L’accès à la toile mondiale se fait à pas de caméléon et au prix fort. La médiocre qualité du service, elle, fait monter la grogne des usagers
Cliquer, puis prendre tout son temps pour aller se faire un café en attendant que la page se charge. Tel était le lot quotidien des internautes maliens au début des années 2000. Aujourd’hui, nous sommes sortis de la préhistoire, mais le débit de la connexion laisse toujours à désirer.
Preuve que le problème reste d’actualité : il y a quelques semaines, l’opérateur de téléphonie mobile, Orange Mali, indiquait dans un message que son réseau faisait l’objet d’un piratage. Et qu’il était à pied d’œuvre pour corriger ce dysfonctionnement. Ce message répondait en réalité aux nombreuses plaintes des abonnés qui avaient du mal à accéder à Internet.
En réaction à la mauvaise qualité du service de l’opérateur, le hastag #Mali100Mega a été lancé en mai dernier par un groupe de bloggeurs maliens qui militent pour une amélioration considérable des connexions Internet. Les « cyberactivistes » réclament aussi une baisse des tarifs de la connexion pour leur permettre de travailler dans de bonnes conditions et d’être compétitifs sur un marché toujours plus mondialisé. «Le débit maximum proposé aux entrepreneurs (particuliers) est de 384 Kbps pour un tarif de 36 000 Fcfa/mois. Le débit maximum n’a pas augmenté depuis 2009. Le prix n’a pas été réduit depuis octobre 2011», soutient un connaisseur du secteur.
La mobilisation des bloggeurs sur Internet a permis à de nombreux clients mécontents de s’exprimer. Sur twitter et sur facebook, beaucoup ont fait savoir les conséquences des difficultés de connexion sur leurs activités quotidiennes. Les « cyberactivistes » ont même réussi à décrocher une rencontre avec Orange Mali pour une discussion de vive voix.
Le secteur des télécommunications de notre pays se caractérise par la domination écrasante de l’opérateur Orange Mali qui détient 96% du marché de l’Internet fixe. Son concurrent, l’opérateur historique Malitel, se contente de la portion congrue.
Mme Hadja Diarra Keïta, responsable communication institutionnelle à Orange Mali, reconnaît que l’opérateur a effectivement des soucis techniques qui perturbent son réseau depuis plusieurs semaines. « Il s’agit essentiellement de perturbations des fréquences allouées. Notre souhait est de pouvoir résoudre ces problèmes afin que nos clients retrouvent une qualité de service acceptable. Au début du dysfonctionnement, de nombreux clients étaient concernés par moments sans logique apparente. Mais même si le désagrément avait concerné un seul client, pour nous cela aurait été déjà un client de trop », précise-t-elle en promettant que le retour à une situation normale se fera progressivement. En attendant, Orange propose des alternatives aux clients qui appellent le 7414 (service client dédié à l’internet) pour leur permettre de rester connectés. « Nous avons décidé d’offrir deux mois de gratuité à l’ensemble de nos clients, soit en n’effectuant pas les prélèvements mensuels, soit en prolongeant les contrats des clients ayant payé à l’avance », annonce notre interlocutrice.
UN PROBLÈME D’OPTIMISATION. Pour répondre au grief portant sur les tarifs trop élevés, elle avance l’argument des importants investissements consentis par l’opérateur pour ses installations. «Le Mali étant un pays enclavé, nous avons été obligés d’investir lourdement dans un réseau de fibre optique pour rejoindre les câbles sous-marins de la Côte d’ivoire et du Sénégal, afin de connecter le Mali au reste du monde. Il faut savoir que tout le contenu que les utilisateurs d’Internet au Mali consultent se trouve sur des serveurs à l’étranger. Ce dispositif étant extrêmement coûteux, nous ne sommes pas dans les mêmes conditions que ces opérateurs auxquels nous sommes comparés», plaide Mme Hadja Diarra Keïta.
Quelle pourrait donc être la solution pour avoir un Internet de meilleure qualité et à un coût plus abordable ? «Au regard du potentiel de l’Internet au Mali, il est indispensable de faire évoluer la technologie utilisée pour rendre les débits plus confortables. Cette évolution technologique impose des nouvelles ressources en fréquences. La solution est de pouvoir bénéficier de fréquences 4G qui offrent de meilleurs débits et une plus large bande passante. Cette technologie nous permettrait de mieux répondre aux attentes de nos clients. Comme vous le savez, l’utilisation de fréquences est soumise à de règles strictes que nous nous devons de respecter. Nous sommes dans l’attente de l’attribution de fréquences 4G et des conditions financières y afférentes », préconise Mme Hadja Diarra Keïta.
La solution proposée par Orange Mali ne tient pas la route, selon les initiateurs de #Mali100Méga. Les bloggeurs soulignent que l’argumentation de l’opérateur confirme des informations importantes. Premièrement, Orange Mali reconnaît que les débits actuels sont insuffisants. Deuxièmement, la société confesse ne pas avoir fait évoluer ses technologies depuis 2009. Troisièmement, Orange Mali a fait un choix technologique (4G) et ne souhaite pas investir davantage dans les technologies précédentes (3G+). Quatrièmement, Orange admet enfin que l’Autorité malienne de régulation des télécommunications/TIC et postes (AMRTP) n’est pas en train de bloquer ce processus, mais que les opérateurs ne se sont préoccupés de la 4G que récemment. En filigrane, ce qu’Orange Mali dit, c’est qu’il n’y aucune amélioration à attendre à court terme.
Pour sa part, le département technique de l’AMRTP reconnaît la mauvaise qualité et l’instabilité du service Internet offert par les opérateurs du Mali en général, et en particulier par la LiveBox de Orange Mali ces derniers temps. Une opinion partagée par les usagers, selon le régulateur qui se réfère aux nombreuses plaintes enregistrées à son niveau et aux multiples échanges qu’il a eus avec Orange Mali à ce sujet.
L’insuffisance de la bande passante invoquée par Orange Mali ne saurait justifier cette situation, selon les techniciens de l’AMRTP qui font remarquer que l’opérateur dispose de plus de 200 Mégahertz (MHz) de bande passante pour son réseau WiMax, bien plus que ce qui est généralement attribué aux opérateurs sous d’autres cieux.
Selon les experts du régulateur, la mauvaise qualité des services des opérateurs de télécommunications est due à un problème d’optimisation des ressources. Nos interlocuteurs estiment que la 3G n’a pas été implémentée à suffisance par les opérateurs et que les débits offerts sont largement en deçà des potentialités de cette technologie. C’est pourquoi ils s’étonnent que dans ces conditions Orange Mali décide de faire le saut vers la 4G. Est-ce seulement un besoin d’évolution technologique et d’amélioration de la qualité de service pour l’opérateur, s’interroge-t-on au département technique de l’AMRTP
PAS DE TÉLÉPHONE DISPONIBLE. A titre d’exemple, soutiennent les techniciens, dans certains pays du Maghreb où la 4G n’est pas opérationnelle, le réseau 3G offre des services de meilleure qualité pouvant atteindre 42 Mégabits par seconde alors qu’au Mali, le débit moyen mesuré est seulement de 512 kilobits/secondes.
Comme solution, les techniciens pensent qu’en dehors des technologies sans fil qui sont gourmandes en fréquences (or celles-ci constituent des ressources rares), les solutions fibre optique (Fiber To The Home et Gigabit Passive Optical Network) représentent des alternatives offrant des services à haut débit et de meilleure qualité.
Dans le cadre du contrôle de la qualité de service, l’AMRTP s’est dotée d’outils de contrôle permanents dont la connexion aux équipements des opérateurs s’était heurtée à la résistance des deux sociétés de téléphonie qui s’y étaient fermement opposées. Mais cette situation sera décantée très bientôt après l’adoption par le Conseil des ministres du 21 mai 2015 du décret faisant obligation aux opérateurs à se connecter aux matériels de contrôle de l’AMRTP.
En attendant, les clients, premières victimes des désagréments, ne savent plus à quel saint se vouer. Car pour quitter Orange et aller ailleurs, il faut être assuré de trouver mieux dans cet « ailleurs ». Or Malitel, l’opérateur historique, a du mal à installer des offres séduisantes. Par exemple, tout usager qui fait une demande de connexion ADSL chez Malitel doit attendre que l’opérateur installe chez lui une ligne téléphonique filaire s’il n’en dispose pas. Or cette installation demande beaucoup de temps. La plupart des demandeurs n’ont pas la patience d’accepter de longs délais pour disposer de leur connexion à domicile. Sur ce problème et sur la question des tarifs, nous n’avons pas réussi à recueillir la réaction de Malitel.
Chez Orange Mali, le début de la connexion Internet est très souvent insatisfaisant. Et lorsque la connexion est correcte, le téléphone n’est plus disponible sur la LiveBox. C’est ce que constate l’usager Boubacar Haïdara. « Les techniciens d’Orange sont passés chez moi changer les installations. La connexion s’est nettement améliorée, mais je n’avais pas le téléphone. J’ai décidé de me tourner vers la connexion ADSL de Malitel. J’avoue que j’ai été découragé par les conditions de l’installation qui passe par un téléphone fixe. Ce qui prend du temps», déplore-t-il.
Békaye Coulibaly, un autre abonné à la LiveBox, ne cache pas son amertume. « Ce que Orange est en train de faire avec les clients, est un abus de confiance. Car nous avons signé un contrat qui nous donne droit à la connexion internet 24 heures/24, ainsi qu’à des appels téléphoniques gratuits. Or, nous n’en disposons pas », se plaint-il. Le contrat donne droit à une heure d’appels téléphoniques gratuits par mois et même plus avec les appels entre lignes fixes du même opérateur. Békaye Coulibaly explique que depuis février 2015, son téléphone ne fonctionne plus. « Je n’ai droit qu’à quelques heures de connexion par jour avec un débit qui laisse à désirer », indique-t-il. Pour lui comme pour beaucoup d’autres, le calvaire se poursuit donc.
A. DIARRA
source : L’ Essor
