REPORTAGE. 2,5 millions de Congolais votaient pour élire leur président dans un contexte intimidant, alors que l’état de santé du principal opposant est préoccupant.
irculation en voitures et à motos interdite, Internet coupé, échanges de SMS suspendus, barrage de forces de l’ordre, policiers et gendarmes presque plus nombreux que les électeurs au niveau des bureaux de vote… les Congolais étaient appelés aux urnes dans un climat peu rassurant quant à la transparence du scrutin. À cela se greffe l’inquiétude sur l’état de santé du principal adversaire de Denis Sassou Nguesso, président sortant et candidat à un quatrième mandat successif. Le chef de l’Union des démocrates humanistes (UDH-YUKI), Guy Brice Parfait Kolélas aurait été évacué par avion médicalisé vers Paris, ce dimanche après-midi.
Les Congolais ont globalement boudé les urnes
La veille, deux heures avant la coupure générale d’Internet, son camp a posté une vidéo le montrant très affaibli, le souffle coupé, et sous assistance respiratoire « Mes chers compatriotes, je suis en difficulté, je me bats contre la mort, mais, je vous demande de vous lever. Allez voter pour le changement » a-t-il déclaré. Si les rumeurs d’empoisonnement vont bon train à Brazzaville, l’homme présente plutôt les symptômes de la Covid-19.
Les bureaux de vote ouvraient en principe à 7 heures ce matin, à l’école du 31 juillet 1968 du quartier Mpila de Brazzaville, il faut attendre 7 h 30 pour voir affluer une poignée d’électeurs. Courbés, agenouillés, ils cherchent leurs noms sur les listes disposées sous les fenêtres des neuf salles de classe. Et font parfois chou blanc. « Je ne trouve pas mon nom, je n’étais pas à la maison quand il y a eu le recensement mais j’ai ma carte d’identité » plaide un vieillard auprès d’un représentant (du ministère) en civil. À l’intérieur du premier bureau de vote, des agents de la Commission électorale indépendante (CNEI) vérifient l’urne. « Regardez, c’est vide », lance-t-il aux deux délégués des candidats présents.
Le premier votant est un pasteur évangélique d’une soixantaine d’années à la démarche hésitante, il présente sa carte d’électeur, émarge, se rend derrière le petit isoloir drapé de rouge pour cocher avec un marqueur la case correspondant à l’un des sept candidats représentés sur une feuille A3. Puis, glisse son bulletin dans l’urne et se fait marquer le doigt d’entre indélébile.
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Des électeurs partagés
Monsieur Kaba Tiné, opérateur économique de 70 ans ressort, lui penaud de l’école. Son nom ne figure pas sur les listes. Il comptait voter Denis Sassou-Nguesso « pour la continuité. Ici, on a une opposition mais qui n’est pas très forte, donc lui seul peut faire avancer le Congo et il a aussi la possibilité de payer les salaires et les pensions des retraités. »
Ce quartier est un des fiefs du président sortant, il y réside parfois à quelques encablures des cuves blanches du Port autonome qui stocke le brut raffiné à Pointe-Noire, la capitale économique. C’est aussi la vitrine de la transformation de Brazzaville promue ces derniers mois sur les ruines de la terrible déflagration d’un camp militaire le 4 mars 2012, qui a causé la mort de plus de 300 personnes, des sociétés chinoises reconstruisent au pas de charge, ici un mall, là un complexe immobilier. Deux tours vitrées s’élèvent derrière l’école. « C’est notre World Trade Center », dit fièrement un gendarme.
Au quartier Makélékélé dans le sud de la capitale, il y a plus d’influence. C’est un bastion de Kolélas. « Je suis tellement inquiet pour lui, dit Léonce 32 ans père de 2 enfants. Son épouse est restée à la maison. « Elle dit que ça ne sert à rien de voter que tout est déjà joué ».
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Réserves sur la transparence
Au collège d’enseignement général Angola libre, Alfred, 56 ans, sacoche en main est dépité : « l’Union européenne avait dit on va vous accompagner avant pendant et après les élections mais ils ne sont pas là. On ne comprend pas. On a besoin de soutien pour la transparence des résultats. La France doit nous aider aussi. » Azanga, étudiant de 27 ans se greffe au débat, intéressé. « François Hollande avait dit en 2015 au moment du référendum constitutionnel ( la nouvelle Constitution a fait sauter le verrou des deux mandats consécutifs, NDLR) qu’un président avait le droit de consulter son peuple. La France est donc responsable. Elle ne peut pas rester sans rien dire. Elle doit réparer les dommages causés par ce papa. » glisse-t-il, contenu. Deux policiers se sont approchés pour écouter ses propos : « regardez, regardez autour de vous on n’a pas de salubrité publique, on vit dans le dénuement alors qu’on paye des factures », poursuit-il dans un autre registre. « On a eu trop de morts avec le PCT, le parti congolais du travail. Et maintenant, c’est le chômage, les parents ne travaillent pas, les enfants sont dehors. Il y a de plus en plus de kululas (criminels en lingala). Mais c’est par manque d’emploi » reprend Alfred.
Dans la cour sablonneuse de l’école, de petites files d’électeurs, dix personnes maximum se forment vers 10 heures. Un représentant de la CNEI s’agite : « on a fait la formation des agents, il y a quatre jours et seulement sur une journée, c’est insuffisant. Il faudrait trois fois plus de temps, on a quelques problèmes de fluidité à l’entrée, mais on va réajuster ».
À Poto-Poto, quartier commerçant et cosmopolite, où les Ouest-Africains tiennent les rênes d’une partie des commerces de gros et de détails, un mot revient : la paix. « Quand on voit ce que nos parents ont traversé, combien ils ont souffert avec les guerres, on ne veut pas que ça se répète », dit Goetzinger, 21 ans, étudiant en droit. Nombre d’électeurs plutôt massés à l’extérieur du bureau de vote Pierre Pzoko, sont de jeunes chômeurs. Comme Steve, 22 ans « il faut avoir les moyens pour vivre à Poto-Poto parce que tout est cher, l’eau, l’électricité, même le logement. Mais je vote pour le président car c’est notre papa. C’est lui qui nous dirige, on croit en lui. »
Il est interrompu par deux gaillards qui traversent la ruelle, et taclent, acerbes : « ils sont achetés, ils viennent de prendre chacun 10 000 francs CFA pour voter Denis, Sassou-Nguesso. »
Source: lepoint