La Coalition citoyenne pour le Sahel rappelle, dans une déclaration commune publiée le 24 juin, aux gouvernements leurs engagements en matière de protection des civils et de lutte contre l’impunité. Crises sécuritaire et politique. Droits de l’Homme.
À l’occasion du Conseil européen, qui se tient du 24 au 25 juin à Bruxelles, vingt-sept (27) dirigeants de l’Union européenne sont réunis pour discuter de la situation sociopolitique et sécuritaire préoccupante au Mali après le deuxième coup de force du 26 mai dernier.
À cet effet, vingt-six (26) organisations ouest-africaines et internationales, membres de la Coalition citoyenne pour le Sahel, ont publié, sur leur plate-forme numérique, hier 24 juin 2021, une déclaration commune. Celle-ci consiste à faire un état de « la rapide dégradation de la situation » sécuritaire et politique au Sahel, au moment où la France annonce déjà une réorganisation de sa présence militaire dans cette zone stratégique d’Afrique.
Aux gouvernements, ces 26 organisations lancent un rappel à leurs engagements. Et les invitent, par la même déclaration, à agir encore mieux et efficacement contre l’impunité pour assurer la protection des civils, mais aussi de « revisiter l’esprit qui sous-entend, les relations de partenariat ».
Sahel tribune diffuse ici, avec l’accord de la Coalition, leur déclaration intégrale. Le titre et les intertitres sont de notre rédaction comme les lignes ci-haut ainsi que certains hyperliens. Bonne lecture.
Préoccupation et condamnation ferme
Coalition citoyenne pour le Sahel, représentée par les organisations de la société civile sahélienne et internationale soussignées, est profondément préoccupée par la rapide dégradation de la situation dans la région du Sahel, marquée par une recrudescence des actes de violence contre les civils et par deux changements de pouvoir non constitutionnels en l’espace de quelques semaines au Tchad et au Mali.
Nous condamnons avec la plus grande fermeté la multiplication des attaques de groupes armés, dont ceux dits de « djihadistes », contre les populations civiles dans la région des trois frontières entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger, qui ont fait plus de 500 morts depuis le début de l’année 2021. Nous nous inclinons devant la mémoire des 140 victimes des massacres de Solhan et de Tadaryat survenus les 4 et 5 juin 2021 au Burkina Faso. Nous rendons également hommage, notamment, aux plus des 300 civils, dont de nombreux enfants, femmes et personnes âgées, tués dans des attaques indiscriminées de grande ampleur contre leurs villages en janvier et en mars dans les régions de Tillabéri et de Tahoua, au Niger.
« Réelles difficultés »
Ces tragiques événements démontrent une nouvelle fois que les gouvernements du Burkina Faso, du Mali et du Niger, notamment, éprouvent de réelles difficultés à assumer leur responsabilité de protéger leurs populations. L’annonce d’un «sursaut civil et politique » par les chefs d’État du G5 Sahel et leurs partenaires internationaux lors d’un sommet à N’Djamena en février 2021 avait pourtant suscité une lueur d’espoir. Nous avions salué des engagements nouveaux des dirigeants de la région en matière de protection des civils, de respect des droits humains, de lutte contre l’impunité et de respect de l’État de droit. Depuis, nous avons malheureusement observé d’inquiétants reculs.
Deux des cinq pays du G5 Sahel ont connu, à quelques semaines d’écart, des coups d’État institutionnels, le Tchad en avril et le Mali en mai (le deuxième en neuf mois). L’indulgence dont ont fait preuve à cet égard l’Union africaine (au sujet du Tchad) et la CEDEAO (à propos de Mali), au mépris non seulement de leurs pratiques habituelles, mais surtout du respect des dispositions et des sanctions prévues par leurs textes et mécanismes, nous préoccupe profondément. Nous appelons les institutions africaines à faire preuve d’un leadership fondé sur le strict respect de l’État de droit et des principes de gouvernance démocratique.
Dans ce contexte, la décision du président français Emmanuel Macron de mettre fin à l’Opération Barkhane au Sahel, bien que son contenu reste à préciser, pourrait représenter une étape importante vers le changement d’approche que réclame la Coalition citoyenne pour le Sahel. C’est en effet pour nous la reconnaissance du constat établi dans notre rapport « Sahel : Ce qui doit changer » : la réponse principalement militaire, notamment l’approche contre-terroriste, ne permet pas de répondre de manière efficace à la crise multidimensionnelle que traverse le Sahel.
Lutter contre l’impunité
Nous demandons aux gouvernements des pays sahéliens de saisir cette occasion pour placer la protection des civils au cœur d’une approche renouvelée, en suivant les recommandations spécifiques, basées sur les indicateurs mesurables que nous avons présentés en avril 2021. Cela passe notamment par une tolérance zéro à l’égard des violations graves des droits humains commises dans la région, quels qu’en soient les auteurs.
À ce sujet, nous sommes profondément préoccupés par une disposition spécifique du statut des « Forces spéciales » nouvellement créées au Burkina Faso, qui prévoit qu’elles « ne peuvent être poursuivies pour des actes commis dans l’exercice de leurs fonctions ». Cette mesure contredit les propres engagements des chefs d’État de la région en matière de lutte contre l’impunité au sein de leurs forces armées. Aucune des forces de défense et de sécurité présentes au Sahel ne doit faire l’objet d’un statut spécifique qui les exonèrerait de leurs responsabilités en cas d’exaction. Pour nos organisations, la lutte contre l’impunité est un élément crucial pour stabiliser la région et restaurer la confiance des populations en l’état.
« Revisiter l’esprit qui sous-tend les relations »
Enfin, l’annonce d’un reformatage de la présence française au Sahel présente une double opportunité pour les partenaires internationaux, d’une part celle de revisiter l’esprit qui sous-tend les relations de partenariat pour privilégier les attentes et priorités exprimées par les populations sahéliennes et, d’autre part, celle de procéder à une courageuse révision en profondeur de leurs interventions en réponse à la crise. Si cela devait simplement se traduire par le renforcement de la Task force européenne Takuba (à laquelle très peu d’États européens ont encore contribué) ou par l’extension du mandat de la mission de formation de l’Union européenne EUTM (dont les résultats sont limités à ce jour), avec pour seule priorité la conduite d’opérations contre-terroristes, ce serait une occasion manquée, aux dépens des communautés sahéliennes qui continuent à faire face à une insécurité croissante.
Les acteurs internationaux, dont la France, l’Union européenne et les États-Unis, doivent soutenir et accompagner les efforts en faveur d’une meilleure protection des civils et d’une lutte effective contre l’impunité afin de rendre justice aux innombrables victimes de ces violences. Ils doivent également user de leur influence auprès des gouvernements de la zone sahélo-sahélienne pour garantir le respect de l’État de droit et des principes de gouvernance transparente et démocratique.
Organisations signataires :
Organisations ouest-africaines
- African Security Sector Network (ASSN)
- AfrikaJom Center
- Association des Femmes Africaines pour la Recherche et le Développement (AFARD) — Mali
- Association des Juristes Maliennes — Mali
- Association Malienne des Droits de l’Homme — Mali
- Association Nigérienne pour la Défense des Droits de l’Homme (ANDDH)
- Association pour la Protection Féminine de Gaoua (APFG)
- Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC) — Burkina Faso
- Institut Malien de Recherche Action pour la Paix (IMPRAP) — Mali
- Mouvement Burkinabè des Droits de l’Homme et des Peuples (MBDHP) — Burkina Faso
- Observatoire Kisal
- Organisation pour de Nouvelles Initiatives en Développement et Santé (ONIDS) — Burkina Faso
- Réseau de Réflexion Stratégique sur la Sécurité au Sahel (2r3s)
- Réseau Nigérien pour la gestion non violente des conflits (Réseau GENOVICO) — Niger
- Réseau Panafricain pour la Paix, la Démocratie, et le Développement (REPPAD) — Niger
- Wathi
- West Africa Network for Peacebuilding (WANEP) – Burkina Faso
Organisations Internationales
- CARE International
- CCFD-Terre Solidaire (Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement)
- Fédération Internationale des Droits humains (FIDH)
- Global Centre for the Responsibility to Protect (GCR2P)
- Médecins du Monde
- Oxfam International
- Plan International
- Saferworld
- Search for Common Ground (SFCG)
Source : Sahel Tribune