Au Centre Roqya Ibn Taymai, à Sokorodji en Commune VI de Bamako, les pieds enchaînés, une dizaine d’hommes assis sur deux bancs dans la cour. Dans l’établissement, deux salles sont contiguës : l’une est réservée au traitement des malades tandis que l’accès à la seconde est interdit. Pourquoi ? Mystère.
Dans la première, un sexagénaire assis à même le sol, tête basse, les pieds écartés. Dans son oreille, un imam du centre récite à haute voix des versets coraniques. Le vieil homme est possédé par les djinns. “Son état s’est beaucoup amélioré. Il est moins agité maintenant. Nous sommes sur le point de vaincre son djinn”, se réjouit Abdoulaye Maïga, directeur adjoint du centre. “Avant, il criait, il se cognait contre les murs, il menaçait tout le monde, il racontait des choses…”, se souvient l’imam. “C’était l’effet de djinn”, croit-il religieusement.
Pourquoi s’attaquent-ils aux hommes ?
Le religieux avance deux raisons : par amour ou par vengeance. “Un djinn peut tomber amoureux d’un être humain. Cela arrive aux personnes qui dorment nues, s’habillent indécemment ou se regardent nues dans le miroir”, révèle l’imam Maïga.
Au cas contraire, explique-t-il, les djinns se vengent d’une personne pour diverses raisons. “Verser l’eau chaude n’importe où, uriner hors des toilettes, escalader les murs. Ces actes peuvent faire mal aux djinns. Ils vivent parmi nous”, confirme-t-il. Aussi, ajoute-il, les esprits deviennent plus violents envers les possédés pour non-respect de promesses.
“Des gens demandent des services comme le pouvoir, l’argent, le mariage aux djinns. Ils s’engagent à faire des sacrifices annuels où hebdomadaires. Si jamais ils n’honorent pas leurs promesses, les esprits se fâchent”, poursuit-il.
“Mais dans les deux cas de figure, les djinns agissent de façon négative sur la victime. Ils provoquent des chutes brutales, des agitations”, développe-t-il.
La possession est une réalité observable
Le chef du département de sociologie de l’Université des sciences sociales et de gestion de Bamako, Dr Bréhima Ely Dicko, y croit malgré l’inexistence d’une preuve scientifique. “Ce que d’autres appellent les djinns, nous on appelle ça le phénomène de la possession. C’est des croyances ancrées dans les habitudes et dans les mœurs depuis longtemps”, explique-t-il.
Pour lui, ces pratiques trouvent leurs origines avec le développement des phénomènes surnaturels comme les séismes, les volcans que les gens n’arrivaient à expliquer.
“La possession a été étudiée par des chercheurs. Mais ils ont eu du mal à prouver comment les djinns parviennent à posséder un corps. La possession est une réalité observable. Alors qu’un individu est possédé, il se met, par exemple, à prédire l’avenir, dire des choses qui se sont passées il y a très longtemps et entrer dans l’intimité des gens. Ses dires sur des faits avérés et des faits qui vont se produire dans la plupart des cas, font que les gens finissent par y croire. C’est une croyance millénaire”, a-t-il ajouté.
Contestation scientifique
Le psychologue Guida Seyo Waïgalo a une explication “objective” aux maladies attribuées aux djinns. Pour lui, la plupart des malades sont victimes de la “reviviscence des événements traumatiques vécus. Ça peut-être un viol, un accident ou une menace quelconque”. “Cet événement peut être logé dans la subconscience de la personne. Le traumatisme va se développer. En cas de reviviscence, la personne est confrontée à des troubles mentaux”, souligne M. Waïgalo.
L’événement peut être vécu avant même la naissance, selon le psychologue. “Quand la femme enceinte est violentée, dépressive, stressée… le fœtus, qui enregistre les informations, risque de développer des traumatismes. Cela peut ne pas être constaté sémantiquement à la naissance. Mais les empreintes laissées peuvent se réveiller un jour”, prévient-il. Il insiste aussi sur le caractère héréditaire des traumatismes.
La démystification
Selon l’imam, des sourates coraniques peuvent faire parler les djinns dans un corps. “Ce n’est pas la magie. Ils parlent, parce qu’ils subissent le châtiment du Coran”, affirme-t-il.
Mais pour Dr. Souleymane Papa Coulibaly, psychiatre à l’hôpital du Point G, cela n’a rien à voir avec les djinns. “C’est l’effet d’un dysfonctionnement du système nerveux à un niveau infime difficile même à matérialiser à la radiographie. Quand les éléments du cerveau ne se communiquent pas convenablement, la personne voit des choses, entend des choses et parle des choses”, précise le psychiatre.