Si le sujet des transitions constitutionnelles et politiques semble épuisé en Afrique noire francophone, l’analyse de la crise multidimensionnelle malienne révèle qu’il attise encore la réflexion des constitutionnalistes africains. Ceux-ci renouvellent en effet le débat juridico-politique sur l’interdépendance de la transition constitutionnelle et de la transition politique qui devrait conduire à l’exercice de la fonction constituante. Mais quelle acception donner à ces deux concepts si étroitement liés ? Notre contribution va s’efforcer de l’expliquer.
1—Le dialogue national, un élément de la transition politique
Si la transition politique s’accompagne logiquement d’une transition constitutionnelle, l’une et l’autre ont une finalité différente. C’est pourquoi l’expression « transition politique », à l’aune de la crise multidimensionnelle malienne, doit être clarifiée, car elle est source d’ambiguïtés dans le débat opposant les défenseurs de la Troisième République et les partisans de la nécessité d’une Quatrième République : c’est une simple période de normalisation du régime en question qui entraîne un nouveau régime politique.
La transition constitutionnelle, quant à elle, tend à établir une nouvelle Constitution, durable, par le recours au pouvoir constituant originaire. Il permet de corriger les limites de la Troisième République en instaurant un véritable régime parlementaire qui apparaît comme une solution souhaitable à la crise multidimensionnelle malienne. Dès lors, la transition constitutionnelle dépasse de beaucoup la seule question politique.
Cependant, la transition politique et la transition constitutionnelle auront une importance spécifique au cours de la reconstruction d’un État malien. On sait que l’adoption d’une nouvelle Constitution n’est pas suffisante pour garantir une stabilité durable, car la refondation d’un pays dépend effectivement du comportement des acteurs politiques. Cela dit, le dialogue national inclusif en cours n’est rien d’autre qu’une manifestation de la transition politique, voire une réconciliation politico-sociale.
2—La transition constitutionnelle, une porte ouverte à une Quatrième République – et à un régime parlementaire
Associer transition et consolidation ne suffit pas à reconstruire l’État au moyen du droit constitutionnel. Cette contribution veut en effet démontrer que la transition politique ne peut être la seule solution pour sortir de la crise. Cela étant, pour ce qui est des graves problèmes au Mali, nous ne sommes pas favorables à une révision totale de la Constitution, car elle pourrait conduire à une « Constitution inconstitutionnelle ».
Pour toutes ces raisons, l’idée d’une Quatrième République peut paraître chimérique, car, a priori, l’avènement d’une nouvelle République n’implique pas de facto un véritable changement dans les rapports entre les institutions. La Quatrième République règlerait cependant des imperfections afférentes à la pratique institutionnelle et aux relations entre les différents pouvoirs. La Troisième République malienne est limitée par son régime semi-présidentiel, souvent présenté comme un régime d’inspiration française, avec des caractéristiques particulières : le Président est élu au suffrage universel direct et dispose de pouvoirs importants que lui accorde la Constitution ; le gouvernement et son Premier ministre sont responsables devant l’Assemblée nationale. C’est pourquoi la présidentialisation du régime constitue selon nous une pathologie, car on a pu assister, sous la Troisième République, à une « dérive monarchique » des institutions.
De toute évidence, ce modèle français semble être difficilement transposable en Afrique noire francophone ; il convient, en effet, de refonder l’ordre juridique malien en se fondant sur la tradition et en tenant compte des effets de la mondialisation. La Troisième République n’est pas en soi immuable, même si elle a su apporter une continuité constitutionnelle pendant vingt-sept ans. Deux pistes peuvent alors être explorées pour bâtir une Quatrième République : l’instauration d’un régime strictement présidentiel, ou celle d’un régime de type parlementaire à la malienne : le Premier ministre aurait les pleins pouvoirs, tandis que le poste de président de la République serait honorifique.
Balla CISSÉ, docteur et enseignant-chercheur en droit public à l’université Paris-13.