Le Conseil de sécurité de l’ONU a rejeté vendredi une demande des pays africains de suspendre les procès pour crimes contre l’humanité du président et du vice-président kényans.
Un projet de résolution demandant de reporter d’un an les procès du président Uhuru Kenyatta et du vice-président William Ruto, n’a recueilli que sept votes favorables contre huit abstentions sur les 15 pays membres du Conseil. Neuf voix étaient requises pour une adoption.
Les sept pays du Conseil qui sont aussi membres de la CPI, ainsi que les Etats-Unis, se sont abstenus. En revanche, la résolution a été soutenue par des membres africains, la Russie, le Pakistan et la Chine.
Alors que les pays africains en faisaient une question de principe, des diplomates occidentaux ont déploré une crise « inutile », soulignant que la CPI avait proposé des solutions pratiques qui permettraient aux deux dirigeants kényans de continuer à diriger le pays tout en assurant leur défense.
MM. Kenyatta et Ruto, élus en mars, sont les premiers dirigeants en exercice jugés par la CPI. Ils sont poursuivis depuis 2011 pour leurs responsabilités dans les violences politico-ethniques qui ont suivi la présidentielle de fin 2007 et fait plus de 1.000 morts.
M. Ruto est poursuivi pour crimes contre l’humanité et plaide non coupable. Son procès a déjà commencé. M. Kenyatta, lui aussi accusé de crimes contre l’humanité rejette les charges retenues contre lui. Son procès est censé démarrer le 5 février.
Le Conseil peut demander à la CPI de reporter d’un an un de ses procès si celui-ci est considéré comme une menace pour la paix internationale.
Les Africains faisaient valoir que MM. Kenyatta et Ruto devaient rester aux commandes du Kenya pour gérer la lutte contre les combattants islamistes en Somalie ainsi que les suites du récent attentat contre un centre commercial à Nairobi.
« Nous voulons être pris au sérieux »
L’Union africaine (UA) a dit sa déception après ce vote: « Bien sûr, nous sommes déçus », a déclaré le Kényan Erastus Mwencha, chef adjoint de la Commission de l’UA à Addis Abeba, siège de l’organisation. « Nous pensons qu’à ce stade, il va nous falloir réfléchir à ce sujet et trouver un moyen d’avancer », a-t-il ajouté.
« L’Afrique est déçue et nous regrettons beaucoup » ce rejet, a acquiescé l’ambassadeur kényan Macharia Kamau. Cette décision « est triste, absurde et déconcertante ».
Celui-ci a critiqué la « crainte paranoïaque » des membres du Conseil qui ont eu peur de créer un précédent et les a accusés de « provoquer des dégâts irréparables » au Statut de Rome qui a créé la CPI. « L’Afrique et le Kenya n’oublieront pas », a-t-il averti.
La résolution était notamment soutenue par le Rwanda, membre non permanent du Conseil et non signataire de la CPI, et co-parrainée par de nombreux pays africains, dont le Kenya, le Sénégal, l’Ouganda, le Togo, le Gabon, le Maroc et la Namibie.
Les dirigeants africains se plaignent fréquemment que la CPI s’en prend en priorité à leur continent. Les huit enquêtes ouvertes par la Cour concernent uniquement des pays africains mais elles ont presque toutes été initiées par ces pays africains eux-mêmes.
« Ce n’est pas le vote qui importe mais la relation entre l’Afrique et le Conseil de sécurité: nous voulons être pris au sérieux », avait expliqué avant le vote l’ambassadeur rwandais Eugène Richard Gasana.
En revanche, plusieurs diplomates ont rejeté l’idée que ce vote soit un test de la solidarité envers l’Afrique, l’ambassadeur du Guatemala Gert Rosenthal la jugeant même « insultante ».
D’autres font valoir que le Conseil vient de renforcer la mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom), financée par l’ONU, et que l’ONU s’est fortement engagée au Mali.
L’ambassadeur français Gérard Araud a regretté un « vote qui n’était pas nécessaire » et souligné le « risque d’une confrontation dangereuse entre le Conseil de sécurité et l’Union africaine ».
Pour l’ambassadrice américaine Samantha Power également, « les préoccupations soulevées par le Kenya seront traitées au mieux dans le cadre de l’assemblée des Etats partie » à la CPI, afin de permettre aux dirigeants kényans de « continuer à faire leur travail ».