Editorial. Accusé de crime contre l’humanité, l’ancien président ivoirien a été acquitté par la Cour pénale internationale le 15 janvier. Un camouflet pour une instance déjà fragile.
Editorial du « Monde ». Un acquittement n’est pas une défaite en soi, c’est l’expression de la justice. Mais ceux qui ont été prononcés, mardi 15 janvier, en faveur de Laurent Gbagbo, l’ex-président ivoirien, et de Charles Blé Goudé, l’ancien leader du mouvement ultranationaliste des Jeunes Patriotes, constituent un revers cuisant pour la Cour pénale internationale (CPI) et révèlent, une fois de plus, ses faiblesses.
Les deux leaders politiques étaient accusés de crimes contre l’humanité. Ils étaient poursuivis pour des exactions qui ont fait plus de 3 000 morts, en 2010 et 2011, dans la foulée de l’élection présidentielle ivoirienne. Après huit ans de procédure, leur acquittement est un camouflet, aussi bien pour les juges qui avaient validé la mise en accusation sur la base d’un dossier faible que pour le procureur, qui n’a su ni conduire son enquête ni mener ce procès. Les preuves présentées aux audiences ne correspondaient pas à l’accusation et, malgré les alertes répétées des juges, l’impasse n’a pas pu être évitée.
Ce revers n’est que le dernier d’une longue série, qui renvoie une image d’impuissance de cette instance, fondée en 2002 pour condamner les crimes de masse commis à travers le monde. Ce fut déjà le cas en décembre 2014 pour six responsables kényans, dont le président Uhuru Kenyatta. L’ex-vice-président de la République démocratique du Congo, Jean-Pierre Bemba, a lui aussi été acquitté en juin 2018. D’autres, des petits chefs de milice moins en vue, sont aussi sortis libres, faute de preuves.
Instrumentalisation politique et amateurisme
Dans ses échecs répétés, on retrouve les mêmes causes, devenues systémiques : un mélange d’instrumentalisation politique et d’amateurisme, une notion parfois bien relative de l’intégrité et surtout l’absence de vision claire des responsables de la CPI, qui se donnent une ambition qui dépasse leur mandat. Ils veulent construire la paix – affaire de diplomates – quand on leur demande de rendre justice. A l’arrivée, ils échouent sur les deux tableaux.
Depuis les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, la justice internationale a toujours fait l’objet de tentatives d’instrumentalisation. Mais la CPI s’y est volontiers prêtée à travers le choix de ses cibles, des pays vacillant entre guerre et paix, souvent en marge d’un conflit électoral. En conséquence, elle subit des pressions politiques, plus ou moins subtiles, d’Etats qui ne coopèrent que lorsque la Cour rencontre leurs intérêts, ou, à tout le moins, ne les menace pas.
Ce fut le cas de la France et de la Côte d’Ivoire, dans le cas de Laurent Gbagbo. Des Etats-Unis et du Royaume-Uni dans celui d’Uhuru Kenyatta et William Ruto, en lice pour la campagne présidentielle kényane lors de leur mise en accusation. Dans l’affaire Bemba, les Etats-Unis, la RDC et l’Europe ont fait pression au nom de la stabilité. La Cour et son procureur ont un problème : ils n’ont pas de forces de police. Ils ont besoin de la coopération des Etats pour leurs enquêtes. Celle-ci est néanmoins à géométrie variable. Les Etats ne sont vertueux que si leurs ressortissants ou leurs alliés ne sont pas visés, sinon tous les moyens sont bons pour espérer échapper à la Cour.
Dans cette épreuve de force inévitable, c’est la Cour qui, par sa politique pénale bancale, fournit les armes de ses défaites successives. Persuadée d’obtenir la coopération des Etats en acceptant de se soumettre, elle n’utilise que rarement les pouvoirs réels dont elle dispose. L’élection d’un nouveau procureur en 2021 doit être l’occasion pour la CPI de les reconquérir.