nos liens fraternels et d’unité.

Pour finir par là où a commencé ce papier, c’est-à-dire les deux Mali. Il y a un Mali heureux de revivre, mais qui s’ennuie. Et un autre, épuisé par la maladie des crises, qui doute. La conjonction de ces deux Mali nécessiterait une prise de conscience citoyenne individuelle et collective pour résister à toute forme de manipulation et de privation. Car, le problème n’est ni la Côte d’Ivoire, ni le Mali. Mais, notre faculté à comprendre que nos Etats sont des pions sur l’arc des rapports de force géopolitiques. Par exemple, au Conseil de Sécurité de l’Onu, l’abstention de la Russie et de la Chine le 29 juin dernier pour le vote du renouvellement du mandat de la Minusma illustre les jeux d’influence. Alors que l’utilisation de leur droit de véto aurait bloqué la résolution 2640. Quelle signification ? Difficile de répondre à cette question sans être traité d’agent étranger. Passons d’autant que « Nul ne peut voir tout seul le sommet de son crâne », nous enseigne A. H. Bâ.

Terminons par cette question :

Que faut-il faire pour être unis ?

 

Mohamed Amara

Sociologue

Source : Mali Tribune

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