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Circulation routière à Bamako : La priorité au plus téméraire

Bamako, 09 Nov (AMAP) Le long d’une route à Magnambougou, un quartier de Bamako, la capitale malienne, deux jeunes hommes sur une moto asiatique, portent un matelas de trois places. Subitement, leur charge se retrouve sur la voie, en pleine circulation, à cause d’un coup de vent ! Le fait n’a pas échappé à Ismaël Sangaré, vendeur d’accessoires d’électronique. « C’est vraiment insensé et imprudent de porter un matelas d’une telle épaisseur sur un engin à deux roues ! » s’exclame-t-il, avant de s’interroger sur ce qui pousse les motocyclistes, à Bamako, à porter des objets dont le transport peut mettre en danger, leur vie et celle des autres usagers.

Énième comportement d’indiscipline d’usagers de la circulation dans la capitale malienne auquel il faut ajouter le stationnement abusif, l’intolérance des usagers et le non-respect du Code de la route.

La probabilité est assez faible, pour ne pas dire très mince, d’aller faire ses courses dans la ville de Bamako ou de se rendre à son travail à moto et de retourner sain et sauf. La gamme de comportements irresponsables des usagers dans la circulation routière de la capitale malienne va de la conduite à tombeau ouvert, au non-respect des feux tricolores. Entre les deux, on note le dépassement par les motocyclistes, en toute vitesse, à droite et à gauche et le rabat immédiat à la diagonale ou à l’oblique, devant le conducteur de voiture, surpris et médusé. Ou encore de la conduite entre les deux files de véhicules, au risque de « tracer » la carrosserie de voitures ou d’emporter le rétroviseur. Pour ensuite se confondre en excuses…

De la course-poursuite derrière des ambulances transportant des patients/blessés, des véhicules de secours des sapeurs-pompiers, en passant par l’intrusion dans un cortège funèbre, la conduite sur la voie réservée aux quatre-roues, sans compter le zig-zag des tricycles, (engins hybrides dont la circulation n’est prévue nulle part sur nos voies) entre les motocyclistes et les voitures, à Bamako, nos vies et nos biens ne valent pas bien chers et sont exposés, à longueur de journée.

Des injures, aux sales mots, des disputes et, souvent des bagarres …Bref, la circulation routière à Bamako est le lieu d’expression des comportements irresponsables et anarchiques. Peu d’usagers respectent le Code la route. Chacun agit, comme dans l’urgence, un réel casse-tête pour tous. Aucune explication des agissements quotidiens des usagers de la route. Que ce soit de la part de motocyclistes, de véhicules de transport en commun ou privés, ces agissements ne traduisent-ils pas un manque de civisme, pire, d’éducation des usagers ?

Ces cas d’incivisme de motocyclistes, dont on peut mieux mesurer le danger et les risques mortels, quand on est à bord d’une voiture, vont crescendo, selon les agents en charge de la circulation. Notre équipe de reportage, en faisant le tour de la ville, a pu constater, à « la place Samaba (Eléphant) » à Hamdallaye, à notre grande surprise, un véhicule de transport en commun, « sotrama », qui débarque des clients au beau milieu de la voie. Les autres véhicules, derrière, sont contraints de s’arrêter pour que les passagers débarqués traversent la double voie, en toute sécurité.

IMPATIENCE ET INTOLERANCE – A Torokorobougou, pour éviter les bouchons, un policier dirige la circulation. Des motocyclistes, impatients n’attendent pas que l’agent de police les autorise à partir. Ils forcent, progressivement, le passage, obligeant le policier à leur céder la priorité.

Notre véhicule de reportage s’est empêtré dans un bouchon au rond-point de Baco-Djicoroni ACI et Kalaban-Coro. Chaque usager essaie de se sortir d’affaire. « Regarde, elle va fermer le passage des motocyclistes », fait remarquer un homme, sur un engin à deux roues, pour attirer l’attention d’un autre motocycliste sur le comportement intolérant d’une conductrice. Il accuse : « La plupart des femmes automobilistes ne sont pas tolérantes dans la circulation car elles cèdent, difficilement, le passage, surtout, aux motocyclistes ».

Quelques minutes après, notre homme, qui n’arrive pas à se frayer un chemin, s’en prend aux policiers chargés de la fluidité de la circulation. « Ils (les policiers) voient très bien les chauffeurs de ‘sotrama’ perturber son travail mais hélas ! Voilà qu’il a disparu pour aller racketter quelqu’un », accuse-t-il.

Au même carrefour, l’embouteillage est devenu une habitude pour les usagers à partir du crépuscule. Il suffit que les feux tricolores tombent en panne pour que la circulation prenne en otage ses usagers. Infernal cul de sac ! Motifs ? Personne ne veut céder la priorité à personne.

Nous avons été témoins, un vendredi du mois d’août 2020, au rond-point de Daoudabougou, sur la rive droite du District de Bamako, sur la route de l’aéroport menant au monument Sogolon, du cas d’une jeune victime du non-respect du Code de la route. Ce jour, aux environs de 16 heures, sous une fine pluie, le jeune motocycliste, qui a grillé le feu rouge, en toute vitesse, percute un véhicule 4X4. Il n’y a pas que sa moto qui soit devenue méconnaissable, La voiture, aussi, a été endommagée. Pire, on ne pouvait pas regarder la tête du jeune adolescent. Le sang coulait de plusieurs parties de sa tête. Sentiments ambivalents des témoins de l’accident. D’un côté, ceux qui sont très sensibles et inquiets de l’état du blessé. De l’autre, ceux qui sont dépassés par le comportement suicidaire de non-respect du Code de la route et de la conséquence immédiate et dramatique pour le fautif.

Comme ce cas, de nombreux jeunes motocyclistes forcent la circulation routière, une infraction au Code de la route, devenue banale, au désarroi total des autres usagers. Samedi 03 octobre 2020, aux feux tricolores, à côté de la station Shell, au Quartier du Fleuve, à Bamako. Il est 07 heures, un taximan ignore le feu rouge et vient percuter une jeune dame sur sa moto. Des policiers venus sur les lieux pour constater les faits, note que la bonne dame ne peut plus se remettre sur ses pieds. Elle a une fracture à la cuisse. Les témoins de l’accident voulaient en découdre avec le chauffeur du taxi.

Aux alentours de la même station, trois jours plus tard, vers 12 heures 30mn, un confrère a été victime d’un motocycliste. « Quand je traversais la vie, tout d’un coup, je me vois à terre. Un très jeune motocycliste est venu du sens interdit et m’a renversé. Ma tête a durement cogné le bitume », raconte notre confrère, le pied enflé et des contusions à la tête. Il s’est retrouvé avec son pantalon en lambeaux, Il ajoute: « Le pire est qu’il (le motocycliste) n’a même pas le prix de sa cigarette et la moto ne lui appartient pas. Evidemment », déplore le malheureux a qui cette aventure lui a couté deux jours de repos médical.

Assis devant un atelier de vulcanisateur, Drissa Coulibaly, chauffeur de taxi depuis 2016, pense que les routes de la capitale sont trop étroites et de mauvaise qualité. « Cela encourage, soutient-il, l’indiscipline dans la circulation ». « Il y a trois bonnes routes à Bamako, Celle qui relie Koulouba à Sébénikoro, l’axe Hôpital Gabriel Touré-Moribabougou et la voie qui va de Koulouba à l’aéroport international Modibo Keita-Sénou », croit savoir le taximan, avant d’affirmer, qu’excepté ces trois routes, toutes les autres sont dégradées.

Parlant des files supplémentaires que les chauffeurs de taxi créent, à cause des bouchons, Drissa Coulibaly justifie que « c’est pour éviter de gaspiller inutilement le gasoil ». « On ne peut pas se permettre de perdre, inutilement, 20 litres de gasoil soit un montant de 10.000 Fcfa, par jour, dans la circulation », argumente-t-il, avant d’ajouter que la quête de la recette journalière et de la dépense quotidienne de l’alimentation de la famille sont, aussi, des impératifs qui les contraignent à cette course de vitesse. « Personne ne peut faire preuve de patience dans notre métier », affirme notre chauffeur qui dit que l’arrivée des moto-taxis rend la concurrence encore plus déloyale.

COURSE-POURSUITE – Coulibaly avoue que les taximen sont conscients des risques liés à cette impatience. « Parfois, on provoque des accidents parce qu’on a pas pu freiner à temps. Malgré tous ces dangers, nous ne pouvons pas abandonner nos pratiques d’indiscipline dans la circulation », dit-il, sans détour.

Quant aux arrêts soudains dont sont coutumiers les conducteurs de taxis, Oumar Traoré, un autre taximan, explique que le taxi, en quête de client, peut s’arrêter à tout moment. Selon lui, il appartient aux autres usagers de garder leur distance, chaque fois qu’ils conduisent derrière un taxi. « Le conducteur de derrière doit avoir l’œil sur le clignotant du taxi », conseille-t-il. « Il n’y a pas de loi, affirme-t-il, qui interdit l’arrêt des taxis ou ‘sotrama’ pour prendre des clients ».

« Quand j’ai une urgence, je regarde l’autre sens de la circulation s’il n’y a pas un véhicule ou un motocycliste qui arrive, je grille le feu rouge. Même si je sais que c’est très dangereux pour moi et pour d’autres personnes », reconnaît Boubacar Kanté.

Si ce dernier est honnête et avoue sa faute, tel n’est pas le cas de bon nombre d’usagers de la circulation routière. Certains se cachent derrière l’excuse de ne pas se rappeler. « Je peux dire que tout le monde brûle le feu rouge à Bamako », affirme Aicha Traoré. « Même vous ? » Après une minute de silence, elle répond ne pas en avoir souvenance.

« Les gens le font parce qu’ils savent que les policiers sont absents en ces endroits de la circulation routière. Ils savent, aussi, qu’ils ne paieront que 1.000 Fcfa lorsqu’ils sont pris en infraction », commente Abdoulaye Diaby. M. Diaby estime que c’est un problème d’éducation civique. Il propose de sanctionner rigoureusement tout usager pris en faute.

En face du centre Djoliba, plusieurs « sotramas », quasiment vides, attendent les clients pour diverses destinations. Seydou Keita, un sexagénaire, membre du syndicat des « sotramas » ne comprend pas pourquoi la plupart des usagers chargent les chauffeurs de « sotrama » pour le désordre dans la circulation. « Les routes sont étroites tout comme les espaces réservés aux arrêts des véhicules de transport en commun. Quand un client fait signe au chauffeur, il est obligé de s’arrêter sur un pan de la route, dérangeant, ainsi, le passage normal des autres usagers », explique le syndicaliste qui accuse les autres automobilistes d’être autant coupables qu’eux du laisser-aller dans la circulation.

« Pour éviter que les véhicules de transport en commun s’arrêtent n’importe comment sur la route, lance-t-il, les clients devraient aller prendre la ‘sotrama’ sur les sites dédiés à cet effet». Selon lui, les pouvoirs publics doivent s’investir pour construire des routes larges et de bonne qualité. « C’est la condition sine qua non, indique Seydou Keita, pour que l’indiscipline dans la circulation prenne fin ».

Yamadou Diarra, abondante barbe blanche qui cachent la moitié du visage, également membre du syndicat des « sotrama », dénonce véhémentement l’incapacité du gouvernement à faire respecter la loi et à revoir les conditions d’obtention des permis de conduire. Un exemple de ce laxisme, selon lui, est le cas de la route qui passe de l’ancienne place « placi kôrô »  jusqu’au rond-point de l’hôpital Gabriel Touré. Il « Ce tronçon est réservé, principalement, aux ‘sotramas’, mais, regrette-t-il, les vendeurs l’ont accaparé ». Il exhorte les autorités à assumer leurs rôles, en dégageant les voies.

REGLEMENTATION – Ne pas respecter le feu tricolore est une infraction, une violation du Code de la route en vigueur au Mali. Tout comme le non-respect des panneaux de signalisation. De l’avis du Commandant-major de police, Adama Coulibaly, chef de la Section voies publiques du Groupement mobile de sécurité (GMS), le non-respect du feu tricolore n’en demeure pas moins très fréquent dans la circulation à Bamako.

La contravention est fixée à 2.000 Fcfa. Au regard des dangers du non-respect du feu de circulation, plus d’un estime que ce montant forfaitaire est insignifiant. Sur ce sujet, le Commandant-major Adama Coulibaly signale que des autorités compétentes ont été saisies de la question, plusieurs fois. « Malheureusement, ce n’est pas nous qui fixons les montants. C’est un arrêté interministériel qui fixe les barèmes. Nous, nous avons écrit, à maintes reprises, aux autorités pour qu’elles revoient à la hausse le montant de la contravention du non-respect du feu tricolore, au vu des dangers qui en découlent », nous confie-t-il.

Selon le responsable des voies publiques de Bamako, le respect du feu tricolore est, d’abord, pour la propre sécurité de l’usager. « S’il y a un message aux usagers, c’est de leur dire de respecter, scrupuleusement, les feux. Il en va, au premier chef, de leur propre vie. Le non-respect de cette règle de la circulation routière peut avoir des conséquences irréversibles sur l’usager et les autres également », dit-il.

Pour le commandant de la Compagnie de la circulation routière (CCR), le Commissaire divisionnaire, Abdoulaye Coulibaly, l’incivisme dans la circulation est en grande partie due au non respect du Code de la route. « C’est la dégradation de l’Education dans nos familles », explique-t-il, qui est à la base des comportements dans la circulation. Le patron du CCR, ajoute que l’effritement de l’autorité au Mali, conséquence de la crise socio-politique, est un autre facteur qui encourage l’incivisme dans la circulation.

Selon lui, les agents font preuve de pédagogie dans la circulation, en période de crise, concernant les sanctions à infliger aux usagers de la route pris en faute.

Le commissaire divisionnaire Coulibaly, recommande de renforcer l’enseignement du Code de la circulation dans nos écoles, apporter davantage de rigueur dans la délivrance des permis de conduire. « Surtout, insiste-t-il, il faut un changement positif de comportement des usagers de la circulation ».

MDD/OD/MD (AMAP)

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