Une partie de l’opinion reste dubitative sur les arrestations de la semaine passée, mais la grande majorité des Maliens y voient le symbole d’un coup dur porté au signe indien que constitue l’impunité qui couvre l’élite malienne depuis 30 ans. La justice malienne vient d’ouvrir la boîte de Pandore. Il reste au chef l’État de veiller à ce que toute la lumière soit faite sur les grands dossiers. Il s’agit d’un tournant pour cette transition.
C’est un peu médusé que les Maliens ont appris la semaine écoulée le placement sous mandat de dépôt des anciens Premier ministre et ministres Soumeylou Boubeye Maïga et Bouaré Fily Sissoko. Il s’agit de deux grosses pointures de l’establishment politico- administratif qui règne sur le Mali depuis 1991. Il est question de faux, d’abus de confiance, de corruption, de trafic d’influence, de favoritisme, de népotisme, d’atteinte aux deniers publics dans le cadre de l’affaire dite de l’avion présidentiel et des dossiers de contrats d’équipements de l’armée. Il s’agit de dossiers qui défraient la chronique depuis des années et qui ont fait l’objet de beaucoup de rapports des services de contrôle, internes et externes. Et l’opinion était toujours dans l’attente d’un acte concret dans ces contrats qui font partie des dossiers les plus emblématiques de détournements supposés ces dernières années. Il s’agit donc d’un événement et pas des moindres. En effet, un des principaux engagements de la junte à son avènement en 2020 était de lutter sans merci contre la corruption installée à perpétuelle demeure dans notre pays et gangrenant son économie depuis toujours. Au demeurant, le président Assimi Goïta a réitéré cet engagement lors de son adresse à la nation commémorant le premier anniversaire des événements du 18 août 2020. En outre, le Premier ministre, Choguel Maïga, et le M5-RFP en avaient fait leur cheval de bataille. Si les planètes se sont donc alignées pour mettre la junte et le M5-RFP ensemble, cet engagement commun ne pouvait plus rester lettre morte. Le sursaut de la justice est donc venu au bon moment. D’aucuns y voient déjà un relent de populisme ou une volonté de la junte d’écarter d’éventuels candidats gênants lors de la prochaine présidentielle, mais en réalité, il s’agit d’un tournant pour cette transition.
Au-delà de la personnalité des mis en cause, qui bénéficient du reste jusqu’à preuve du contraire de la présomption d’innocence, c’est un mythe fortement ancré dans les esprits qui vient de tomber : celui de l’impunité totale qui semblait être la règle au Mali depuis longtemps. Aucun rapport du Vérificateur général et d’autres structures du genre ne connaissait une suite judiciaire. Et même ces dossiers dont on parle avaient fait l’objet d’un classement sans suite à deux reprises. C’est donc un acte de courage de la part de notre justice. C’est un challenge pour les tenants actuels du pouvoir qui peuvent retrouver la confiance des masses laborieuses et même une occasion pour les mis en cause de se blanchir totalement avant les prochaines échéances électorales. Ce dernier aspect est d’autant important et crucial que nous avons vu récemment combien un président élu, qui traîne des casseroles, peut être fragile urbi et orbi (au Mali et à l’extérieur). C’est pourquoi cette affaire mérite d’être traitée jusqu’au bout et avec la sérénité requise. C’est pourquoi également tous les cas de détournements qui sont actuellement sous-main de justice doivent connaître une suite avant la fin de cette transition. Qu’il s’agisse de dossiers civils ou militaires et quelles que soient les personnes impliquées. La justice en sortira grandie et le pouvoir politique s’en trouvera plus crédible. Il appartient donc au colonel Assimi Goïta et à son Gouvernement de mettre la justice en état de faire son travail avec impartialité au nom du peuple Malien. Ce serait la première grande victoire de cette transition suffisamment chahutée jusqu’ici.
Sy ÉRIC
Source : Le National