La mise en place d’un nouveau système de coopération policière entre 16 Etats d’Afrique de l’Ouest va-t-elle changer la donne sécuritaire dans la région, qui a connu une explosion de la criminalité transnationale depuis deux décennies ?
Lancé en grande pompe à Abidjan mardi, le Système d’information policière pour l’Afrique de l’Ouest (SIPAO), une plateforme électronique d’échange de données entre les services de sécurité nationaux, sera « une solution clé pour renforcer la sécurité dans la région », a promis le ministre ivoirien de l’Intérieur Sidiki Diakité.
Personnes recherchées, armes, véhicules et documents volés, affaires et procédures pénales en cours, toute une masse d’informations devrait être échangée entre les pays africains ainsi qu’avec Interpol, qui assure appui technique et formation.
Mais l’exposé des détails de ce programme de coopération montre surtout l’énorme retard pris par les services de sécurité ouest-africains face à la montée de la criminalité et l’absence de réelle coopération régionale, malgré plusieurs tentatives menées depuis vingt ans.
« Le trafic de drogues, d’armes, d’être humains », de cigarettes, de faux médicaments et même d’organes représente « plus de trois milliards de dollars par an » (2,6 milliards d’euros) en Afrique de l’Ouest, a révélé le secrétaire général d’Interpol Jürgen Stock, tandis que la piraterie maritime dans le Golfe de Guinée a coûté « 800 millions de dollars aux économies régionales » en 2017.
« La criminalité transnationale organisée ne cesse d’augmenter », a déclaré le général béninois Francis Behanzin, commissaire de la Cedeao chargé des affaires politiques, de la paix et de la sécurité, et il devient de plus en plus « hybride », de nombreux groupes terroristes de la région se finançant par les trafics.
« Le crime organisé dispose de moyens colossaux, d’une détermination, il est parfois mieux organisé que les Etats eux-mêmes », a confié M. Behanzin à des journalistes.
Après une phase d’expérimentation depuis 2012 dans quatre Etats (Bénin, Ghana, Mali, Niger), le système Sipao doit être étendu dans les quatre ans à venir à l’ensemble des 15 membres de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest plus la Mauritanie.
– Manque de professionnalisme et corruption –
Aura-t-il plus de succès que les tentatives de coopération précédentes ?
« Les Chefs d’État et de Gouvernement de la Cedeao avaient adopté, en 2005, le Protocole pour la création d’un Office du renseignement et des investigations criminelles (ORIC) », pour « faciliter l’échange d’informations sur les organisations criminelles et leurs activités (…) en utilisant « une technologie moderne ». « Ce Protocole n’a hélas jamais été ratifié par les Etats membres » a rappelé le commissaire Behanzin.
En 1997, un Comité des chefs de police d’Afrique de l’Ouest avait été créé « pour développer une stratégie régionale de lutte contre la criminalité ». Ce comité était ensuite devenu le Comité des chefs de services de sécurité de la Cedeao.
Mais avant la réunion d’Abidjan lundi, « les chefs de police et de sécurité ne s’étaient pas réunis depuis quatre ans », a encore déploré M. Behanzin. « Les services de sécurité des pays d’Afrique de l’Ouest « ne coopèrent pas assez », voire se font « concurrence », a-t-il dit, exhortant leurs responsables à changer d’attitude.
« C’est un réflexe naturel des polices et des gendarmeries nationales de garder les informations pour elles », note Jean-François Valette, l’ambassadeur de l’Union européenne (UE) en Côte d’Ivoire, qui espère que les importants moyens déployés permettront cette fois-ci d’obtenir une meilleure coopération régionale et « des résultats de fond » contre la criminalité.
C’est l’UE qui finance entièrement le programme Sipao, à hauteur de « 28 millions d’euros ». « C’est un programme positif pour la zone et pour nous aussi », explique M. Valette, alors que l’Europe subit directement les conséquences de la criminalité ouest-africaine, qu’il s’agisse du trafic de drogue, de migrants ou du terrorisme.
Les services de sécurité ouest-africains « manquent de professionnalisme et de capacité opérationnelle », juge le professeur de géopolitique et consultant en sécurité burkinabè Paul Koalaga. « Ils se sont plus orientés vers la protection des dirigeants et l’espionnage des opposants » que vers la lutte contre criminalité transnationale.
« La corruption au sein des services de sécurité, jusque parfois leurs plus hauts responsables, bénéficiaires des trafics », explique aussi la situation actuelle, estime M. Koalaga.
La première étape de mise en oeuvre du Sipao sera de numériser les fichiers des services de sécurité, qui sont toujours, en 2018, essentiellement sous format papier, selon le document de présentation du programme.