Il n’aura fallu que très peu de temps après la publication du deuxième gouvernement de la Transition pour assister à l’arrêt brutal et inattendu du processus politique en cours. L’ascenseur émotionnel fut fort pour les Maliens qui, dans un premier temps, assistèrent soulagés de voir enfin un nouvel attelage gouvernemental après plusieurs jours de vide au sommet de l’Etat ; et dans un second, le choc, après l’enlèvement manu militari du président de la Transition Bah Ndaw et du Premier ministre Moctar Ouane à Kati. Plus tard dans la soirée, la nouvelle se confirma, et le lendemain, Assimi Goita, ex vice-président de la Transition et surtout ancien chef de la junte militaire, déposséda les deux têtes de l’Exécutif de leurs prérogatives. Comment a-t-il osé encore récidiver, se demandent encore nombres de Maliens ? Et surtout pourquoi ?
Pour violation de la charte de la Transition. Voilà en quelques mots le motif de l’acte posé par Assimi Goita et ses acolytes. Il a donc osé. Commettre à nouveau un crime punissable par la Constitution et d’une gravité morale pour tout esprit républicain. D’ailleurs, la junte pour couvrir leur premier putsch d’un semblant de légalité avaient argué que c’était le président IBK qui avait démissionné et que eux, ils n’étaient là que pour amener une Transition civile. Egalement, ils n’ont pas omis d’insérer dans la charte de la Transition une disposition qui leur octroie une immunité quant aux actes commis dans le sillage du coup d’Etat contre IBK. Malgré qu’ils eurent été dans le viseur de la CEDEAO et d’autres organisations internationales, ils ont pu s’en sortir. Et à neuf mois de la fin de la Transition, commettre un autre putsch revient pour Assimi Goita et sa bande à prendre un risque dont nul ne peut connaitre les conséquences. Et pourtant, ils l’ont fait.
Evidemment, personne n’est dupe. Ce coup de force tout comme le dernier n’est autre qu’un coup d’Etat. Cela confirme les soupçons du début, que les militaires putschistes n’ont pas pris les risques d’accomplir un putsch pour facilement céder le pouvoir. Ils ont à coup sûr leur propre agenda, et si ça ne tenait qu’à eux, ils auraient géré la transition seuls, du début à la fin. Les coups de pression de la CEDEAO, et des acteurs politiques les auront fait reculer. Ils n’en ont pas démordu pour autant. Ils sont restés au cœur du jeu politique. Les ministères régaliens et différents postes au niveau régional leurs étaient revenus. Sans oublier bien évidemment le poste de vice-présidence qui était occupé par Assimi Goita lui-même, avant que le pays ne soit rattrapé par son implacable réalité.
Et maintenant, que va-t-il se passer ? Alors que la Transition qui semblait relativement en retard sur le cahier des charges, pourra-t-il organiser les élections à date, ou tout au moins, courant 2022 comme l’a déclaré le colonel Goita ? Le nouvel président de la Transition pourra-t-il réellement relever ce défi, et surtout aura-t-il l’accompagnement de la communauté internationale ? En tous cas, cela rappelle un autre épisode de l’histoire contemporaine du Mali, lorsqu’Amadou Haya Sanogo, à lors à la tête de la junte militaire déposait le Premier ministre de « pleins pouvoirs » Cheick Modibo Diarra. Sauf que là, l’acte est bien plus grave puisque la première institution de la Transition a été démis de ses fonctions.
Agenda caché de la junte, de quoi peut-il s’agir ?
Après une première réflexion l’on pourrait penser que le point de bisbille entre Assimi et Bah N’daw n’est dû qu’à la composition du gouvernement mort-né qui n’aura pas assez mis en lumière les membres de la junte. Il ne s’agirait que de la partie visible de l’Iceberg. En réalité, l’agenda caché de la junte serait de remettre une bonne partie de la sécurisation du pays à une autre super puissance, la Russie. L’accord longuement ficelé et n’attendant que son paraphe par les deux parties, la France aurait été mis au courant de la volonté des colonels de changer quelque peu de cap. Chose qui n’aurait pas été du gout de Macron qui aura intimé à Ouane et Ndaw de subtilement évincé quelques têtes d’affiches de la junte du gouvernement tout en mettant l’accord militaire en question au placard. Accord qui aurait sérieusement compromis l’Accord de Défense signé entre le Mali et la France au tout début du premier mandat d’IBK. Encore une fois, le pays subirait donc de plein fouet les coups de la realpolitik.
Cependant, une chose est sûre, c’est que la géopolitique, elle, a toujours sa part dans une crise locale. Pour le cas du Mali, la communauté internationale aura vite fait de se rendre compte des réalités locales du moment. Assimi Goita et sa bande sont les seuls véritables maîtres à bord, et ils n’entendent pas facilement céder avant d’accomplir ce pourquoi ils ont pris le risque de commettre ce coup d’Etat. Le choix de Choguel Kokalla Maiga comme Premier ministre n’est effectué que pour obtenir un apaisement social et politique.
Et pour ceux qui doutaient encore sur son bien fondé ou pas, la charte c’est Assimi et le contraire est vrai, même en cas d’adoption d’une nouvelle.
Ahmed M. Thiam