La Covid-19, dans sa progression, n’a pas épargné le secteur du livre au Mali. son irruption a enfoncé le dernier clou dans le cercueil des librairies, déjà fragilisées par la mévente.
Vendredi 14 aout 2020. Marché de Dibidani, situé au cœur de Bamako. C’est un endroit connu pour être le fief des vendeurs de livres et d’autres fournitures scolaires. J’arpente le couloir principal du marché. L’ambiance, à ma grande surprise, est différente de celle qui régnait lors de mon dernier passage.
Il y a quelques mois, je m’y étais rendu pour acheter Toiles d’araignées d’Ibrahima Ly. A peine j’ai garé ma moto, j’étais assailli par les questions de certains vendeurs : « Mon frère, quel livre recherches-tu ? », « Patron, viens par ici, tu cherches quel roman ? Nous avons tous les classiques de la littérature africaine ». J’avais difficilement fini par me glisser dans une librairie où j’ai pu trouver le livre que je cherchais.
Difficile de faire parvenir les commandes
Le changement est palpable. Il règne une atmosphère triste à cause de la chute des ventes. Selon certains libraires, cette situation est liée à la Covid-19. Oumar Coulibaly, gérant de la librairie Larousse, évoque la chute de sa clientèle : « C’est dur. J’ai perdu le 9/10 de ma clientèle », confie-t-il, perdu au milieu des bouquins de sa librairie tout de même garnie.
J’ai cherché trois livres qui, hélas, n’étaient pas disponibles. M. Coulibaly m’a fait savoir que depuis l’irruption de la pandémie, beaucoup de livres manquaient. « Nos livres, pour la plupart, viennent d’Europe. Avec la pandémie, c’est difficile pour nos partenaires de nous faire parvenir les commandes», explique le libraire.
Mamadou Bah, gérant de la librairie Bah à Azalaï Grand Hôtel de Bamako, évoque une paralysie du secteur du livre, qui date de la crise de 2012. La Covid-19, dit-il, est venue s’ajouter à cette difficulté préexistante. « Depuis le mois de mars, l’hôtel est fermé. Nous continuons à ouvrir pour ne pas que nos partenaires pensent qu’il s’agit d’une fermeture définitive. Sinon, en plus de la baisse des ventes, c’est difficile de faire parvenir les livres car la logistique est lente. D’ailleurs, depuis le mois d’avril, nous n’avons pas reçu de livres. Alors qu’avant la pandémie, les commandes ne prenaient pas plus d’un mois. » La librairie Bah, l’une des plus importantes de Bamako, ouvrait jusqu’à 22 h. Mais, depuis mars, les horaires d’ouverture ont été revus de 9 h à 13 h.
Un coup dur
Le gouvernement malien, pour faire face à la percée de la pandémie, avait édicté plusieurs mesures, notamment la fermeture des écoles. Cette fermeture, selon des gérants de librairies, a considérablement impacté les demandes de fournitures scolaires. A part quelques rares personnes qui continuaient à venir pour acheter des romans, il n’y a plus de clients comme avant. Mohamed Toure, évoluant dans le domaine depuis 1998, ne cache pas sa difficulté : « C’est difficile d’avoir deux clients par jour. Depuis la fermeture des classes, on a du mal à joindre les deux bouts »
Ismaila Samba Traore, écrivain et fondateur de la maison d’édition La Sahélienne, abonde dans le même sens en soutenant que les commandes de livres pour les écoles auraient pu permette au secteur de tenir bon. Mais la fermeture des classes a rendu la situation encore plus difficile.
Industrie du livre inexistante
Si des libraires continuent d’ouvrir leur porte, d’autres en revanche ont déjà mis la clé sous le paillasson. « Certains magasins n’existent plus depuis que la fermeture des écoles a entrainé la chute des ventes qui, d’ailleurs, n’étaient pas importantes », confie Oumar Coulibaly de la librairie Larousse.
Il estime que le secteur du livre n’est pas une priorité pour les autorités. « Nous n’avons pour seul boulot que la vente des livres et d’autres fournitures scolaires. Des pères nourrissent leur famille avec cette activité. Le gouvernement doit penser à l’industrie du livre en cette période difficile», plaide-il.
Le Mali a-t-il une véritable industrie du livre, bien structurée de l’écriture à la distribution en passant par l’édition ? C’est la question fondamentale qui, selon Ismaïla Samba Traoré, mérite d’être posée. « La culture du livre a drastiquement chuté pour ne pas dire qu’elle est inexistante au Mali. Les professionnels continuent à travailler dans ce domaine par amour et devoir vis-à-vis des autres. Le secteur se portait déjà mal. La Covid-19 en a profité pour accentué sa peine», conclut l’auteur de Jigintan ou Les ruchers de la capitale.
Source : Benbere