La Cour a confirmé, en début de semaine, les charges de crimes de guerre et crimes contre l’humanité à l’encontre d’Al Hassan. Depuis fin mars 2018, il est le deuxième Malien détenu à la Haye. Portrait d’un pharmacien entré dans les rangs d’Ansardine à Tombouctou.
Sans pantalon sauté, ni barbe fournie… C’est ainsi que se présente Al Hassan devant les juges de la CPI depuis son transfèrement. Aussi, alterne-t-il costume et bazin. Lahsane (son autre nom) est accusé de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, commis entre avril 2012 et janvier 2013 pendant l’occupation de la ville de Tombouctou. Il était administrateur de la police islamique et des mœurs au sein d’Ansardine, le mouvement d’Iyad Ag Ghaly. Ce touareg quadragénaire de la communauté Kel Ansar, né à Hangabera (Goundam), parle français, arabe, tamasheq et baragouine le sonrhaï.
Mais le lundi 20 septembre, Al Hassan n’a pas eu besoin de quitter sa cellule, ni d’enfiler un boubou en bazin ou costume. La Cour, qui devait déterminer si les preuves étaient suffisamment étayées pour aller jusqu’au procès, a confirmé les charges retenues contre lui. « Il n’y a pas eu d’audience. La décision a été communiquée par mail. Il était dans sa cellule. Nous l’avons appelé pour lui faire part de la décision. », explique Marie-Hélène Proulx, son avocate.
De Zorho à Ansardine
La trajectoire de ce djihadiste, très connu à Tombouctou, se mêle à la descente aux enfers du Mali en 2012. Le 1er avril 2012, Tombouctou tombe sous la férule des groupes djihadistes. Al Hassan, à l’époque en poste à la pharmacie de Zorho (165 kilomètres à l’est de Tombouctou), décide de rejoindre les rangs d’Ansardine « pour protéger les populations », selon ses proches et l’intéressé lui-même.
C’est à Tombouctou qu’il fait ses études primaires avant de partir, en 1991, pour le Niger au plus fort de la rébellion à l’époque. Se sentant mieux en Lybie qu’au Niger, sa famille s’y établit en attendant que les choses reviennent à la normale. Là-bas, il poursuit des études secondaires avant de rejoindre le centre vétérinaire de la ville d’Oubari. Al Hassan, qui a également suivi une formation en informatique, a été, à partir de 2002, enseignant à la médersa Nour Almoubine de Tombouctou jusqu’en 2005, année où il repart pour la Libye pour parfaire sa formation avant de revenir dans la « cité des 333 saints » un an plus tard.
Fils d’un vétérinaire à la retraite, Al Hassan est un pur produit de l’Institut de formation des maîtres (IFM) Hégire de Tombouctou. A partir de 2009, il suivra une formation en gestion de pharmacie. Ce qui lui ouvre les portes de la pharmacie de Zorho. A la prise de Tombouctou par les djihadistes qu’Al Hassan se met au service d’Ansardine, obtenant des fonctions importantes. Il y faisait en effet office d’administrateur de la police islamique et des mœurs. A la libération des régions du Nord, Al Hassan trouve refuge dans les montagnes du Tigharghar. Il retourne plus tard en Lybie avant d’être arrêté en avril 2017 par la force Barkhane, puis transféré le 31 mars 2018 à la CPI, en vertu d’un mandat d’arrêt émis le 27 mars 2018.
Une personnalité controversée
La procureure de la Cour, Fatou Bensouda, présente l’accusé comme une personnalité ayant joué un rôle essentiel et indéniable dans le système de persécutions institué par les groupes armés pendant toute la durée de l’occupation djihadiste. Pour Marie-Hélène Proulx, conseil à la défense, c’est là un portrait très sombre d’Al Hassan. « Al Hassan n’est ni radical, ni djihadiste, ni misogyne. Il est aimé et respecté par sa communauté et les populations de Tombouctou », défend l’avocate française.
Ceux qui ont travaillé avec lui le décrivent d’ailleurs comme un individu calme, réservé : « Je ne me suis jamais entendu avec Al Hassan avec qui j’ai travaillé jusqu’en 2012, mais je le connais bien pour savoir qu’il n’est pas responsable de ceux dont on l’accuse », lance ainsi un ex-collaborateur de la pharmacie de Zorho, qui a demandé qu’on lui garantisse l’anonymat. Certains voient même en lui une victime qui n’avait pas le choix.
Après la décision des juges, la défense est toujours convaincue de l’innocence de son client : « La défense est également sûre que si le dossier est porté à procès, l’accusation ne sera pas en mesure d’établir le degré de responsabilité d’Al Hassan conformément au seuil de preuve requis », peut-on lire dans un communiqué de la défense.
Aida S., qui a vécu toute la crise à quelques mètres de la police islamique, décrit pourtant une personnalité autonome dans ses décisions, et parfois même zélée. « C’est une personne en bonne santé mentale, qui a rejoint des groupes armés djihadistes, et a accepté un poste de responsabilité. Il obéissait à une hiérarchie, certes, mais n’y était pas contraint. Il commandait des hommes dans le cadre d’une répression sur des populations civiles avec des armes. Ce n’est pas en position de victime qu’on fait cela quand même. Une victime ne dit pas d’arrêter et de torturer les femmes jugées mal habillées. Al Hassan était bien conscient de ce qu’il faisait. »
« Petit poisson »
Du coté des organisations de défense de droits de l’homme, le natif de Hangabera fait partie des djihadistes visés par les plaintes pour crimes sexuels soutenues par l’AMDH, WILDAF-Mali et autres.
Quelle que soit l’issue du procès, Al Hassan, polygame et père de 6 enfants, tous de moins de 10 ans, est considéré par beaucoup comme un « petit poisson » à côté de personnalités plus importantes de l’occupation djihadiste. « Nous n’avons jamais oublié ce que notre bête noire, Hamad Mossa, nous faisait. Nous n’avons pas aussi oublié les décisions irréversibles du juge Houka Houka. La CPI doit s’intéresser à eux également. S’ils continuent de se promener librement, on ne pourrait pas parler de justice », confie une habitante de Tombouctou.
En attendant que ses avocats interjettent appel, Al Hassan continue de suivre des cours d’anglais depuis le centre de détention de Scheveningen, à La Haye.
Source : benbere