Le Conseil National du Patronat du Mali est à la croisée des chemins. 40 ans après son institution, le syndicat des patrons et champions de l’économie malienne, à l’image de bien d’organisations ou de structures, est dans un processus de mu, certes conflictuel mais inhérente à son développement. Au cœur de ce que l’on pourrait qualifier de guerre des patrons, la rédaction vous propose une immersion pour mieux comprendre ce qui se joue au Patronat du Mali.
Le 10 octobre prochain sonne la fin du mandat de l’actuel bureau, présidé par le supposé incorruptible milliardaire Moussa Sinsy Coulibaly. Dans le même bureau, celui qui revendique aujourd’hui la légitimité de la présidence, Amadou dit Diadie Sankare. La jurisprudence au sein de l’organisation, comme il est d’ailleurs d’usage dans le monde des affaires, a toujours prôné le consensus et la discrétion dans la mise en place du bureau. C’est au nom de ce principe sacro-saint que Moussa Balla Coulibaly a dirigé trente ans durant l’organisation, avant de passer la main à son successeur. Ce dernier, au terme seulement d’un mandat, prêtera le flanc à Mamadou Sinsy Coulibaly, qui dispute aujourd’hui le fauteuil à Diadie Sankare.
Autant clarifier les choses. La convocation du collège électoral pour le rendez-vous du 26 septembre, conformément aux textes de l’organisation, s’est manifestée à la suite du refus du candidat Amadou Diadie Sankare de désister en faveur d’une reconduction de Sinsy Coulibaly. Si le premier revendique un projet pour le secteur, porteur de renouveau, le second considère sa candidature comme une offense et une attitude solitaire pour déstabiliser le secteur.
C’est dans ce climat de compétition ouverte, une première dans l’histoire du patronat, que les différentes listes ont été constituées et déposées. Malgré plusieurs tentatives de conciliation, les deux camps se sont lancés dans la bataille, avec toutes les armes (tentatives de séduction de délégués, d’achat de conscience, d’intimidation ou de discréditation mutuelle). Tout était ficelé, de part et d’autre, pour aller où pas à l’élection.
Au dépôt des candidatures, des doublons sont constatés sur les deux listes. Aux termes de plusieurs tractations, sur fond de lobbying, des désistements sont annoncés de part et d’autre.
Par voie d’huissier, certains délégués vont jusqu’à dégager leur responsabilité du processus électoral (par principe de neutralité) et d’autres à se positionner vis-à-vis d’un camp.
Le secrétaire général du patronat, sur la base de ce constat, décide donc à quelques heures du scrutin d’interrompre le processus électoral via une correspondance. Ce dernier justifie sa décision par la nature du conflit et le quitus accordé par le président sortant. A la suite de sa lettre, le collègue transitoire, organe de veille et de contrôle du CNPM, rétorque dans un communiqué publié dans la foulée que le secrétaire général n’a pas vocation à interrompre le processus électoral. En vertu de son pouvoir, le président dudit collège transitoire maintient l’élection.
Le conflit de compétence entre le secrétariat général et le collège transitoire prendra une autre dimension avec la sortie du président Mamadou Sinsy Coulibaly en faveur du report annoncé par le Secrétaire général. Le président sortant, dans une lettre adressée à son adversaire, rejette la compétence du collège transitoire et renvoie sine die l’élection.
Pour rappel, tout ceci se joue à seulement 24 heures du scrutin. La suite est connue : le collège transitoire décide d’organiser l’élection avec ou sans le candidat Sinsy Coulibaly. Jour du vote, l’accès au local interdit aux délégués venus, un collège électoral est constitué de fortune, sous une tente et en pleine rue. Amadou dit Diadie Sankare est élu à la majorité des délégués présents. Le camp Sinsy Coulibaly dénonce « une mascarade électorale et une mise en scène qui n’honore pas le secteur privé ». En réponse, le staff de Diadie Sankaré revendique sa victoire et dénonce une volonté manifeste de Sinsy de ne pas aller au vote par crainte de perdre.
Pour le camp Amadou dit Diadie Sankare, leur victoire ne souffre d’aucune ambiguïté. Ils justifient la tentative de report du scrutin par un « manque de volonté du président sortant et l’instrumentalisation du secrétaire général ». Mettant en avant la possibilité, pour ce dernier, de résoudre tous les problèmes de doublons, s’il en avait la volonté manifeste, il estime que le report pouvait être évité et que le camp d’en face a voulu tout simplement éviter le vote pour se maintenir.
Les partisans de Sinsy clament que ce dernier est et demeure le président du CNPM. Ils réfutent la victoire de Diadie et lui reprochent une attitude solitaire, guidée par des intérêts personnels et la « soif de stopper, au profit d’une oligarchie mafieuse, la lutte contre la corruption enclenchée par Sinsy Coulibaly ». Ils reprochent au camp Diadie d’avoir exposé le secteur et instrumentalisé les délégués pour forcer un vote qui n’en est pas.
Mais dans les faits…
Cette situation pose plusieurs problèmes. Le premier est d’ordre matériel et organisationnel. Les deux organes, le secrétaire général et le président du collège transitoire, chargés de garantir la crédibilité du scrutin n’ont pas joué leur rôle. Dans la mesure où les 155 délégués sont connus et les points de blocage identifiés, les dispositions auraient pu être prises pour régler les problèmes et tenir le scrutin à date.
L’incapacité du secrétaire général à gérer le problème tire son origine de son allégeance au président sortant, Mamadou Sinsy Coulibaly, qui n’était tout simplement pas dans la logique d’aller aux élections. Les problèmes évoqués auraient pu être vidés même le jour du scrutin. D’où le second problème organisationnel, avec le président du collège transitoire qui aurait pu trancher et raccorder les violons s’il n’était pas acquis, lui-même, à la cause du candidat Diadie.
Au-delà des contraintes précitées, la deuxième problématique est liée à la crise de confiance qui prévaut entre les deux camps. Le dialogue, sincère et non partisan, a été rompu entre les deux protagonistes. Le camp Sinsy, pour des raisons non objectives, dénoncent la candidature de Diadie comme une volonté de ce dernier de nuire à la stabilité du secteur. Tandis que le camp Diadie, à tort ou à raison, reproche à Sinsy une gestion solitaire et clanique du patronat.
Enfin, cette guerre ouverte entre les différents camps est aussi et surtout un casse-pipe d’égos et d’intérêts. La réalité du monde des affaires rimant avec jeu d’intérêts et coups bas, s’est naturellement invitée au débat avec comme centres d’intérêts une minorité de sous-fifres qui n’agissent, au détriment des deux protagonistes et des intérêts du secteur privé, que pour leurs ambitions personnelles. Ils sont nombreux les partisans des deux camps à soutenir avec conviction leur candidat, tout en prônant la stabilité du secteur et le respect des textes. Malheureusement, face aux fauteurs de trouble et autres laquais attachés aux privilèges liés à leur statut, les vrais acteurs de cette élection se sont rétractés, laissant la porte ouverte à toutes les dérives, se détournant ainsi de leur responsabilité.
Le bal des empoignades…
Les positions des uns et des autres annoncent les couleurs d’une double bataille. La première est d’ordre juridique et pourra se manifester par des actions en justice de part et d’autre. La deuxième bataille se jouera auprès de l’opinion. Autant dire que les journalistes, activistes et autres animateurs de radio se frotteront les mains et les dents. Quoi qu’il en soit, le secteur privé n’en sortira pas grandi. Au fil des publications, des interviews et des reportages, les clans s’élargissent à la presse sans discernement.
Une commission de médiation est mise en place. En attendant les résultats de celle-ci, les deux camps continuent d’affûter leurs armes. Pendant que Diadie prépare son investiture, Sinsy prépare son élection. Et dans cette guerre de positionnement, tous les coups semblent permis.
La Rédaction
Source: Bamakonews