Le décret n°2020-0379/PT-RM du 31 décembre 2020 portant nomination du nouveau Directeur Général de l’Agence Nationale de Développement des Biocarburants (ANADEB), M. Abdoulaye Kaya, en remplacement de M. Madani Mamadou Diallo, fait l’objet d’une vive contestation au sein de l’opinion publique. Depuis, cette nomination est en déphasage et en contradiction totale avec la loi n°2014-049 du 19 septembre 2014 portant principes fondamentaux de la création, de l’organisation et du contrôle des services publics. Pour l’ancien ministre de la Fonction publique, M. Namory Traoré, cette situation qui relève de l’injustice ne saurait être frappée par le sceau du silence. Lisez son analyse de la situation.
« Je n’en reviens pas ! En lisant mon quotidien l’indépendant du 1er mars 2021, je découvre qu’un haut fonctionnaire de l’État, ancien Directeur général de l’établissement chargé de la promotion des biocarburants démis de ses fonctions est incarcéré à la Maison d’arrêt et de correction de Bamako. Le crime qui lui est reproché c’est d’avoir attaqué en justice la mesure du ministre qui l’a fait remplacer par un de ses proches sans avoir respecté la procédure qui sied en la matière à savoir « l’appel à candidature » et refusé de passer le service avant que le juge ne se prononce sur sa requête en annulation de l’acte qui met fin à ses fonctions.
Ainsi donc, un haut cadre de ce pays, qui a fait acte de candidature pour un poste de direction, ouvert à la compétition conformément à la loi et qui a obtenu ce poste – en raison, je présuppose, de ses compétences et de son expérience – croupit aujourd’hui en prison car il a rappelé à son ministre que la procédure qu’il a suivie pour le remplacer n’est pas conforme à la loi !
Mais dans quel pays sommes-nous ? Un pays où ceux qui sont censés faire respecter la loi sont ceux –là même qui la violent allègrement ! Et de surcroît envoient en prison ceux qui leur rappellent la loi ? Un pays qui, au lieu de tresser des lauriers sur la tête des plus méritants les envoie en prison pour peu qu’ils se rebellent contre les entorses à la loi et donc les diktats des gouvernants ?
Mamadou Madani Diallo, puisque c’est de lui qu’il s’agit, que je ne connais ni d’Adam ni d’Ève, doit se demander qu’est ce qui lui vaut cet embastillement incongru, lui qui, précisément a saisi la justice de son pays pour dénoncer une pratique contraire à la loi et demander à ce qu’elle se prononce avant de devoir se plier à ses décisions. Quel crime a-t-il donc commis ?
L’appel à candidature est une disposition qui a été introduite dans la loi (2014-049) modifiant la loi 94009 portant principes fondamentaux de la création, de l’organisation, de la gestion et du contrôle des services publics pour précisément promouvoir le mérite et la transparence dans l’accès aux emplois publics supérieurs. Cette disposition a été saluée à l’époque par tous les Partenaires du Mali dont certains en avaient fait une conditionnalité pour le décaissement de leur aide budgétaire. Mais c’était sans compter la forte prévalence du népotisme et du clientélisme dans la gestion des affaires publiques de notre pays.
Cette disposition appliquée sous Oumar Tatam Ly et Moussa Mara est devenue très vite gênante par la suite, lorsque des politiques purs et durs ont pris la tête du Gouvernement car, lorsqu’ils ont voulu procéder à l’ancienne, c’est à dire des cooptations d’amis ou d’affidés pour ne pas dire le népotisme, il leur a été opposé cette disposition de la loi. Il semble que le prince du jour aurait même, à l’époque, demandé de l’abroger car elle l’empêchait de nommer un de ses proches à un poste qui était soumis à cette disposition !
Il est vrai que cette loi devrait être accompagnée d’un décret d’application qui définirait la durée du mandat pendant lequel il ne peut être mis fin aux fonctions de la personne nommée sauf faute grave de sa part. Le projet de ce décret est élaboré, il a été inscrit à l’ordre du jour d’un Conseil des ministres et a été retiré faute d’accord et depuis, il est rangé quelque part dans les tiroirs du Secrétariat Général du Gouvernement. Or ce décret, outre qu’il précisait les conditions de mise en œuvre de l’appel à candidature stipulait aussi que les personnes nommées à l’issu de cette procédure, devraient exercer leur fonction pendant quatre ans renouvelables une fois et ne pouvaient être révoquées que suite à des fautes lourdes. Ce faisant, ils seraient à l’abri de sautes d’humeurs qui ne manquent pas d’arriver avec de nouveaux ministres !
Le Mali a ratifié en 2013 la Charte Africaine sur les Valeurs et les Principes du Service public et de l’Administration dont une des dispositions stipule la compétition ouverte et transparente entre les agents publics pour occuper les emplois supérieurs. C’était sous le Gouvernement de Transition de 2012-2013. En effet, tirant les leçons de ce qui était arrivé à notre pays au cours des années passées, ce Gouvernement avait à cœur d’engager le pays sur le chemin de la bonne gouvernance, seule à même de sortir le pays de la crise politique et sociale. Le Mali se devait donc de traduire cette charte dans sa législation nationale, ce qui fut fait par l’adoption par l’Assemblée Nationale de la loi 2014-049 du 19 septembre 2014. Beaucoup de cadres furent nommés à des emplois publics supérieurs par appel à candidature au cours de cette période. Il serait intéressant de savoir combien ont conservé leur poste après les changements de gouvernement et combien ont été par la suite nommées aux mêmes postes sans passer par cette procédure. Le résultat en serait éloquent quant au respect par notre pays de l’engagement qu’il a pris en ratifiant cette Charte. En tout état de cause, la loi est votée et il faut, soit l’appliquer en adoptant un décret d’application, soit l’abroger dans la disposition que l’on ne veut pas appliquer et dans ce cas, expliquer au peuple que l’on ne veut pas de transparence ni de promotion du mérite et avec les conséquences qui en découlent. Après ce qui s’est passé entre juin et août dans notre pays en termes de dénonciation de la mauvaise gouvernance en l’occurrence des pratiques de népotisme et de corruption de l’ancien régime, on attendait beaucoup mieux des Autorités de la Transition de notre pays. Que Dieu fasse qu’ils se reprennent et vite car la même exaspération qui a abouti à la chute de l’ancien régime est en train de monter.
En attendant, Monsieur Mamadou Madani Diallo n’a rien à faire en prison, si tant est que son seul délit est d’avoir attaqué en justice la décision contraire à la loi du ministre qui l’a fait remplacer par un de ses proches.
Mamadou Namory Traoré, Ancien Ministre
Source: JOURNAL Nouveau Réveil- Mali