Parce que sans doute notre ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale a vite réagi en convoquant le vendredi l’ambassadeur espagnol à Bamako pour élever une vive protestation par rapport aux propos tenus par son homologue José Manuel le vendredi, 30 juin, l’ambassade du royaume d’Espagne a publié, le samedi 02 juillet 2022, uncommuniqué qui affirme que « L’Espagne n’a pas demandé pendant le sommet de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), ni à aucun autre moment, une intervention, mission ou une action quelconque de l’Alliance au Mali ». Soit. Mais les malencontreux propos ayant bien été entendus et relayés par les médias, le ministre a poursuivi sa démarche par une séance d’explication avec Madrid. Astuce diplomatique ou déni de la parole anté, l’Espagne a prêché en tout cas sa bonne foi. Notre compatriote Boubacar Touré de Montréal, juriste chevronné et diplomate avec une grande expérience des questions internationales, porte dans l’analyse qui suit un regard de ce que sous-entend, dans tous les cas, les paroles inconsidérément proférées par José Manuel Albares. Et de conclure par une note d’espoir : « Le Mali est un pays pacifique qui fait l’objet, injustement, d’attaques géopolitiques et d’invectives pour avoir réaffirmé courageusement ses choix et sa voie politique. Le peuple malien demande respect et demeure solidaire à ses autorités dans un contexte difficile où le changement réel ne peut se réaliser sans l’unité et la cohésion qui font la grandeur de la nation. »
Ce fut la consternation partout en Afrique, d’apprendre que le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Albares, a été rattrapé par un réflexe néocolonial d’exercer une domination. Il s’agit de l’idée présumée d’envahir militairement le Mali. Selon certains observateurs, sa parole a-t-elle dépassé sa pensée lorsqu’il avait déclaré, le 30 juin 2022, en marge du sommet de Madrid, que « l’Espagne n’exclut pas une intervention de l’OTAN au Mali » ? Quelle serait la raison ? Selon l’Agence Ecofin, la nouvelle doctrine de base de l’OTAN qualifie le terrorisme et la migration de « menaces hydrides » en désignant le flanc sud comme une nouvelle source de risque pour la stabilité. La déclaration du ministre espagnol José Manuel intervient après que l’OTAN ait cité dans son nouveau « concept stratégique » la zone du Sahel et l’ensemble du flanc sud à la fois comme région représentant un intérêt stratégique » et « source potentielle de menace » en raison de l’instabilité sécuritaire qui y règne. Rappelons au passage que l’Espagne n’est pas le seul pays qui soit inquiet de la menace terroriste au Sahel, le peuple malien, dans sa résilience, vit ce drame depuis 2012. C’est la conséquence de l’intervention en Libye, du déploiement d’une coalition militaire (une nouvelle forme d’action opérationnelle) sur le plan stratégique. Cette opération a déstabilisé la Libye, un pays souverain, entraînant dans ce chaos la subtilisation des armes sophistiquées de guerres emportées par des rebelles-terroristes du MNLA et d’autres groupes, selon les allégations de l’ancien secrétaire général de communication du MNLA, avec la promesse d’une sécession territoriale avec le reste du Mali. Un rapport parlementaire britannique dénonce l’intervention de 2011 en Libye. Le rapport accuse notamment le gouvernement britannique d’avoir échoué à identifier les factions islamistes radicales au sein de la rébellion. L’intervention en Libye a entraîné la chute et l’assassinat de Muammar Kadhafi, en août 2011, un crime odieux qui demeure impuni malgré des valeurs morales civilisatrices portées par certaines démocraties. Jusqu’à présent, les responsabilités ne sont pas établies. Le rapport conclut que l’intervention militaire britannique de 2011 en Libye était basée sur des « postulats erronés ». Des parlementaires britanniques ont émis des critiques sévères. La commission des Affaires étrangères a relevé plusieurs erreurs dans le processus décisionnel qui a amené Londres à intervenir militairement avec la France en 2011, sous prétexte de protéger les civils réprimés par le dictateur Muammar Kadhafi.
Selon ledit rapport, « le gouvernement britannique n’a pas pu vérifier la menace réelle que le régime Kadhafi faisait peser sur les civils ; il a pris au pied de la lettre, de manière sélective, certains éléments de la rhétorique de Muammar Kadhafi ; et il a échoué à identifier les factions islamistes radicales au sein de la rébellion », écrivent les parlementaires dans leur rapport. « La stratégie du Royaume-Uni fut fondée sur des postulats erronés et sur une analyse partielle des preuves », assènent les membres de la commission. Serions-nous en face d’un tel scénario pour intervenir au Mali ? C’est-à-dire le fallacieux argument de protéger la population civile malienne ou d’exporter le terrorisme à l’extérieur du Mali ? Il est de plus en plus évident que les conflits et les guerres contemporaines se construisent par des « thèmes de légitimation » pour faire adhérer une opinion publique cible.au projet.
L’argument de protéger la population civile
Des commentaires critiques soutiennent qu’une demi-décennie après la chute et la mort de l’ancien maître du pays, le chaos continue de régner en Libye, le gouvernement d’union nationale (GNA), appuyé par l’ONU, éprouve des difficultés à asseoir son autorité sur l’ensemble du pays depuis son installation en mars à Tripoli. Selon Crispin Blunt, « Le président de la commission, le gouvernement Cameron aurait pu privilégier d’autres options qui auraient amené à de meilleurs résultats. Un engagement politique aurait pu permettre de protéger la population civile, de changer et de réformer le régime à un coût moindre pour le Royaume-Uni et la Libye », estime-t-il. « Le Royaume-Uni n’aurait rien perdu en suivant ces pistes, au lieu de se focaliser exclusivement sur le changement de régime par des moyens militaires », a-t-il affirmé dans un communiqué. Une intervention militaire de l’OTAN au Mali sera considérée comme une atteinte grave à la Charte des Nations Unies et contraire aux valeurs universelles de la démocratie, de la recherche de justice et de la paix. Le rapport reproche à David Cameron qu’il aurait dû savoir que les islamistes radicaux allaient chercher à profiter de la rébellion, estime la commission, selon laquelle il n’existe pas d’indication que la nature de la rébellion ait été correctement analysée par Londres. Le rapport blâme David Cameron qu’il est donc « le responsable final de l’échec à développer une stratégie cohérente en Libye », jugent les députés. L’ancien Premier ministre conservateur n’a pas voulu témoigner devant la commission, évoquant « un emploi du temps chargé », selon le rapport.
Selon un adage familier du fonctionnement du système international, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Le ministre des Affaires étrangères de l’Espagneveut-il reproduire le même chaos au Mali ? Le ministre a-t-il une analyse de la nature du phénomène complexe de la rébellion et du terrorisme au Sahel où certains groupes bénéficient d’un soutien extérieur dont les acteurs sont connus comme ce fut le cas dans des précédents conflits ?Nous savons tous, par expérience, que la construction d’une guerre d’agression est précédée par un mode communicationnel qui vise à faire légitimer l’action par l’opinion publique des pays agresseurs. Dans certaines circonstances, l’action interventionniste est précédée par un argumentaire classique et propagandiste pour faire valoir la « doctrine du droit d’ingérence » qui se justifierait par l’action humanitaire. Un des motifs évoqués qui sous-tend la déclaration du ministre espagnol s’expliquerait, selon des allégations, « par le fait que les pays membres de l’OTAN s’inquiètent d’une flambée de violence au Mali et la possibilité d’une insurrection islamiste qui mène aussi des attaques dans des pays voisins ». Plusieurs observateurs ainsi que des sources diverses ont fait valoir que c’est paradoxalement « l’intervention de l’OTAN en Libye qui a permis de créer un environnement favorable à l’émergence du phénomène terroriste au Mali ». En plus, les forces étrangères européennes, membres de l’OTAN, qui ont eu le mandat de combattre ces terroristes dans le cadre de TAKUBA, n’ont pas réussi à remplir leur objectif de vaincre le phénomène à la satisfaction du peuple malien. Elles n’ont pas réussi non plus à empêcher l’expansion du phénomène et la multiplication des massacres de la population civile malienne. Dans un contexte où ces forces se sont enlisées au Sahel dans leurs opérations anti-terroristes, comment le ministre espagnol José Manuel pourrait justifier le sens et la pertinence de sa déclaration publique pour une autre « intervention recyclée de ces mêmes forces au Mali » si ce n’est pas dans la perspective du droit d’ingérence qui n’a aucun fondement juridique ?L’utilisation d’une institution multilatérale à cette fin, comme l’OTAN, ne peut nullement servir l’organisation elle-même, ni le droit international.
Droit d’ingérence
Rappelons que le « droit d’ingérence est la reconnaissance du droit des États de violer la souveraineté nationale d’un autre État, en cas de violation massive des droits de l’homme. Le devoir d’ingérence, quant à lui, est conçu comme plus contraignant. Il désigne l’obligation morale faite à un État de fournir son assistance en cas d’urgence humanitaire » D’après la littérature, « ni le droit, ni le devoir d’ingérence n’ont pas d’existence dans le droit humanitaire international. La notion de l’ingérence est une variable indéterminée qui n’est pas un concept juridique défini. En référence au sens commun, il signifie intervenir, sans y être invité, dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État ». La déclaration du ministre espagnol ne peut nullement intégrer la notion d’ingérence humanitaire. Par ailleurs, nous faisons remarquer que les opérations militaires actuelles sont conduites par les FAMAs contre des terroristes. Elles ne peuvent pas être assimilées à l’idée d’une violation massive des droits de l’homme au Mali lorsque « des combattants criminels sont neutralisés ». Toutefois, cela n’exclut pas le respect de l’application du droit humanitaire international. La question d’ingérence exprimée par le ministre espagnol José Manuel peut être interprétée par une volonté à encourager une agression et une remise en cause de la souveraineté du Mali dans la perspective d’une intervention de l’OTAN. Cette stratégie reposerait sur la démonstration d’un rapport de force, qui ne viserait qu’à subordonner la souveraineté de l’État malien. Le concept du droit d’ingérence, tel qu’il a été invoqué par Bernard Kouchner, repose sur un fondement humanitaire comme valeur universelle dans certaines conditions particulières de menaces et d’assistance lorsque des vies humaines sont en péril. Ce n’est pas le cas que présente l’offensive desopérations militaires des FAMAs. M. Kouchner parle de « morale de l’extrême urgence » qui consiste à protéger les droits fondamentaux de la personne. Cette responsabilité est déjà assumée par l’État-major militaire et les institutions maliennes. Donc, une intervention extérieure n’est ni nécessaire, ni justifiée. La noble conception de M. Kouchner sur le droit d’ingérence « s’inscrit dans un cadre plus large de la redéfinition d’un ordre mondial idéalement régi par des principes de démocratie, d’État de droit et de respect de la personne humaine. » Il tend vers un consensus social; des attentes à une moralisation des relations internationales. Les propos du ministre espagnol José Manuel ne se situent pas dans cette considération. La demande d’explication des autorités maliennes et la réponse par voie de communiqué du 02 juillet de l’ambassade d’Espagne au Mali permettent de rétablir la confiance et clore définitivement ce dossier qui avait la caractéristique d’une maladresse diplomatique. Le Mali est un pays pacifique qui fait l’objet, injustement, d’attaques géopolitiques et d’invectives pour avoir réaffirmé courageusement ses choix et sa voie politique. Le peuple malien demande respect et demeure solidaire à ses autorités dans un contexte difficile où le changement réel ne peut se réaliser sans l’unité et la cohésion qui font la grandeur de la nation. Quant au bouleversement actuel qui menace l’équilibre du système unipolaire sur le plan international face à l’influence de la multipolarité, l’usage de la doctrine du droit d’ingérence comme fondement de la légitimation en faveur d’une action de déploiement de la force militaire ne peut être une réponse a la recherche de la stabilité mondiale.
Par Boubacar Touré, juriste à Montréal (Canada)
Source : Le National