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Cour d’Assises Spéciales sur l’esclavage par ascendance : Me Mahamadou Traoré appelle à la population à plus de retenue

Dans une interview accordée à notre journal, Me Mahamadou Traoré, l’avocat de la défense des personnes détenues dans les cinq communes du nord de Bafoulabé se prononce sur la problématique de l’esclavage par ascendance dans la région de Kayes. Ainsi que le verdict de la cour d’assises spéciale de Kayes qui a lourdement condamné ses clients.  

Me Traoré bonjours, pouvez-vous présenter à nos lecteurs ?

Me Traoré : Je suis Me Mahamadou Traoré, avocat inscrit au Barreau du Mali depuis déjà un certain nombre d’année.

En tant que l’avocat des notables, quelle explication faites-vous sur cette affaire d’esclavage par ascendance dans la région de Kayes en général, et en particulier au niveau des cinq communes du nord de Bafoulabé ?

Me Mahamadou Traoré : D’abord a priori, cette notion d’esclavage par ascendance, à mon avis, sonne un peu faux, parce que pour avoir été témoin du procès qui vient de prendre fin à la cour d’assise spéciale de Kayes. Dans les dossiers, fondamentalement, on ne parlait pas d’esclavage par ascendance. La notion d’esclavage par ascendance à mon avis, j’ai du mal à donner un contenu à cela car les gens qui se disent esclave de père en fils, mes arrière-grand- pères ainsi de suite, ils peuvent s’exprimer de la sorte. Mais lors du procès, on a eu l’occasion juste de dire qu’il y a des gens, en parlant de «Lanbé», ils disent qu’ils se retrouvent dans le «Lanbé»,  c’est-à-dire la tradition. Cette tradition existe c’est vrai, mais il n’y a pas de pratiques d’esclavagiste dans ces localités-là. Le mot esclave est une appellation qui existe dans la localité comme d’autres classes sociales au Mali, comme par exemple un forgeron et griot etc. Je peux dire qu’au Mali, le mot « djon »  ne veut pas dire esclave en tant que tel. Un esclave c’est quelqu’un qui est corvéable à merci vis-à-vis de son maître ; qu’il peut même le vendre ainsi de suite. Mais le «djonia» qu’on parle dans cette localité n’a absolument rien à avoir à ce qu’on entend par esclavagiste. Pour preuve, il y’a des gens qui ont comparu lors de ce procès qui ont dit effectivement je suis « djon » parce que je suis né « djon » et mon père a été « djon » et suis fier d’être «djon» ; mais ils n’ont jamais vécu comme s’il dépend exclusivement de quelqu’un. Le monsieur a dit «je suis djon c’est vrai, mais j’ai ma famille, j’ai mes enfants, je suis chez moi et je ne dépends de personne». C’est uniquement les pratiques traditionnelles. Par exemple si un noble égorge un bœuf lors d’une cérémonie, il me revient en tant esclave de dépecer le bœuf et prendre ma part de viande. D’ailleurs même si le chef de village du village voisin égorge un bœuf à mon absence, ils m’envoient ma part de viande chez moi. Je fais ce travail par ma propre volonté sans aucune pression.  Quant à dire que l’esclavage par ascendance ça une connotation péjorative mais il y a des gens qui se plaisent dans ça et ce n’est pas une pratique qui s’impose systématiquement. Si on ne fait pas, on est sanctionné, non ce n’est pas ça. C’est tout simplement un savoir-vivre, une façon de vivre que les gens acceptent de partager la classe sociale et qui vivent dans harmonie en un mot, c’est une qualité vivre de cette localité mais qui est négativement exploité par des situations qui sont venues d’ailleurs malencontreusement et qui font qu’à ce jour ça pose problème. En fait exploitation qu’on a fait est malheureuse sinon il y a des gens qui ont vécu dans cette situation depuis des siècles et n’a jamais posé de problèmes si ce n’est pas aujourd’hui.

Une session de la Cour d’Assises Spéciales de Kayes tenue du 27 février au 17 mars 2023, a lourdement condamné vos clients. Selon vous, la loi a été dite ?

Me Mahamadou Traoré : Bon en tant qu’avocat je dirai tout simplement que la justice a fait son travail et je peux ne pas être d’accord avec cette décision de justice. Il me reviendra d’utiliser des voies de recours et c’est ce que j’ai fait. Parce que j’ai estimé que les sanctions qui sont tombées ne me paraissent pas justifiées d’un point de vue strictement juridique. Donc je me suis pourvu en cassation. Et le dossier doit être présenté devant la Cour Suprême du Mali qui va voir si le droit a été dit oui ou non. De mon point de vue, j’estime cas même que la justice a fait son travail quelque part lors de cette session spéciale de la cour d’assises. Mais j’ai estimé également qu’il y a eu des failles en méconnaissance de certaines choses que ces sanctions sont tombées. Dans ce cas, je dis qu’il faut user des voies de recours pour soumettre à nouveau les décisions qui viennent de tomber pour l’appréciation de la Cour suprême pour qu’on puisse savoir réellement si le droit a été dit oui ou non.

Les notables se plaignent de l’instrumentalisation dans cette affaire d’esclavage par ascendance, êtes-vous d’accord ?

Eh… De vous à moi, de la connaissance que j’ai aujourd’hui de cette affaire-là, il y a beaucoup d’instrumentalisations. Cette affaire est exploitée d’une certaine manière et de façon à instrumentaliser et la justice et certaines populations de ces localités-là. Et cette affaire tente aussi à servir d’autres causes qui ne sont mêmes pas nationales. C’est une situation qui connait une certaine exploitation pour des fins autres de ce que nous connaissons aujourd’hui. J’ai expliqué lors de la session de la Cour d’assises quand je plaidais dans cette affaire-là, j’ai dit qu’il y a des gens qui sont ici et qui se réclament du CSP (Collectif de Sans Papier), la tendance dissidente qui dit qu’il n’est pas d’accord avec l’esclavage donc c’est les membres du CSP. J’ai eu à demander à certaines personnes le sens du mot CSP ; qu’est-ce que ça représente pour eux, ils ne connaissent pas. Le CSP défend les sans-papiers, au Mali on ne peut pas parler de sans-papiers. Quand on parle de sans-papiers, c’est ailleurs. Dans ces pays, si on n’a pas de papier, on n’existe pratiquement pas. Ce collectif a pour mission de regrouper les sans-papiers. Donc il faut tout mettre en œuvre pour les aider à exister pour qu’ils puissent avoir de papiers. Donc, ils ont voulu aller vite exploiter une situation qui était à l’entente depuis, notamment la situation d’esclavage. Pour dire qu’au Mali, qu’ils sont des esclaves donc il faut créer des clashs ici, avoir des images qui vont servir leur cause en Europe, je pense que cette instrumentalisation est là et est indéniable. Mais si par la suite on tombe dans les excès, je pense que cette Cour d’assises a servi peut être à sanctionner quelques excès. Qu’il y a eu des cas de coups et blessures volontaires, il y a quelques écarts de comportement qui a violé la loi pénale. Donc il faudrait qu’on essaye de voir dans quelle mesure il faut mettre un terme à ce style de comportement, sinon il y a une véritable instrumentalisation autour de cette affaire d’esclavage par ascendance.

Me Traoré êtes-vous sûr que la justice peut régler ces genres de conflits au Mali ?

Bon au Mali dire que la justice peut régler cette affaire me paraît un peu excessif. J’aurai bien voulu que la justice joue un certain rôle de dans chaque fois qu’il y a dérapage et des violations de la loi pénale, c’est tout à fait normale. Mais en amont je dirai que les autorités administratives et même municipales ont failli. Parce que si eux avaient assumé toute leur responsabilité dans le règlement de cette affaire, on ne serait pas là aujourd’hui. Donc revenons aux instances administratives de ces différentes localités de tout mettre en œuvre pour appeler la population à la table négociation afin de discuter la problématique d’esclavage pour qu’on ne puisse pas parler de cette affaire tel qu’on a parlé aujourd’hui. Parce que c’est une situation qui a toujours existé dans ces localités mais n’a jamais posé de problèmes n’eut été l’arrivée de cette histoire de CSP et Gambana. Il y a eu autre exploitation qui en est faite, qui a amené les gens à se dresser des uns contre les autres. Je demande aux responsables politiques de  ne pas exploiter cette situation d’une certaine manière pour ne pas dresser des uns contre les autres. De mon point de vue, la justice a très peu de rôle à jouer dans cette affaire. Ce n’est pas exclusivement qu’à la justice qui peut trouver une solution à cette problématique d’esclavage par ascendance, il faut qu’on aille au-delà pour que les pouvoirs publics jouent d’avantage leur rôle afin de trouver une solution définitive à ce conflit.

Avez-vous des appels à l’endroit des populations pour mettre fin à ce conflit qui n’a que trop duré ?

Bien entendu, j’ai des appels à lancer à l’endroit des populations concernées. Je leur demande tout simplement de plus de retenue et à plus de concertations, à ne pas faire en sorte qu’on réagisse de façon très-très épidermique, que la raison soit privilégiée. Je demande aux membres du CSP (Collectif des Sans Papiers) qu’ils reviennent à des meilleurs sentiments, qu’ils redeviennent comme le passé, qu’ils ne se laissent pas instrumentaliser par des gens qui ont d’autres préoccupations et pour la résolution de ces préoccupations ailleurs, qu’on essaye de les instrumentaliser alors qu’ils n’y sont absolument pour rien. Il faudrait que les uns et les autres sachent qu’ils se servent d’eux. Sinon comment peut-on expliquer que quelqu’un qui se réclame du CSP ne sait pas ce que c’est le CSP, c’est un peu aberrant. Donc, l’appel que j’ai pour la population concernée, qu’elle sache que ce problème est récent, qu’il essaye de préserver jalousement le bon vivre qui a prévalu depuis siècles.

Me Avez-vous été témoin d’une/des rencontres entre les protagonistes enfin de trouver un terrain d’attente ?

Je n’ai pas été personnellement témoin de ces types de rencontres mais, j’ai toujours entendu parler. J’ai été une fois invité à prendre part à l’une de ces réunions à Kayes mais, compte tenu de l’emploi du temps, je n’ai pas pu participer. Je sais cas même qu’il y a eu beaucoup d’efforts pour que les uns et les autres puissent s’asseoir autour d’une même table de négociation afin d’aplanir la situation. J’ai vu également des rapports et même des documents signés par des différentes parties qui ont eu à dégager des voies et moyens pour un plan de paix.

Selon vous quel doit être le rôle du gouvernement dans la résolution de cette tension communautaire ?

Le rôle du gouvernement dans la résolution de ce conflit est très important notamment à travers les services déconcentrés de l’Etat (le gouverneur, préfets, sous-préfet et les maires). Ces représentants de l’Etat doivent tout d’abord passer à la sensibilisation car l’origine de ce conflit qui prend sa source à des facteurs d’extranéités qui sont venus d’ailleurs et qui essayent d’exploiter négativement cette situation d’esclavage par ascendance. Donc il faudrait qu’on fasse très-très attention et que l’Etat soit très-très attentif afin d’informer la population du danger. L’intervention de l’Etat dans cette situation me paraît fondamentale et surtout que c’est un grand public qui est concerné et j’estime que l’Etat ne doit pas rester indifférent à cela. Donc on doit jouer à l’accalmie et l’intervention de l’Etat doit se faire à travers ses représentants.

Votre mot de la fin

J’ai été impliqué dans cette affaire au niveau de la justice depuis les phases de l’enquête préliminaire jusqu’au procès. J’ai même vu que la chose a été gérée par beaucoup de passion et ça il ne faut pas cacher dans le montage même des dossiers. Il y a eu des cas flagrants de violation de la loi. Parce que je ne peux pas comprendre que des  gens soient interpellés sur leurs lits de sommeil de 03 à 04 heures du matin. Ce qui est une intervention du pouvoir public en dehors de toute heure de légale, les textes sont clairs là-dessus. C’est des situations qu’il faut vraiment éviter parce que nous sommes dans un Etat de droit. On veut mener des enquêtes sur des situations bien déterminées, on agit dans un cadre légal. Donc quel que soit les circonstances, faisons en sorte qu’on puisse agir dans le cadre de la légalité. Parce qu’il n’y a beaucoup d’intérêt en jeu donc, il ne faut pas que les intérêts des uns et des autres soient au maximum préservés, il ne faut pas qu’on agit hors la loi. Cela va donner une autre l’image ou une autre façon de voir notre justice et ce n’est pas bon pour notre pays.

Réalisé par

  1. MARIKO

Par Le Malien

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