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CVJR : Vérité et justice surtout

La Commission vérité, justice et réconciliation a enfin vu le jour, mais on attend toujours de savoir concrètement à quoi elle va servir, et surtout quelle justice elle compte servir, avec quels acteurs, sous quelle tutelle, pendant quelle période. La nécessité d’un recadrage s’impose.

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L’Assemblée nationale, après quelques tiraillements sur sa forme, sa tutelle et la qualité de ses membres, vient d’adopter le projet de loi relatif à la création d’une Commission vérité justice et réconciliation (Cvjr). Conformément à la proposition du gouvernement, la Cvjr est instituée pour trois ans et sera composée de quinze membres (contre trente-trois pour la défunte Commission dialogue et réconciliation, instituée en mars 2013 par les autorités de la transition, qu’elle remplace) et de sept sous-commissions. Cette loi a été votée par quatre-vingt dix-neuf voix contre zéro. Il y a eu dix-huit abstentions pendant que trente députés se baladaient dans la nature. Cette initiative du nouveau pouvoir ne manque pas de susciter des interrogations et, déjà, rencontre des réticences.

 

Il y a d’abord cette question récurrente : Qui réconcilier ?                      

Il est un fait pour tous les Maliens, ou presque, qu’il n’y a pas eu de conflits entre des communautés ou ethnies, au nord comme au sud. Il y a eu un conflit entre quelques individus, sans aucune revendication sérieuse, qui ont pris les armes, à partir de janvier 2012, contre les forces armées et de sécurité et les symboles de l’Etat dans le nord. Pour mener cette rébellion armée et sanglante, ils se sont alliés à certains groupes islamistes terroristes avec lesquels ils ont pris le contrôle de plus de deux tiers du territoire national. Leurs crimes sont d’autant plus graves qu’ils se sont rendus coupables des pires exactions dans les zones occupées : exécutions sommaires de civils et de militaires, pillage de patrimoines privés et publics, vols et viols, mutilations diverses. Des infractions assimilées à des crimes contre l’humanité, crimes de guerre, atteintes graves aux droits humains. Sans oublier l’enlèvement, la séquestration et la « vente » d’otages, le narcotrafic, la contrebande en tous genres, les actes terroristes.

 

Ceux qui ont déclenché la rébellion armée et se sont alliés aux jihadistes sont connus depuis longtemps : les Touareg du Mouvement national de libération de l’Azawad auxquels se sont joints beaucoup plus tard quelques Songhay, Peulh ou Arabes égarés. Tout ce beau monde ne devrait être concerné que par les aspects vérité et justice. Si la vérité est déjà connue de tous, la justice doit être le maitre-mot d’un processus mené par une Commission désarmement, jugement et emprisonnement. Tous ceux qui se sont rendus coupables de crime quelconque doivent être appréhendés et jugés. Les autorités sont en train de prouver que rien n’est impossible en matière de lutte contre l’impunité.

 

Cela a commencé par la bande à Amadou Haya Sanogo, poursuivie pour le massacre de plusieurs dizaines de militaires bérets rouges. Les membres de l’ex-junte devraient également être poursuivis pour crime imprescriptible, le coup d’Etat de mars 2012, parce que l’amnistie qui les exonère n’a été accordée que par une Assemblée nationale illégitime dont les membres n’étaient plus des élus mais des nommés par une décision administrative.

Cela doit continuer avec la levée de l’immunité parlementaire de certains députés réfugiés à l’hémicycle et leur mise en examen pour participation aux criminels événements du nord ou intelligence avec l’ennemi putschiste au sud.

 

 

Cela doit aboutir au désarmement et à la mise hors d’état de nuire de tous les groupes armés irréguliers, nomades ou sédentaires, noirs, bleus ou blancs, qui se seraient rendus coupables de crime quelconque.

 

Le Parlement veut également que le mandat de la Cvjr couvre la période allant de 1960, année de l’indépendance du pays, à cette année. Cette période est scandée essentiellement par les coups d’Etat de 1968, de 1991, et de 2012. Techniquement, cela est peu probable d’aboutir. D’abord parce que les témoins et acteurs, par exemple de la première rébellion (1962-63), ne sont plus en vie pour la plupart, ensuite parce que plusieurs documents relatifs à cette période ont été détruits lors des événements de 1968 et de 1991. De même, il serait difficile de faire toute la lumière sur la gestion de Modibo Kéita, premier président du Mali indépendant (1960-1968), notamment en ce qui concerne les relations conflictuelles et sanglantes entre les deux principaux partis politiques de l’époque : l’Us-Rda, au pouvoir, et le PSP, opposition dont des responsables auraient été assassinés. Les présumés coupables des exactions de cette époque sont les éléments de la milice populaire, une sorte de police politique. A l’heure actuelle, il est peut probable de retrouver des survivants de cette époque peu glorieuse.

 

 

 

Concernant la période 1968-1991, les vaincus du système Cmln-Udpm ont déjà été jugés pour leur vingt-trois ans de règne par les vainqueurs du Mouvement dit démocratique. Deux procès, pour crimes de sang et pour crimes économiques, ont permis de mettre à nu le système Moussa Traoré, putschiste en 1968, « putsché » en 1991.

 

 

 

Si ces deux périodes, 1960-1968 et 1968-1991, correspondent aux pires moments de dictature et d’autocratie de l’histoire du pays, c’est paradoxalement de la période dite démocratique que les Maliens le plus de vérité, de justice et de réconciliation. Il est nécessaire en effet de savoir pourquoi et comment le processus démocratique a été anéanti, l’espoir assassiné, le développement compromis. Depuis 1992, année des premières élections générales de cette période, le Mali vit dans un faux Etat de droit, une démocratie de façade, une mauvaise gouvernance. Aujourd’hui, plus que tout, les Maliens ont besoin de savoir comment leur pays a été pillé par de pseudo-démocrates, regroupés en bandes organisées sous des formes et appellations diverses. Tous, aujourd’hui, ont besoin que soient identifiés les pilleurs des deniers publics, les fossoyeurs de l’économie. Si Alpha Oumar Konaré et Amadou Toumani Touré sont connus pour avoir succédé au général Moussa Traoré, il convient de rechercher et de juger leurs complices dans le délitement de l’Etat de droit et l’émiettement de la souveraineté nationale.

 

 

 

Ce processus vérité et justice, il est peu probable qu’il soit correctement mené par le gouvernement actuel dominé par le RPM, et par le chef de l’Etat qui a longtemps occupé le devant de la scène nationale (Premier ministre, président du parti au pouvoir, président de l’Assemblée nationale) pendant quinze années.

 

 

 

Aussi, il convient de trouver le meilleur cadre institutionnel à la nouvelle commission. Pour plus d’indépendance et d’efficacité, la Cvjr ne doit pas relever du pouvoir exécutif. Elle doit être mise sous tutelle du pouvoir judiciaire, la Cour suprême, ou du pouvoir législatif, le Parlement, et avoir des démembrements dans les régions, cercles et communes. A cet effet, il serait judicieux de réchauffer le dossier sur le découpage judiciaire (nouvelles créations de tribunaux de première instance et de cours d’appel) élaboré par l’administration Touré. Ce qui exclut l’éventualité de l’application d’une justice transitionnelle non pénale comme dans certain pays voisin. Il est impératif que les coupables soient punis. Comme cela, le ministère de la réconciliation nationale et du développement des régions du nord doit être supprimé et remplacé par un secrétariat d’Etat ou un ministère délégué en charge du développement des régions du nord.

 

 

Aussi, elle doit être composée de toutes les forces vives de la nation, ses membres devant au préalable faire l’objet d’enquêtes de moralité.

 

 

Cheick Tandina

 

SOURCE: Le Prétoire

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